Transports : Les mensonges des opposants à la gratuité

dimanche 22 décembre 2019.
 

En France, 40 réseaux ont déjà fait le choix de la gratuité des transports en commun. Pour des motifs sociaux, écologiques et financiers, des élus, ont quitté le giron de la rentabilité néo-libérale, satisfaits de la rupture que la gratuité opère.

Elle soulève un débat politique passionné que certains veulent limiter à un choix technique prétendument impossible. Malgré les réticences que le GART (Groupement des autorités responsables des transports) exprime dans son rapport d’Octobre 2019 (1) voulant « objectiver le débat », il reconnaît qu’il respecte la liberté de choix des collectivités : la gratuité est bel et bien un choix politique. Le discours anti-gratuité cache une peur néo-libérale de cette révolution interrogeant le dogme de la consommation, l’organisation et le financement de nos transports.

Usagers contre la gratuité ?

De tous ces arguments, l’un se remarque par son aplomb : le GART et le Sénat dans leurs récents rapports (1) et (2) ont pris l’avis de la FNAUT (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) qui se revendique représentante des usagers et affirme que les usagers ne seraient pas pour la gratuité. En fait, des associations (pour certaines environnementales) affiliées à la FNAUT ne sont pas favorables à la gratuité. Quant aux usagers, ils ne sont pas tous informés de cette possibilité. Un sondage d’octobre 2019 dément l’affirmation de la FNAUT. « Seriez-vous favorable à la mise en place de la gratuité de certains services publics, comme les transports, dans votre commune » ? Les sondés répondent à 80% « favorables » et même à 40% « Tout à fait favorables » (3). Ni indépendante, ni rationnelle, la FNAUT est un acteur aux positions conservatrices. La création d’une association nationale d’usagers pour la gratuité pourrait la contredire. Par ailleurs, le rapport du Sénat souligne avoir : « recueilli l’opinion de 10 500 internautes : une consultation en ligne qui a montré le vif intérêt que portent nos concitoyens aux questions de mobilité ». 10 500 contributions, un record pour le Sénat, qui conclut paradoxalement à une demande sociale marginale…

La gratuité ne développe pas les transports en commun ?

La gratuité ne serait pas une réponse environnementale car le report modal (les personnes se mettant à utiliser les transports en commun devenus gratuits) serait difficilement mesurable. Six indicateurs prouvent le report modal : l’amélioration de la qualité de l’air et du niveau sonore, la baisse de fréquentation des parkings de centre-ville et de densité automobile sur les avenues, le nombre de cyclistes et piétons, l’utilisation accrue des parkings relais gratuits et des transports en commun. Oui, diront-ils mais nous ne pouvons être sûrs que l’usager est un ex-auto-soliste… Un sondage rigoureux effectué en 2019 à Dunkerque balaie ces doutes : à la question « Quelles sont les principales raisons qui font que vous utilisez plus souvent le bus qu’avant ? », 84% des personnes choisissent les réponses en lien avec « la gratuité » : et 37,6% répondent « parce que le réseau est plus efficace et fiable qu’avant ». L’effet, très significatif, entraîne même la revente de leur voiture pour 10% des sondés (4).

La gratuité concurrencerait les déplacements doux (marche, vélo) ?

Le même sondage éclaire le comportement des usagers : 58 % déclare marcher autant qu’avant et « les usagers qui déclarent marcher plus souvent qu’avant (20%) sont des personnes qui ont augmenté leur usage du bus ». La gratuité couplée à des mesures annexes (rame de tram aménagée pour vélo, mise à disposition de vélo gratuit, axe piéton), accroît bien l’intermodalité.

La gratuité ne se ferait qu’au détriment de la performance.

Étonnant, puisque la gratuité demande des investissements et que plusieurs exemples montrent le contraire : campagne de recrutement et renforcement des lignes au Grand Cahors gratuit depuis le 2 novembre 2019 (5), redéploiement du réseau à Dunkerque en 2018 avec un « gain d’efficacité majeur, création de lignes Chrono desservant les arrêts avec une fréquence de 10 mn de 7h à 19h, du lundi au samedi, même pendant les vacances scolaires ». (4)

La gratuité totale priverait le transport public de ressources conséquentes.

Le rapport du Sénat (1) souligne que la tarification ne permettra jamais de financer l’investissement des infrastructures. Mais elle ne finance déjà qu’une part des seuls coûts d’exploitation. En 2015 : 14% de ces coûts en province, 38% en région parisienne. Le sénat note que le pourcentage financé par les usagers décroît d’année en année tandis que les coûts et les besoins d’investissements augmentent. Face au défi de la transition écologique, seule, la puissance publique peut concevoir des transports au service de tous, mais l’État cherche à externaliser ce coût comme une entreprise. Il a misé sur la route depuis 2003 en créant l’Agence de Financements des Transports en France (AFITF), théoriquement financée par les usagers via les autoroutes qu’il a ensuite privatisées, puis par une taxe routière abandonnée. Le rapport d’activité AFITF 2005-2016 est édifiant (6). En 2018, le soutien de l’État au secteur ne représente que 11% de ces dépenses d’investissements, quand elles représentent 30% de celles des collectivités locales. (7)

Les employeurs se plaignent que le coût du transport urbain reposerait sur eux par le versement transport, contribution obligatoire payée pour chaque salarié et versée aux collectivités compétentes. C’est oublier que ceux qui paient le plus sont les ménages. L’ensemble des transports représente une dépense totale de 386 Md€, soit 17,3 % du PIB et les ménages y contribuent pour moitié tous modes confondus (8). Les usagers paient souvent deux fois : impôts et billets, sans récupérer la TVA. Pendant ce temps, « en 2016, le financement du transport par les administrations centrales et locales est de 41,5 Md€ au total. Les dépenses de fonctionnement ont progressé en valeur de plus de 10 % depuis 2008 tandis que les dépenses d’investissement ont diminué de près de 31 %. Ces dernières représentent 31 % des dépenses des administrations publiques en transport (contre plus de 41 % en 2008) » (8).

La gratuité contre la justice ?

Rien n’est gratuit car tout à un coût affirment les opposants à la gratuité. Mais faut-il rendre payants l’école ou l’éclairage public parce qu’ils ont un coût ? Absurde. La tarification sociale serait plus juste que la gratuité. Mais quoi de plus juste que d’offrir à tous le même accès au service public selon ses besoins et non selon ses moyens ?

Payer rendrait responsable. Mais l’irresponsabilité est-elle du côté de l’usager qui monterait dans un bus gratuit ou du gouvernement, des élus locaux et des entreprises qui refusent toute planification écologique des déplacements et de l’aménagement urbain et territorial ? L’école -gratuite- n’est-elle pas un lieu d’apprentissage de la responsabilité ? Comme pour celle-ci, mesurons la valeur d’usage des transports pour toute la société et non la valeur d’achat. Si « payer » aidait à se responsabiliser, les très riches seraient de grands sages. Ce n’est pas le cas, car la responsabilité se construit dans des relations non-marchandes.

Marie James


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