Epidémie Covid-19 : le Grand Est dans une situation dramatique, le pic attendu dans une à deux semaines

mardi 24 mars 2020.
 

La France vient de prendre des mesures drastiques, qui n’auront un effet que dans deux semaines. La région Grand Est est déjà dans une situation italienne. L’Île-de-France et les Hauts-de-France, en « zone rouge », se préparent à affronter la vague épidémique.

« Reste chez toi » : le message du Collectif inter-hôpitaux (CIH) à la population est net, à l’impératif. « Il faut tous nous préparer à une véritable catastrophe sanitaire », a prévenu, lundi 16 mars, ce collectif de soignants de toute la France, créé à l’automne pour défendre l’hôpital public. À l’origine espace de mobilisation des soignants, le CIH est devenu un lieu d’échanges d’informations médicales sur le Covid-19.

Les nouvelles sont dramatiques, en particulier de la région Grand Est. Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mars, les chefs de service des urgences de Colmar et de Mulhouse ont échangé des mails avec leurs collègues membres du syndicat Samu-Urgences de France. Marc Noizet, de Mulhouse, les met en garde : dans le reste de la France, « la situation semble totalement sous-estimée ».

L’hôpital de Mulhouse est en « plan blanc » depuis le 7 mars. Toutes les activités médicales et chirurgicales non urgentes ont été déprogrammées. Face à la vague épidémique, cela n’a pas suffi : « L’établissement est quasi à bout des moyens qu’il peut déployer », constate le chef de service. Car le Covid-19 n’a cessé de gagner du terrain : 25 patients en réanimation, 125 lits dédiés aux malades moins graves. Les moyens manquent déjà pour les futurs malades. « Les lits de réanimation de la région sont saturés, et impossible de trouver des respirateurs pour ouvrir de nouveaux postes. »

En Alsace, les personnes âgées sont désormais largement touchées, poursuit le chef de service : « La mortalité dans les secteurs de gériatrie est majeure, et les cas symptomatiques dans les Ehpad très nombreux, occasionnant des difficultés, des choix en régulation. » Il explique avoir d’ores et déjà organisé la réunion d’« un collège de spécialistes », pour fixer « les critères (notamment d’âge) de limitation d’accès à la réanimation ». Le président du Samu-Urgences de France, François Braun, destinataire de ces mails, essaie de rassurer : « En temps normal, on décide chaque jour de ne pas admettre un patient en réanimation. Mais quand on prenait cette décision 1 fois par jour, on la prend 10 fois », assure-t-il. Il est cependant clair : « On ne réanime pas une personne âgée très dépendante, elle ne le supporterait pas. »

Il y a donc des morts : à Mulhouse, « en 24 heures, nous avons une vingtaine de décès Covid + au sein de l’établissement », indique dans son mail l’urgentiste. Et « les équipes commencent à s’épuiser, avec un absentéisme qui grandit lié à des cas positifs, même si la solidarité est importante ». À Mulhouse et Colmar, des soignants sont touchés par le Covid-19, « y compris en réanimation », admet François Braun, le président du Samu-Urgences de France.

Au Samu de Mulhouse, le Covid représente désormais plus de la moitié des appels. Ce graphique transmis par le chef de service montre aussi la très forte progression du nombre d’appels auxquels font face les urgentistes.

Dans l’échange de mails, son confrère de Colmar, Yannick Gottwalles, ne peut que « renforcer ces propos que je trouve encore trop peu alarmistes, bien que déjà désespérants ». Colmar a « 2 à 3 jours de retard » par rapport à Mulhouse. Mais cela n’a pas suffi à l’hôpital pour se préparer : « Nous sommes dépassés par les événements », écrit le chef de service des urgences. « Toutes les décisions prises et les aménagements sont obsolètes et dépassés dans les 12 heures qui suivent, et pourtant nous étions très prévoyants. En permanence, il manque 25 à 30 lits de plus de ce qui est faisable à un temps T, pour prendre en charge les patients non pas dans des conditions correctes, mais simplement dégradées. » Et cette dégradation va être « croissante, voire exponentielle pour les 15 jours à venir ».

À Colmar, le matériel manque : « Moins de 5 jours de stock en SHA (solution hydro-alcoolique), moins de 3 jours de stock en masques FFP2, moins de 4 jours de stock en masque chirurgical, plus de stock en sur-blouse, très peu de stock en lunettes… Et des perspectives de réapprovisionnement dans 6 à 8 semaines !!!!! » Le président de la République vient cependant d’annoncer que les régions les plus touchées seraient réapprovisionnées très vite.

« Il va falloir faire des choix sur nos critères d’admission, prévient à son tour le chef de service des urgences de Colmar, non seulement en réanimation, mais tout simplement dans une structure hospitalière. Tous nos décès de ce jour sont COVID +. » Le docteur Gottwalles conclut ainsi son message : « Préparez-vous, ainsi que vos personnels, à cette vague majeure. Il y avait un avant Covid-19, il y aura un après Covid-19 avec de très lourdes cicatrices. » François Braun, avant le président de la République, décrit « un état de guerre ». Il estime que l’Île-de-France et les Hauts-de-France sont elles aussi en « zone rouge ».

Partout en France, la vie quotidienne a radicalement changé. Emmanuel Macron a annoncé, lundi 16 mars, le confinement de la population : les déplacements doivent être réduits au strict minimum, « faire ses courses, se soigner, les trajets nécessaires pour aller travailler lorsque le travail à distance n’est plus possible, et les trajets nécessaires pour faire un peu d’activité physique ».

Seulement, ces mesures drastiques ne donneront leurs effets que dans « une à deux semaines », indique Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève. Les personnes infectées par le coronavirus, bien plus nombreuses que les 6 633 cas annoncés ce lundi 16 mars, ne manifesteront, peut-être, les premiers symptômes, légers, que dans 5 à 6 jours. Et les cas sévères ou critiques, environ 20 %, n’arriveront aux urgences que quelques jours plus tard.

Selon Le Monde [1], le collège scientifique installé par le président de la République pour éclairer les décisions du gouvernement, a reçu des modélisations de l’impact de l’épidémie. La plus alarmiste, réalisée par Neil Ferguson, de l’Imperial College à Londres, fait état de 300 000 à 500 000 morts en France, en l’absence de toute mesure d’endiguement.

« C’est une projection très farfelue émanant d’une grande équipe qui ne veut pas tirer les leçons de nos erreurs passées, veut rassurer Antoine Flahault. On ne devrait pas faire de telles prévisions, on en est incapables. » Le biomathématicien ne veut pas tirer les courbes plus loin que les 8 prochains jours. Il nous a confié ses projections, à partir des chiffres du jour. Il regarde la progression sur les dernières 48 heures, et applique pour les jours suivants le même « taux multiplicatif ». Ses chiffres sont déjà très inquiétants.

À ce rythme, l’Europe tout entière est en train de rattraper au galop la Chine : elle compte 54 425 cas confirmés et 2 337 décès, alors que la plupart des pays viennent tout juste de prendre des mesures de confinement. L’Organisation mondiale de la santé constatait vendredi que « l’Europe était devenue l’épicentre de l’épidémie ».

Caroline Coq-Chodorge


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message