« Même si Macron ne le veut pas, nous, on est là ! »

mercredi 5 février 2020.
 

Par Clyde Marlo-Plumauzille , historienne, chargée de recherche au CNRS

Parce qu’elles peuvent émouvoir et faire se mouvoir, les chansons populaires donnent le « la » au mouvement de contestation qui les entonne, des supporteurs de foot, aux cheminots en passant par les gilets jaunes.

On est là ! Des cheminots aux Gilets Jaunes !

« On est là, on est là ! Même si Macron ne le veut pas, nous, on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur ! Même si Macron ne le veut pas, nous, on est là ! » Depuis plus d’un an, cette chanson originaire des stades de football s’est imposée comme un des hymnes les plus populaires de cette nouvelle ère des mobilisations. Elle en épouse même, d’une certaine manière, la chronologie. Septembre 2017, à l’occasion des manifestations contre la loi travail, une première version fait son apparition à Lille comme le révélait il y a peu le service CheckNews de Libération qui en retrace les origines (10 décembre).

Juin 2018, pendant la grève du rail contre la réforme ferroviaire, les cheminots lyonnais reprennent et adaptent à leur tour ce couplet pour chanter la dignité des existences populaires et laborieuses : « Pour l’honneur des cheminots et l’avenir de nos marmots, nous, on est là ! » (Révolution permanente, 18 mars). Novembre 2018, à l’occasion de l’acte II des gilets jaunes, le collectif Intergare en propose une nouvelle déclinaison « pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur » appelée à durer. Depuis, de samedi en samedi, et récemment à l’occasion du mouvement de contestation de la réforme des retraites, ce « on est là » résonne sur le pavé et, chemin faisant, fabrique du commun.

Parce qu’elles peuvent émouvoir et faire se mouvoir, parce qu’elles parlent à toutes et tous, et parce qu’elles furent longtemps l’art de celles et ceux qui n’avaient pas la parole, les chansons participent du répertoire des mobilisations populaires depuis le Moyen Age. A l’époque moderne et au XIXe siècle, elles sont un vecteur de politisation et de mobilisation comparable à la presse et battent le tempo des révoltes, des grèves et des révolutions (« Musiques et Révolutions. XIXe, XXe et XXIe siècle », Revue dissidences, 2011).

Dans les années 1968, aux côtés des danses et des actions costumées, elles participent du renouveau des pratiques manifestantes ouvrières comme féministes et de leur joyeux désordre. Créés pour l’occasion ou reprenant et détournant des airs connus et populaires, chantées en chœur dans l’espace public, les chants permettent de faire corps et de se chanter soi plutôt que d’être dit par les autres.

Aussi, depuis les travaux pionniers d’Edward Palmer Thompson sur les cultures populaires de la classe ouvrière anglaise publiés dans les années 60, historiens et historiennes soucieux de « sauver de l’immense condescendance de la postérité » l’expression politique des acteurs subalternes du passé se sont emparés des chansons populaires.

Mazarinades de la Fronde au XVIIe siècle, Ah ! ça ira ! des sans-culottes de 1789, le Temps des cerises de la Commune de Paris, le Chant des partisans des résistants de la Seconde Guerre mondiale ou encore l’Hymne des femmes des mouvements féministes des années 70, chacune de ces chansons est un point d’entrée dans l’imaginaire des individus et dans leur univers de représentations au moment même des conflits où elles se chantent. Elles donnent le ton des « luttes et des rêves » des mouvements populaires (Michelle Zancarini-Fournel, les Luttes et les Rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, La Découverte, 2016).

A son tour On est là ! dit et fait beaucoup en quelques mots. Ces derniers permettent d’abord de se regrouper et d’affirmer une identité collective, quelque chose de plus grand que soi. C’est là même leur fonction première puisque ce chant est un emprunt aux supporteurs du RC Lens et de l’Olympique de Marseille qui depuis près de quinze ans déclament dans les gradins ce « on est là » : « Pour l’amour du maillot, que vous portez sur le dos, même si vous l’méritez pas, nous, on est là ! »

Cette origine sportive, festive et populaire explique aussi le caractère enjoué de la chanson et la tonalité positive qu’elle confère à la conflictualité sociale dont elle se fait le porte-voix. Cet appel à une convergence joyeuse déjoue par là même l’étiquette de « grogne sociale » souvent apposée par bien des cadrages médiatiques aux mobilisations populaires. Dans cet espace permis par la chanson, il en va simplement et gaiement d’une lutte pour la reconnaissance de toutes celles et ceux qui sont tenus à l’écart et en deçà du jeu politique dominant (« Même si Macron ne le veut pas ») et d’une aspiration ouverte à « un monde meilleur » pour ré-enchanter l’horizon des possibles.


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