Indépendance du Québec et perspective internationaliste en Amérique du Nord

jeudi 5 mars 2020.
 

Nous reproduisons ici la traduction de l’entrevue accordée par André Frappier à Megan Svoboda pour Socialist Forum. Megan était invitée par Québec solidaire à prendre la parole à son dernier congrès.

L’ élection de 2018 au Québec a marqué une percée pour la gauche. Alors que la coalition de droite a remporté le plus de votes, la plus grande surprise des élections a été le succès sans précédent du parti de gauche indépendantiste Québec solidaire (Solidarité Québec, QS). Il a quitté sa base traditionnelle à Montréal, doublé sa part du vote populaire et triplé son nombre de sièges. Avec 16% des voix et 10 sièges au Parlement québécois, il s’agit du meilleur résultat pour le parti depuis sa création en 2006.

La plateforme 2018 du parti était large et radicale. Elle comprenait, entre autres, un programme agressif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de transition vers les énergies renouvelables ; des investissements massifs dans les transports publics et les dépenses d’infrastructure ; l’éducation publique gratuite du préscolaire à l’université ; renforcer et étendre le programme de santé universel, en particulier la création d’un régime universel d’assurance médicaments ; un plan universel d’aide juridique ; une expansion des droits des travailleurs et du pouvoir syndical ; le remplacement des élections uninominales à un tour par la représentation proportionnelle ; et la mise en place éventuelle d’un Québec indépendant.

Lors de la convention du parti de 2017, le parti a voté contre la coopération avec le Parti québécois (Parti québécois, PQ), traditionnellement le principal parti du souverainisme centre-gauche, et a convenu d’entamer des pourparlers avec le parti souverainiste de centre gauche Option nationale . Lors des élections provinciales de 2018, QS a remporté 7 sièges supplémentaires, ce qui les porte à 10 au total et égalise le PQ. En 2019, QS a été officiellement reconnu comme le deuxième parti d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec, derrière le Parti libéral du Québec et devant le PQ. En 2019 le congrès de QS a achevé le processus de fusion avec ON par l’adoption d’un accord de fusion, ce qui a entraîné l’alignement des programmes des partis QS et ON.

Bien qu’il soit souvent négligé dans la gauche américaine, le Québec a été le théâtre de certains des mouvements les plus importants et les plus réussis contre le néolibéralisme depuis la crise financière de 2008, y compris les grèves étudiantes massives de 2012. Près de 40% des travailleurs québécois sont syndiqués, et la province possède un vaste réseau d’économie sociale composé d’un large éventail d’organisations à but non lucratif et d’institutions coopératives. Et bien sûr, il a un mouvement de souveraineté actif qui a presque obtenu son indépendance du reste du Canada en 1995 et a récemment connu une résurgence au sein de la politique québécoise et canadienne.

André Frappier, ancien co-porte-parole de QS, s’entretient ici avec Megan Svoboda, membre du Comité politique national de la DSA, sur l’état de la politique québécoise, les perspectives de QS et de la gauche québécoise au sens large, et l’importance de la solidarité internationale aujourd’hui pour le journal Socialist Forum

Megan Svoboda : Pouvez-vous donner une brève description de l’état général de la politique québécoise en ce moment ?

André Frappier : Il arrive un moment où les partis qui ont dominé la scène politique ne répondent plus aux exigences du moment ou sont incapables d’endiguer le flot des forces sociales. C’est ce qui est arrivé au PQ, qui a perdu toute crédibilité, et au PLQ corrompu.

À l’instar des libéraux, la Coalition Avenir Québec est un parti fédéraliste dédié au capital et engagé dans un programme économique néolibéral, mais il se démarque par son adhésion au nationalisme ethnique et à la xénophobie. Là où les libéraux ont longtemps été le choix électoral des communautés immigrantes, la CAQ a délibérément fait appel au sentiment anti-immigrant, promettant de réduire les niveaux d’immigration, de soumettre les nouveaux immigrants à des valeurs draconiennes et à des tests linguistiques, et d’interdire aux employéEs de la fonction publique de porter des symboles religieux visibles - une mesure censée viser en particulier les femmes musulmanes voilées. Cette démagogie de la peur de « l’autre » fait également partie de ce qui distingue la CAQ à part le populisme de droite de Doug Ford en Ontario.

L’élection de la CAQ représente une rupture avec le schéma historique des libéraux et le contrôle alternatif du PQ sur les rênes du gouvernement. Et ce n’est pas par hasard. Dès le départ, l’idée était de marginaliser le PQ et l’option souverainiste en créant un parti basé sur le nationalisme ethnique prêt à s’attaquer à la peur de l’immigration. Et c’était l’objectif de l’ancien ministre du Cabinet péquiste François Legault, de l’ancien chef du PQ Lucien Bouchard, de l’homme d’affaires Charles Sirois et du clan Desmarais en fondant la CAQ en 2011.

Ce qui a facilité la tâche de la CAQ, c’est l’abandon de la lutte pour la justice sociale et la souveraineté par les dirigeants successifs du PQ pendant plusieurs décennies. En fait, le seul objectif du PQ était de maintenir sa place de gestionnaire provincial dans un monde globalisé avec toutes les conséquences qui découlent de cette ambition : soutien au libre-échange, privatisations, redevances pour les services publics, un régime fiscal favorable aux riches, et le développement des combustibles fossiles. En tant que nouveau parti qui n’avait jamais détenu le pouvoir, la CAQ a pu se présenter comme une force de changement.

MS : Qu’est-ce que Québec solidaire et quelles sont ses racines politiques et idéologiques ?

AF : QS a été fondé en 2006 à Montréal par la fusion du parti de gauche Union des forces progressistes (UFP) et du mouvement politique altermondialiste Option citoyenne , dirigé par Françoise David. Il s’est formé autour d’un certain nombre de militants et militantes et de personnes impliquées en politique qui avaient écrit le Manifeste pour un Québec solidaire , une réponse de gauche à Pour un Québec lucide .

Dans ses objectifs et valeurs fondatrices, QS déclare qu’il rejette clairement le néolibéralisme et propose une alternative politique fondée sur la démocratie, la souveraineté populaire, l’indépendance du Québec et des valeurs progressistes telles que : la justice sociale et un partage équitable des richesses, l’égalité entre les femmes et les hommes, le développement durable, l’élimination du racisme , la promotion du pacifisme et de la solidarité entre les peuples. Il est pluraliste, c’est-à-dire qu’il permet la participation et l’expression plurielle de personnes, des groupes, des différents points de vue et sensibilités dans un esprit d’unité. Il est féministe, égalitaire et vise une représentation égale des femmes et des hommes à tous les niveaux.

QS prend en compte la diversité des besoins, des réalités et des identités, y compris régionales. Il est inclusif et favorise la présence des jeunes, des communautés culturelles et des personnes handicapées. QS est actif dans le domaine électoral et dans le domaine des luttes sociales. Il s’inspire des exigences des mouvements sociaux et environnementaux progressistes, tout en reconnaissant l’indépendance respective du parti et de ces mouvements.

Après un débat important dans nos rangs, QS a adopté en mars 2019 une position contre le projet de loi 21 du gouvernement de la CAQ [cette loi interdit aux employés publics de porter des symboles religieux et exige que la prestation ou de la réception de services publics soit faits à visage découvert. ] qui devait être adopté au Parlement de Québec un mois plus tard.

Notre position était : « Considérant que le devoir de réserve s’applique aux actions et aux décisions des personnes et non à leur apparence, aucune règle particulière sur les symboles religieux ne devrait s’appliquer à certaines professions plutôt qu’à d’autres, y compris celles qui exercent un pouvoir coercitif. »

MS : Quels sont, selon vous, les facteurs qui ont conduit à sa récente augmentation des effectifs et de la représentation au Parlement ?

AF : Le succès de QS en faisant plus que doubler ses sièges passant de trois à 10, dont quatre à l’extérieur de Montréal, a été une véritable victoire qui ouvre un nouveau chapitre pour la gauche. D’une certaine manière, QS a également profité de la volonté de changement, mais il avait une côte plus difficile à monter compte tenu des préjugés contre la gauche.

Parallèlement, le soutien au PQ a diminué régulièrement depuis 2003, en raison de leur politique néolibérale mais aussi de leur stratégie sans issue concernant la souveraineté du Québec. Pour la génération plus âgée, le PQ était de plus en plus un parti de pouvoir, et l’ancien chef du PQ, Jean-François Lisée, a fait sa campagne électorale avec la promesse de ne parler d’un référendum que dans un second mandat. Et pour la jeune génération, la vision de la souveraineté du PQ est considérée comme un projet néolibéral et anti-environnemental. La charte de la laïcité proposée par le gouvernement du PQ en 2014 a également eu un impact important sur la population. Une partie a soutenu la CAQ lors des élections de 2018, mais une autre partie était inquiète.

La décision de ne pas faire d’alliances avec PQ prise lors de la convention QS de mai 2017 a représenté un point tournant. Contrairement à la pensée dominante, QS a commencé à augmenter dans les sondages. Il y a eu beaucoup de pression sur QS pendant cette période, dirigée par Jean-François Lisée, pour une alliance de souverainistes contre le Parti libéral. Son objectif était d’accrocher QS au vaisseau amiral du PQ. Au bout du compte , il vaut mieux mieux voter pour ceux qui peuvent vraiment battre les libéraux, c’est le choix qui s’impose au moment de voter, surtout si les alternatives semblent similaires.

Après ce congrès, Lisée a montré son vrai visage et a accusé QS d’être dirigé par un « politburo » de style soviétique. Dans les derniers jours de la campagne, il a insinué que la co-porte-parole de QS, Manon Massé, n’était pas la véritable dirigeante du parti et que QS avait un agenda caché.

L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois au début de 2017 a également eu un impact important sur la montée des effectifs.

MS : Pourquoi pensez-vous que la lutte pour l’indépendance du Québec est importante pour la lutte plus large pour le socialisme international ?

AF : Le mouvement social québécois est unique au Canada en raison de la question nationale. L’histoire de l’oppression nationale, la lutte pour la langue française et la réalité des différences économiques entre l’establishment anglophone et la classe ouvrière majoritairement francophone ont davantage façonné le Québec comme nation que comme province. Combiné avec le fait qu’en vertu de la législation fédérale, l’éducation et la santé sont de compétence provinciale, les combats du mouvement syndical ou du mouvement étudiant deviennent des combats nationaux. Cette situation n’existe pas dans ce que nous appelons le Reste du Canada (ROC). Par exemple, il ne pouvait pas y avoir de grève étudiante au Canada comme celle de Québec en 2012.

C’est pourquoi l’indépendance implique un changement social qui interpelle l’État impérialiste canadien lui-même. Pour atteindre cet objectif, seul un vaste mouvement social peut mener la lutte pour la souveraineté du Québec, car le peuple québécois n’entreprendra une lutte aussi importante que celle de l’indépendance, si elle n’a pas pour objectif d’améliorer ses conditions de vie et de prendre en main le contrôle de ses ressources. Ce mouvement entraînera un changement dans le rapport des forces en faveur de la classe ouvrière et un changement social qui ébranlera les fondements de l’État canadien.

Bien sûr, l’establishment canadien se battra bec et ongles. La commission Gomery a mis en évidence l’énorme somme d’argent investie lors du référendum de 1995 et l’illégalité de cette opération pour influencer le vote des Québécois. Cela nous donne une idée de jusqu’où ils pourraient aller en cas de réel changement social. Ni le PQ ni le Bloc québécois ne soutiendront jamais une telle mobilisation, qui irait à l’encontre de leur politique néolibérale. Et sans projet social, une véritable souveraineté n’est pas possible. En modifiant le rapport de forces, la lutte sociale du Québec peut aider les mouvements syndicaux et sociaux au Canada dans leur propre lutte pour l’émancipation sociale.

Dans cette perspective, la solidarité du mouvement syndical canadien avec la lutte pour la souveraineté du Québec est non seulement essentielle à la lutte pour la justice sociale au Canada, mais cruciale car elle impliquera également la lutte contre la réaction canadienne contre le mouvement social québécois.

C’est ce que nous apprenons de la solidarité internationale. Il n’y a pas de place pour la lutte isolée du reste du monde, en particulier dans cette période de mondialisation où les sociétés multinationales imposent leur contrôle sur notre planète, en font un dépotoir de pollution en créant une immense pauvreté, et mettent le bien-être et la survie même des générations futures en péril. Notre lutte est liée à celles d’autres mouvements progressistes. Le soutien de chacun est crucial pour la victoire de tous et toutes.

MS : Quels conseils donneriez-vous aux gens, en particulier aux jeunes, qui sont des organisateurs socialistes aux États-Unis ?

AF : Votre lutte est très importante, même si vous n’en voyez pas les bénéfices pour le moment. Le fait est que vous ripostez, vous organisez des gens et donnez de l’espoir. Votre travail rayonne au-delà de vos frontières et nous permet au Québec et à la gauche au Canada de développer une perspective internationaliste en Amérique du Nord. Un tel objectif est très important et ne pourrait être atteint sans le travail des organisateurs socialistes aux États-Unis.

Une organisation de gauche est toujours sous pressions de toutes sortes. Il est important de donner une place importante aux débats politiques et à la formation politique pour renforcer l’organisation ainsi que pour mettre en place des structures démocratiques et un fonctionnement démocratique. C’est aussi un bon moyen de contrer l’influence de l’establishment financier et politique qui domine la classe ouvrière.

Pour autant que je puisse voir, c’est quelque chose que vous faites déjà. Je dirai donc simplement que nous devons développer notre perspective internationaliste. Ceci est crucial pour combattre l’impérialisme aux États-Unis et au Canada.

Megan Svoboda

André Frappier

Presse-toi À Gauche

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