La journée du 5 décembre 2019 est un choc salutaire.

lundi 9 décembre 2019.
 

Point de vue d’Etienne Adam sur son blog Médiapart

Cette journée avec ses manifestations importantes ( inattendues) vient nous rappeler la vitalité démocratique et sociale des classes populaires après des années de conditionnement néolibéral, de pensée unique . Derrière le refus de la réforme des retraites, ou plutôt avant la réforme des retraites qui n’est pas encore connue précisément- c’est tout la politique de réaction néolibérale de Macro qui est mise en cause.

La gauche : panne stratégique et classes populaires

Pour beaucoup trop de militants politiques syndicaux et associatifs, nous étions contraints de reculer sur nos revendications , sur nos objectifs , sur nos programmes parce que de batailles perdues en batailles perdues - en passant par celle qui n‘ont pas été menées comme celle sur le chômage et la précarité- nous étions devenus trop « prudents », trop « réalistes ». Nous étions sur la défensive « trahis » par les classes populaires qui ne nous suivaient plus. Nous avions fait comme si ces dernières avaient sombré dans la passivité par découragement ou par soumission aux idées du Capital.

Ceci sans nous poser la question de nos propres manques, de notre propre panne stratégique . Heureusement (!?) pour la gauche dite radicale la dérive social-libérale du PS fournissait une explication facile : c’est parce que le PS a donné au peuple une vision « la gauche = la droite » que le peuple a été déçu et se réfugie dans d’autres représentations on dans l’abstention. Malheureusement la perte de crédibilité du PS ne s’est pas traduit par un renforcement de ce qui était à sa gauche, et il serait temps de s’interroger sur notre propre pratique.

Il fallait mener la contre offensive idéologique nécessaire pour combattre la vision du monde néolibérale, au lieu d’analyser les changements dans la société qui fournissaient des points d’appui nouveaux au Capital comme la précarisation, des demandes sociales allaient bien dans ce sens. La gauche dite radicale s’est trop contentée de vouloir prendre la place du PS surtout sur le terrain électoral avec une surestimation des batailles institutionnelles « centrales ». Ceci impliquait un réalisme pour ne pas heurter les « larges masses » (et les électeurs PS)1 et une surdité à ce qui s’exprimait de plus neuf de plus radical dans la société.

Je ne peux m’empêcher d’y voir l’effet de la domination du modèle du compromis fordistes qui s’est traduit par le refus des luttes radicales des années 1970 au profit de la stratégie d’union de la gauche : il n’y a pas eu de rupture avec les modes de penser et d’action de la gauche traditionnelle, ce bénéfice d’inventaire qui aurait permis de garder ce qu’il y avait de bon dans la tradition du mouvement ouvrier.

Notre gauche s’est aussi contentée de la politique du « moins pire » sans mesurer que la demande, face au mirage libéral, était le mieux : nous avons eu un manque d’ambition dans les propositions lié à notre absence de projet, de vision du monde qui puisse soulever l’enthousiasme et l’adhésion.

Aujourd’hui et alors que les classes populaires nous disent « on est là » nous ne pouvons plus continuer dans cette voie.

Fuite en avant du pouvoir

Face à la résistance qui s’est manifestée hier Macron peut jouer la fuite en avant autoritaire, c’est la logique de sa marche forcée : même avec une 5ème république et son présidentialisme autoritaire, les structures prévoyaient des mécanismes de régulation qui permettaient de sortir d’une crise politico-sociale par des compromis. Avec Macron ce n’est plus le cas, les appareils d’État se sont modifiés pour ne plus intégrer cette possibilité : en particulier l’étatisation des politiques sociales comme on le voit avec l’assurance chômage ne permet aucune prise en compte de la réalité vécue par les Chômeur-euse-s et précaires. Les interventions de Pénicaud ne sont pas seulement l’expression de sa stupidité idéologique mais aussi le fait que les structures ne permettent plus les remontées d’informations.

Derrière les gesticulations de com , il ne reste à Macron que la répression pour sa « révolution » libérale dont la réforme des retraites est un maillon. Il dispose de la majorité parlementaire nécessaire pour faire voter sa loi, avec le soutien de la droite LR si besoin est. S’il y a des contestations dans la rue l’appareil policier a montré son efficacité et il lui reste en réserve des dispositions comme l’art 16, l’état d’urgence ou même l’état de siège. Il serait illusoire de penser qu’une victoire militaire est possible en se lançant dans une logique d’affrontement. Brûler des poubelles ou des banques sont le signe d’une colère et d’une volonté de s’imposer dans l’espace public face à des dispositifs policiers qui l’interdisent : mais leur efficacité se limite au symbolique, utile pour rompre un consensus , mais peu efficace pour bloquer l’économie.

Si ces actes restent minoritaires - et extérieurs au mouvement populaire- il vont alimenter la stratégiste macronienne de « c’est moi ou le chaos » dont la réponse aux Gilets jaunes nous a donné un avant goût. Nous avons aussi mesuré combien le champ médiatique officiel construit la légitimation de la violence d’Etat et sa banalisation en instrumentalisant cette violence même minime.

La force du nombre, comment

Nous n’avons pas d’autre choix que d’élargir et diversifier les mobilisations : des grèves dures , des manifestations massives qui actent l’adhésion de celles et ceux qui ne peuvent faire grève et à qui il faut donner une place. Notre force qui rend plus difficile la répression, c’est le nombre : l’utilisation des forces de répression ou de mesures répressives est rendue plus difficile à manier. Il en s’agit pas d’être naïf et de croire que le Capital va spontanément renoncer. Ce qui se passe aujourd’hui au Chili -avec des forces militaires habituées à réprimer durement les mobilisations populaires et un appareil d’Etat issu de Pinochet- doit être analysé précisément. Je crois que le pouvoir de Macron est aujourd’hui sensiblement plus fragile que celui de Pinera : la force principale de Macron est notre propre faiblesse ( division, manque de propositions, de projet...)

L’élargissement de la mobilisation suppose deux conditions autres que convaincre de l’efficacité de l’action.

Nous ne croyons plus aux partis guides ou aux minorités agissantes qui s’émancipent de tout contrôle démocratique, : il nous faut traduire ce refus en pratiques. L’autogestion, la démocratie deviennent des armes immédiates dans les luttes. On ne peut plus ( mais l’a t on pu un jour ?) appeler « les masses » à suivre les actions des avant gardes, il faut faire de leur participation un objectif et un moyen d’action. Pour leur garantir de ne pas être manipulés pas des représentants extérieurs . Parce l’intelligence collective , la prise en compte de la diversité c’est aussi un outil « performant » de mobilisation. Sur ce dernier point la multiplication des initiatives autogérées et fédérées transforme complètement le choc frontal avec les appareils d’Etat en l’obligeant à disperser ses forces. C’est bien favorable que la bataille centrale à Paris où les dirigeants concentrer des forces et nous battre.La participation active inscrit mieux l’action dans la durée et son renforcement dans le temps. Il faut associer le plus largement à la définition et la mise en œuvre de cette stratégie.

Une autre condition est indispensable : nous ne pouvons nous contenter de réagir aux décisions prises : c’est laisser l’initiative à l’adversaire qui a beau jeu de mettre évidence l’absence d’avenir d’une défense des acquis. Surtout quand ces acquis sont inexistants pour nombre de salarié-e-s. Une petite plaisanterie : contre la réforme de l’assurance chômage peut demander le retour à la gestion CFDT-MEDEF ?

Les organisations de chômeur-euse-s et précaires, les coordinations d’intermittent-e-s et les syndicats ont compris qu’il fallait construire des alternatives pour se battre, le nouveau modèle des intermittents a été bien utile dans les luttes quotidiennes et a bien servi à contrer l’offensive du MEDEF.

Aujourd’hui nous devons appeler à débattre d’un projet de protection sociale qui ne se contente pas de réparer le modèle de 45 mais offrir de nouveaux droits à toutes et tous ? Droits nécessaires à une libération du travail qui ne se fasse pas par la précarisation ou l’uberisation fausses solutions..

Si dans le plus de lieux possibles (entreprises et services , quartiers villes) se mettaient en place des assemblées citoyennes pour débattre des objectifs et des perspectives et pour organiser le mouvement, quelle force se mettrait en action !

1Ce souci n’est pas à négliger mais ne doit pas conduire à nier les radicalités sociales


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