Italie La gauche ne veut pas être sinistrée

mardi 31 juillet 2007.
 

Soumises à l’épreuve de leur participation au gouvernement de centre gauche, les forces de progrès tentent de faire cause commune. Entre hésitations et peur des dissolutions, le processus d’unification est en marche.

La gauche italienne est au pouvoir. La gauche ? Quelle gauche ? La question n’est pas maligne, pas seulement. Ces derniers jours, les débats qui ont occupé le Parlement italien (les retraites, la justice) ont mis en évidence les limites de l’alliance passée sous le nom de « l’Unione » entre des organisations allant d’un centre gauche assez chrétien au parti de la Refondation communiste. L’Italie, dans son versant progressiste, n’en finit plus de faire son deuil du PCI, le « Pitchi », celui de Gramsci, de Togliatti et de Berlinguer. Ce Parti communiste italien si loin et si proche du Parti communiste français, dont le secrétaire général était capable d’avouer qu’il allait à la messe, de participer à des meetings sous la banderole de l’eurocommunisme en compagnie de Georges Marchais et de leur homologue espagnol, Santiago Carillo, ou encore

de signer un « compromis historique » avec la Démocratie chrétienne. Un parti peut-être déjà écartelé entre l’idée communiste et la pratique du pouvoir, ce qui lui avait été toujours refusé malgré son poids électoral, son influence dans la société et son aura issue de la résistance contre le fascisme. Un parti qu’Achille Occhetto, surnommé le « fossoyeur », avait transformé en Parti de la gauche démocratique (PDS), lancé dans une grande dérive sociale-démocrate dans un pays où la Démocratie chrétienne était le rempart adoubé par Washington, le Vatican et la Mafia. Un pays où le petit Parti socialiste n’a jamais pu représenter que les intérêts bien comptés de quelques-uns et servir de trait d’union entre leurs représentants politiques.

Ce deuil de la disparition du Parti communiste italien n’a jamais été accompli totalement. Le Parti éclaté, les rangs se sont clairsemés. Certains ont accompagné la mutation en « Parti des démocrates de gauche » (PDS), suivi d’une transformation en « Démocrates de gauche » (DS). D’autres se sont investis dans ce qu’on appelle ici le Mouvement, c’est-à-dire essentiellement les associations dont l’histoire est tout aussi marquée par le PCI que par un engagement politique beaucoup plus prononcé qu’en France. Et puis, inévitablement, des scissions ont été engagées qui ont donné naissance au parti de la Refondation communiste (PRC) et au Parti des communistes italiens (PdCI).

Dans le fond, ce qui était en jeu était la construction d’un pôle de centre gauche dont le pivot était les Démocrates de gauche, capables de se réclamer de l’histoire socialiste du PCI tout autant que celle d’un réalisme non plus socialiste mais de bonne gouvernance, selon le concept inventé par François Mitterrand à l’intention des pays africains. D’alliance en alliance, scotchés à une conception presque totalement électorale de la vie politique et, surtout, le regard de plus en plus orienté vers leur droite, les DS ont fini par tourner le dos à une gauche de transformation. Les expériences de gouvernement se sont soldées par des alternances avec un Berlusconi à l’affût, flanqué des néofascistes de l’Alliance démocratique de Gianfranco Fini et des régionalistes d’extrême droite de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi. La crise politique est patente en Italie, aggravée par la mince majorité de la « gauche » au Sénat qui, paradoxalement, affaiblit le pouvoir dirigé par Romano Prodi mais aussi la capacité de réaction des organisations progressistes et des syndicats.

C’est dans ce contexte que les Démocrates de gauche ont décidé de fusionner avec la mouvance dite de centre gauche mais très influencée par les idées chrétiennes, la Marguerite de Franco Rutelli, pour former un Parti démocratique qui devrait officiellement voir le jour au mois d’octobre mais dont les conséquences sont déjà perceptibles. L’aile gauche de DS a refusé d’intégrer ce parti à la coloration idéologique américaine évidente (celui qui devrait en devenir le patron, l’actuel maire de Rome, Walter Veltroni, ne s’en cache pratiquement pas) et, sous la houlette de Fabio Mussi, a fondé un mouvement (« pas un parti », précisent ses proches) baptisé Gauche démocratique (SDI). La création du Parti démocratique est vécue comme une menace existentielle qui ne fait qu’accélérer une refonte (Fausto Bertinotti, leader originel de Refondation communiste, parle même de la nécessité de refonder son propre parti) dont personne ne sait vraiment quelle forme celle-ci prendrait. Même si les débats, les interventions et les écrits des différents protagonistes laissent percevoir les contours politiques de ce qui est envisagé.

« Il y a effectivement un processus d’unification de toutes les forces à la gauche des DS », explique Luciana Castellina, journaliste et l’une des fondatrices du quotidien Il Manifesto. « Mais tous ont peur de se dissoudre. Même s’il y a des hésitations, c’est un processus qui est en marche et qui est populaire. » Cette structure, qui regrouperait la Gauche démocratique, Refondation, le PdCI et

les Verts italiens, pourrait représenter 15 % des suffrages.

« Nous sommes dans une situation politique atypique », souligne Gianni Rinaldini, secrétaire général de la FIOM, le puissant syndicat de la métallurgie affilié à la CGIL (Confédération générale du travail italienne). « Nous avons un gouvernement de centre gauche auquel participent toutes les composantes de la gauche mais le chantage est permanent. Politique d’abord, avec la menace d’une crise gouvernementale, social ensuite, lorsqu’on prétend qu’un conflit social peut faire tomber le gouvernement. » Selon lui, cela se traduit par un manque de mobilisation de la part des trois grandes confédérations syndicales (CGIL, CISL, UISL). « Il n’y a que chez nous, dans la métallurgie, où nous n’hésitons pas à faire grève », dit-il. Pour Rinaldini, la meilleure façon pour les forces réellement de gauche de ne plus être soumises à ce chantage, qu’il s’agisse des retraites ou de la présence des troupes italiennes en Afghanistan, « c’est qu’elles s’unissent. Parce qu’il y a la création du Parti démocratique, il ne faut pas en attendre les conséquences, il faut être à l’initiative ». Le dirigeant syndical explique être « intéressé par la construction d’une nouvelle force de gauche mais celle-ci devrait se baser sur une relation différente entre les partis et les syndicats ». Conscient de la crise syndicale, en Italie comme en Europe, conscient aussi des répercussions de la situation politique au sein de la CGIL, il affirme que « le syndicat doit redéfinir son rôle sous peine d’être emporté par la dynamique politique. La CGIL risque aussi d’être balkanisée par la crise entre les forces politiques. Le syndicat se trouve à un moment crucial de son avenir ».

Carla Ronga est peut-être emblématique d’un parcours italien. Anciennement membre de Démocratie prolétarienne puis de Refondation communiste, elle a adhéré à DS tout en participant aux réunions de son aile gauche, le Corentone, et maintenant à la Gauche démocratique. Directrice d’Aprile, un magazine en ligne, elle dit clairement : « C’est notre dernière chance, sinon on va finir comme en France. On a besoin de la gauche dans le monde. On est face à la mondialisation, les droits des gens sont attaqués. » Communiste ? Socialiste ? « Le mot communiste est important dans l’histoire, souligne-t-elle. Mais nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut aller au-delà du communisme de Marx. Ce qui est important ce n’est pas d’être communiste mais le contenu qu’on met aux choses. »

Giovanni Berlinguer, député européen DS, qui avait adhéré au PCI en 1944, vient de quitter DS pour la Gauche démocratique. Il se félicite du travail des parlementaires italiens de gauche car « il faut d’abord travailler ensemble, s’unir. Pour l’instant nul besoin de créer une structure », dit-il. En termes politiques, s’il estime qu’il faut « combattre les choix du système capitaliste actuel, sans règle, sans limite, qui compromet l’existence du genre humain et qui empêche une solidarité universelle », il précise toutefois qu’il est « impossible de supprimer le capitalisme » et que lui-même n’est pas « contre la propriété privée des moyens de production ».

Comment concilier cette pensée avec celle de Franco Giordana, secrétaire général de Refondation communiste, qui dit vouloir « construire les conditions d’une gauche alternative qui critique les formes modernes du capitalisme et de la mondialisation », ce qui ne plaît pas à tout le monde au sein de cette formation d’où une scission n’est pas à exclure ? L’avenir le dira. Comment prendre en compte cette exigence du militant de base qu’est Franco Bianco, de Refondation communiste, à Rome, qui veut un « parti pluriel de la gauche » parce qu’il craint une « disparition de la gauche », lui qui se dit « profondément communiste », ou celle du journaliste Gian-Piero Cazzato du PdCI qui constate que « la société italienne bascule à droite » et qui veut « une gauche forte qui réponde aux exigences des gens » ? Là encore, les discussions se poursuivent. Une volonté semble émerger de part et d’autre, celle de préparer pour les élections administratives (municipales et régionales), prévues l’an prochain en Italie, des listes communes qui seraient un sondage grandeur nature pour la gauche de transformation. Piero Bernocchi des Cobas (syndicats indépendants), qui dénonce la politique du gouvernement Prodi, est farouchement opposé à tous ces rapprochements. « Ils veulent être la gauche du gouvernement et ne sortiront plus de l’alliance avec le Parti démocratique, prévoit-il. Ce gouvernement fait des choses que la droite n’avait pas osé faire. » Il préconise « une alliance sociale anticapitaliste. Peut-être, comme en Amérique latine, y a-t-il de nouveaux chemins électoraux à trouver ».

Reste deux problèmes et non des moindres : la presse et l’Europe. Sur le premier point une proposition est venue de Piero Sansonetti, directeur de Liberazione, quotidien de Refondation communiste, de ne faire qu’un seul journal en regroupant les publications existantes : c’est essentiellement, outre son média, Il Manifesto, Aprile et Rinascita (l’hebdomadaire du PdCI). « Le problème est de reconstruire une gauche capable d’avoir une influence sur l’opinion publique, pas seulement pour les élections mais sur toutes les grandes questions de société, soutient-il. Pour le résoudre il faut un grand parti mais aussi un journal de gauche. » Si Carla Ronga est enthousiaste, Gabriele Polo, directeur d’Il Manifesto, est plus dubitatif. « Nous sommes indépendants, pas un journal de parti, précise-t-il. Si on renonce à la critique, on renonce à une gauche différente. » Enfin, se pose la question des appartenances européennes des uns et des autres. Si pour l’heure rien n’est tranché, les conséquences seront directes, notamment pour la Gauche unie européenne (GUE/GVN) dont le groupe est présidé par le communiste français Francis Wurtz. Les députés européens de Refondation en sont membres. Ceux du SDI sont dans le groupe du Parti socialiste européen (PSE). Que se passera-t-il en 2009, lors du prochain scrutin européen ? Fausto Bertinotti, par ailleurs président du Parti de la gauche européenne, a déjà écrit que les cloisons entre les deux groupes n’étaient pas si imperméables. C’est dire si les débats transalpins pourraient avoir des répercussions politiques plus

profondes et plus rapides qu’attendu en France même.

Pierre Barbancey


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