PROCES CARDINAL : UN VERDICT EXEMPLAIRE QUI FERA DATE (CGT)

vendredi 27 juillet 2007.
 

Résumé de sept jours d’audience

Tous les sous-traitants turcs à disposition du tribunal ont été écoutés, ainsi que Mr Renimel, directeur de travaux de l’entreprise Cardinal. Malgré les contradictions des intervenants entre eux et les démentis de déclarations précédemment signées, forts bien relevés par le juge et sans anticiper sur ses décisions, des lignes fortes se dégagent.

L’ampleur de l’exploitation est édifiante !

Les « salariés » turcs non déclarés recevaient environ 50 € à 60 € par jour, sans fiche de paye, et donc sans déclaration, pour des journées commençant à 7 H30 du matin et finissant à 18 H30 avec un casse-croûte froid amené par le salarié.

Beaucoup d’affirmations et de témoignages concordent : la direction de l’entreprise Cardinal ne pouvait pas ignorer le fait que des « salariés », des « artisans » turcs n’étaient pas déclarés.

Un chef de chantier reconnaît avoir eu des doutes et avoir alerté son supérieur hiérarchique qui lui a répondu : « Non, non, tout est en règle. ».

Un conducteur de travaux affirme qu’effectivement l’entreprise Cardinal n’était pas très rigoureuse en matière de papiers mais qu’il ne savait rien. Un sous-traitant l’interpelle : « Comment vous ne saviez rien ? Je ne vous ai déclaré que 6 ouvriers et vous me donnez 9 chantiers à faire, comment je fais pour les faire ? Vous ne pouviez pas ne pas savoir. ».

Des clients, des architectes ont aussi alerté les responsables de l’entreprise.

La Direction ne pouvait ignorer qu’à plusieurs reprises elle traitait avec le gérant de fait, car le gérant officiel était un gérant de « paille ».

Les prix pratiqués permettaient de très substantiels bénéfices pour Cardinal. L’entreprise se rendait même complice en échangeant de la main d’œuvre contre une diminution de chiffre d’affaires (ce qui permettait d’échanger une somme soumise à cotisations contre la même somme non soumise à cotisations sociales) et se mettait à plusieurs reprises en infraction avec ses propres salariés en leur donnant des sommes en « liquide ».

Il s’avère que les obligations prévues par le code du travail en matière de sous-traitance n’ont souvent pas été respectées et que ce n’était pas la priorité numéro un de l’entreprise.

Le préjudice pour la société civile en termes de pertes de cotisations sociales ou de recettes fiscales est très important.

Les 21 « artisans » turcs ont fait faillite avec des passifs très importants allant jusqu’à 700 000 € constitués pour l’essentiel de cotisations et de créances fiscales et ne prenant pas forcément en compte les rappels de salaires qui auraient été dus aux ouvriers travaillant dans ces entreprises.

Ce phénomène a été confirmé par le représentant de la chambre des métiers qui s’est elle aussi constituée partie civile qui a dénoncé l’ampleur du phénomène.

Le tribunal a aussi auditionné notre fédération le 21 juin.

Nous sommes intervenus pour expliquer notre démarche en se portant partie civile, en quoi de telles pratiques étaient préjudiciables :

* en premier aux travailleurs pas ou mal déclarés ;

* aux salariés de nos professions car de telles pratiques de dumping social, par leur ampleur, empêchent la profession de faire les efforts nécessaires en matière de salaire et d’amélioration des conditions de travail et d’hygiène pour permettre aux jeunes et aux femmes de rester dans nos professions ;

* sur le préjudice pour les caisses sociales.

Le tribunal correctionnel de Rennes a rendu son jugement dans cette affaire après deux semaines d’auditions et de plaidoiries.

Après avoir constaté les dégâts que causent de telles pratiques pour l’ensemble de la profession, le juge a prononcé les peines les plus importantes et significatives (de 3 ans d’emprisonnement dont 18 fermes) à l’encontre du dirigeant de l’entreprise Cardinal, donneuse d’ordre, et de son adjoint.

Le tribunal qui a suivi la logique du réquisitoire du procureur de la république a, pour une première fois, sanctionné les vrais coupables. Il a en outre condamné ceux-ci solidairement à payer les dettes fiscales et sociales dues par les sous-traitants.

Ce procès fait ainsi date

A l’issue d’une enquête exemplaire par les moyens engagés qui ont permis de démonter et prouver les mécanismes de fonctionnement de ce trafic illégal.

Le tribunal a ainsi reconnu que l’entreprise Cardinal en refusant de voir et de savoir pour mieux profiter de cette situation a été la responsable de cet important trafic qui a permis de contourner la législation sociale et de soustraire des millions d’euros de cotisations sociales.

Rappelons qu’en l’état de la législation au moment des faits en 2003 la condamnation maximum était de 3 ans de prison et 45 000 € d’amende.

Nous sommes reconnus sur notre constitution de partie civile.

Nous espérons que ce verdict aura ainsi un effet dissuasif dans la profession.

Une législation à changer et plus de moyens de contrôles pour plus d’efficacité et de dissuasion

Au regard de l’ampleur du phénomène et des méfaits qu’il occasionne à l’encontre de la profession par une concurrence déloyale en tirant la politique sociale de la profession vers le bas, du préjudice subi par les caisses, il est urgent d’avoir une législation et des moyens de contrôle plus efficaces pour faire respecter le code du travail.

La législation doit être modifiée pour que les donneurs d’ordre soient reconnus systématiquement responsables socialement, fiscalement et pénalement des carences et des infractions de leurs sous traitants.

Les conditions de sous-traitance limitées à un niveau doivent être rendues transparentes : le contrat doit être établi à l’avance et le contrôle rendu possible pour les organismes officiels et les organisations syndicales sur la « faisabilité » des chantiers dans le respect du droit français et des prix.

Pour un statut des salariés de la profession

Les fédérations patronales du TP et du bâtiment à laquelle adhère l’entreprise Cardinal doivent elles aussi cesser de fermer les yeux. L’attitude de la fédération régionale de Bretagne soutenant Cardinal cautionne ; de fait, cette situation.

On ne peut demander au seul Etat de faire son travail, et dans le même temps ne pas dénoncer et excuser les patrons qui assassinent les inspecteurs qui effectuent leurs contrôles et refuser comme l’a fait le MEDEF l’augmentation du nombre d’inspecteurs.

Face au déficit de main d’œuvre qui menace nos professions, les fédérations patronales ont une grande responsabilité en ne mettant pas en œuvre une politique sociale ambitieuse qui permette de garder les jeunes dans nos professions en leur assurant un déroulement de carrière, des salaires en relation avec la qualification exigée et par la prise en compte de la pénibilité de nos professions avec des garanties sociales comme la retraite à 55 ans.

Faute de telles modifications la loi de la jungle de la sous-traitance avec des salariés en provenance de pays à faibles droits sociaux se poursuivra au détriment de l’intérêt général.

Il y a urgence de relever le défi de l’emploi de demain par une politique sociale ambitieuse.


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