16 au 21 décembre : La semaine de la marée populaire

dimanche 22 décembre 2019.
 

Voilà des jours intenses s’il en est. À nos portes, l’Algérie en révolution pacifique envers et contre tout. Et le Royaume-Uni en Brexit de masse. Ici, en France, le pays est entré en ébullition sociale. Vaille que vaille, le fond de tableau est le même. Le peuple est de retour sur la scène de l’histoire politique. Le dégagisme domine la scène. Après l’énorme vague du 5 décembre, celle du 17 décembre qui vient va balayer le pays jusque dans ses recoins les plus éloignés des chefs-lieux. Et ensuite, rien ne sera plus pareil dans les esprits. Car une telle expérience ne se vit pas sans en être transformé. L’extension du mouvement se constate dans tous les aspects de ce qui se voit. La mobilisation et la détermination sont présentes partout. En force. Exemple : il y avait autant de monde dans les rues de Lons-le-Saunier (Jura) qu’il y en avait le 13 mai 1968 au début de la grève générale. Toutes les générations s’engagent. Les retraités sont souvent en première ligne dans les cortèges de leurs corporations. Et les jeunes ! Du lycée à la fac et dans l’entreprise. Ils sont là. Les jeunes pères et mères de famille aussi sont parmi les plus déterminés.

La forme d’expression et le contenu des prises de parole correspond à un haut niveau d’information et de capacités pédagogiques. On voit, on entend que tout le monde a été à l’école bien plus longtemps que ceux que je croisais il y a trente ans dans ce type de bagarre. Les 80% de la classe d’âge au niveau du bac sont là. Tout cela ne se contente pas de se juxtaposer. Cela commence à s’additionner. À la gare de Lyon, à l’AG SNCF, j’ai noté la présence des agents RATP aux côtés des cheminots. Un fait sans comparaison depuis au moins vingt ans (mémoire des présents sur place). À Marseille, chez les portuaires, j’ai appris la même chose : des profs sont venus, des étudiants. Ceux du port sont allés à l’AG des cheminots à Saint Charles.

J’ai connu il y a très longtemps tout autre chose c’est-à-dire un bien rude cloisonnement. À l’époque, les corporations se sentaient invincibles. Du coup chacun campait dans son coin. Et les syndicats autant que les partis présents dans les entreprises n’aimaient pas trop ce genre de visites mutuelles. C’est du passé à présent. On dirait que sur le terrain se réinventent des choses élémentaires qui étaient là au début du mouvement ouvrier.

À Marseille on a parfois la dent dure. Mais ici cette fois-ci, le « camarade député Mélenchon » fut accueilli en familier. On parla de tout, avant et après les prises de parole officielles. À un moment, je me suis trouvé à bavarder sur le sens de la vie avec des hommes qui avaient un peu de cheveux blancs. Ils philosophaient : a-t-on les mêmes chances dans la vie ? Peut-on toujours se donner les moyens de faire mieux socialement ? Ils évoquaient des conversations de famille, des échanges avec d’autres qui leur disputaient le droit de grève. J’ai appris des arguments et des tours de phrases. Assis sur le banc en mangeant le méchoui préparé par le piquet de grève. Qui aurait dit que je rencontrerais ces hommes si profonds ? Et comment prévoir que, si simplement, on se serait mis à parler aussi facilement de ce qui compte et nous motive dans la vie ?

Cet épisode personnel confirme ce que l’on savait depuis les ronds-points gilets jaunes. Dans ce genre de moment on parle beaucoup, on échange beaucoup. De nouvelles visions du monde se construisent dans ces échanges. La parole organise celui qui la prononce et enrichi qui la reçoit. Le soir à la fin de ce jour- là, Kamel, l’indomptable délégué des Mac Do de Saint-Barthélémy, racontait la fermeture de son Mac Do qui jette à la rue tant de familles. À la fin il conclut sur « le plus important ». Il dit que « le plus important dans une personne » c’est qu’elle « est un être humain comme l’autre, comme toi ». Et que « le plus important c’est de ne jamais renoncer à sa dignité ». Je restais bouche bée devant ce grand gaillard si émouvant qui nous a donné une leçon de vie en même temps qu’une leçon de lutte de classe.

La lutte n’est jamais seulement un moment de crise. Elle reformate ceux qui y participent. Elle reformule leur perception de soi et du monde. Le 17 décembre, des millions de gens vont se voir en masse et se sentir forts. Personne ne pourra effacer l’empreinte de ce sentiment de puissance, quoi qu’il arrive, quoiqu’il se trame dans les coulisses du gouvernement. Et la suite des évènements, de la volonté qui s’exprimera pour les jours suivants, va se construire dans cette journée comme une cornue. Telle est la chimie des mouvements de masse.

En toute hypothèse, le blocage des raffineries et des centres de distribution des carburants va faire sentir son effet dans les tous prochains jours. Cela veut dire que les conséquences économiques de la grève vont devenir des faits sociaux du quotidien. Encore une expérience qui va réorganiser les mentalités. Que Macron l’ait compris ou pas, ce qu’il a enclenché dans les esprits ne se rembobine pas. Et plus il se réfugie dans l’illusion de l’arrangement rusé qui lui permettra de faire avaler la pilule, plus il s’entêtera et construira une nouvelle conscience populaire. Au passage ses copains les riches et les grands patrons vont payer une bonne ardoise de manque à gagner. Pour quel résultat ?

J’ai été sollicité de tant de manière ces deux semaines que j’en ai déserté ce clavier. Je veux dire que j’y suis venu sans jamais pouvoir conclure un ensemble de lignes qui me satisfassent. Je réduis donc mon ambition et je m’en tiens quelques thèmes. L’un explique sur un aspect peu connu et commenté de la réforme de la retraite qui fait encore un somptueux cadeau de plusieurs milliards aux fonds de pension et aux « entreprises ». L’autre publie le délibéré à propos des indemnités versées aux policiers partie civiles, seul document issu du jugement qui m’a condamné avec nos camarades au procès de Bobigny. Le suivant, c’est à propos de l’habillage en vert de la politique de la Commission européenne. Le dernier, pour la rosserie, fait le bilan de la situation de Guaido le président autoproclamé du Venezuela et reconnu par Macron qui s’avère être un corrompu notoire, lié aux narcos. Et « bim dans ta face » à la macronie qui bêle ses Venezuélaaaaa à toute occasion et soutient le putsch fachiste de Bolivie.

Sentir le souffle de ce moment politique m’aide à supporter l’infâme bashing qui se mène désormais en permanence contre moi. A chaque occasion, un mot toujours extrait de son contexte sert de point de départ à de pures affabulations. Sans recul, sans objectivité, l’égout médiatique crache ses effluves sans gêne ni retenue. C’est partout pareil dans le monde. Et partout dans le monde des manifestants vont aux portes des grands médias dire leur amertume. La semaine passée, la bête s’affolait dans l’odeur du sang. Que choisir pour nuire et faire du buzz ? Le procès ? L’accusation d’être un suppôt de Le Pen ? Contre toute raison et toute honnêteté, une semaine je suis peint en islamiste, la semaine d’après en lepéniste, celle suivante en antisémite et chaque fois c’est le même mécanisme des reprises et des commentaires sans fondement. Je ne mentionne tout cela que pour donner un conseil à mes amis : ne commentez pas ce qu’un « journaliste » vous dit que j’ai dit. Ne faites pas comme eux. Vérifiez d’abord.


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