Antisionisme : la déraison Maillard adoptée à l’Assemblée

dimanche 8 décembre 2019.
 

Mardi 3 décembre, l’Assemblée nationale s’est déshonorée en adoptant la résolution du député LREM Sylvain Maillard visant à confondre antisionisme et antisémitisme. Par quelle inculture, quels renoncements aux droits et libertés, la France en est-elle arrivée là ?

Hier, l’Assemblée nationale a adopté la résolution dite Maillard qui, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, entend faire adopter par la France la définition de l’antisémitisme formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste. En clair : ce texte vise à condamner une opinion politique, le sionisme, et avec lui la critique du gouvernement israélien.

L’amalgame entre antisémitisme et critique de l’État d’Israël est une déraison intellectuelle, une folie politique, une attaque à la liberté de penser. D’ailleurs, le vote n’a pas suscité l’unanimité en macronie puisque, avec les suffrages de la droite, ce texte a recueilli 154 votes « pour » sur 269 votants [1].

Un léger malaise – léger seulement, qui s’est essentiellement manifesté par de l’abstention – a saisi les rangs de LREM. Le mal est maintenant fait : les 72 voix d’opposition n’ont pas fait le poids. Le débat fut l’occasion de propos édifiants contre les « islamo-gauchistes », terminologie vide mais stigmatisante qui rappelle le « judéo-bolchévique » d’antan, cette gauche qui « attise la haine d’Israël pour séduire l’électorat des quartiers », pour reprendre la formule du fanatique Meyer Habib.

Les exemples de ce qui, demain, pourra être condamné sont inquiétants. En associant critique de la politique israélienne et haine des juifs, en faisant peser sur l’expression d’une parole politique l’ombre infamante du racisme, en pénalisant finalement l’esprit critique, en allant jusqu’à nier l’antisionisme de nombreux juifs, cette résolution engage la France sur une voie dangereuse. Avec elle, pourront être considérés comme antisémites celles et ceux qui s’engagent en faveur d’une solution binationale au conflit israélo-palestinien ou qui condamnent la politique d’apartheid menée par Israël. Par quelle inculture, quels renoncements aux droits et libertés, quelle realpolitik, la France en est-elle arrivée là ?

Cette résolution ne contribuera pas à faire reculer l’antisémitisme. En revanche, elle donnera du grain à moudre à un État condamné par l’ONU et attisera l’esprit de haine, de revanche, là où le principe des droits et l’exigence de paix devraient nous guider.

Il y a une semaine, Israël expulsait le directeur américain de l’ONG Human Right Watch car celui-ci invitait les entreprises à se retirer des colonies israéliennes jugées illégales par l’ONU. Au même moment, les États-Unis de Donald Trump franchissaient une terrible ligne rouge en reconnaissant comme légale la colonisation. Dans ce contexte, l’extrême droite israélienne au pouvoir continue de vouloir faire taire les oppositions politiques pour mieux poursuivre son entreprise de domination du peuple palestinien. La résolution Maillard entre en résonance avec la volonté du gouvernement israélien de faire passer les Palestiniens pour des antisémites. Elle s’inscrit dans le prolongement de la parole du président Macron qui a affirmé que « l’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme ». On ne s’étonnera pas qu’elle soit proposée par un député qui a tenu en mai dernier une conférence avec le Président des colonies du nord de la Cisjordanie, colonisation pourtant condamnée par la France depuis 1967 et jugée illégale au regard du droit international.

C’est la justice, la liberté, les droits qui permettent de protéger tous les peuples opprimés et qui fondent le combat contre toutes les formes de racismes. En servant la polémique et en permettant de condamner une opinion politique, cette résolution abîme tous les efforts en ce sens, alors qu’ils sont rendus impérieux si l’on veut à la fois lutter contre l’antisémitisme et dégager une solution de paix durable entre les Palestiniens et les Israéliens.

Je partage sans réserve le combat contre l’antisémitisme dont nous savons qu’il progresse en France aujourd’hui. Ce combat est le mien, le nôtre. Cette résolution dite Maillard ne contribuera pas à faire reculer l’antisémitisme. C’est d’ailleurs ce que développe la très juste tribune d’intellectuels juifs parue dans Le Monde. En revanche, elle donnera du grain à moudre – pour ne pas dire du crédit – à un État condamné par l’ONU et attisera l’esprit de haine, de revanche, là où le principe des droits et l’exigence de paix devraient nous guider.

Clémentine Autain


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