En avant, pas comme avant

mercredi 15 avril 2020.
 

Les appels à l’État pleuvent de toutes parts. À l’orée de ce XXIe siècle où le tout marché avait pris la main, où l’État était réduit à déchaîner la compétition ou l’austérité, comment ne pas ressentir un vent de fraîcheur ? Clémentine Autain chronique le Covid-19.

Les services publics sont plébiscités. L’obsession de la rentabilité pour notre système de soins, visiblement criminelle, n’est plus à l’ordre du jour. La menace du Covid-19 nous fait redécouvrir les atouts d’un État protecteur, capable d’organiser la protection des citoyen.ne.s. La globalisation est pointée du doigt comme responsable de dangereuses dérégulations. L’idée de nationalisation ou de réquisition s’énonce sans susciter des cris d’orfraies. Je ne parle pas ici des mots flottants de la Macronie le temps d’une crise mais de l’état d’esprit général du moment. Oui, ça fait du bien.

L’époque change à une vitesse ébouriffante. Il est d’ailleurs intéressant de voir les convergences programmatiques s’affirmer au sein des gauches et des écologistes, comme le note Pauline Graulle dans Mediapart. Les curseurs politiques d’un large rassemblement se cherchent. Ma conviction est qu’il n’émergera pas d’un cartel de partis mais d’une dynamique sociale et politique, capable d’articuler des exigences sociales et écologistes, capable aussi de dégager à la fois une grande cohérence et de laisser vivre le pluralisme. Les termes, le récit, l’imaginaire de ce « nouveau tout » capable de porter une espérance doivent trouver une expression nouvelle pour être fédératrice dans notre séquence historique.

Pour qu’émerge ce chemin d’émancipation humaine, nous devons faire face à la macronie, à toute cette idéologie néolibérale et technocratique qui gouverne depuis trop longtemps. Nous devons également pilonner l’ascension de l’extrême droite qui espère tirer les marrons du feu de la crise sanitaire, en misant sur le repli nationaliste et l’autoritarisme, en espérant engranger sur la tentation de revenir « au bon vieux temps ». C’est pourquoi je crois profondément que les mots et les idées que nous avançons doivent charrier une représentation de la société qui nous dissocient clairement des deux autres options politiques en présence. De la clarté des différents chemins possibles dépend notre capacité à gagner.

Mon optimisme me porte à penser que nous avançons collectivement dans ce cheminement vers une narration renouvelée. Je veux malgré tout pointer ici un aspect, et non des moindres, qui me préoccupe. La valorisation du rôle de l’État et la critique de la mondialisation telle qu’elle ne va pas ne sauraient conduire à nous associer au Gosplan ou à l’enfermement dans les frontières nationales. Les nationalisations font partie des possibilités pour reprendre la main sur la production. Elles ne sont pas les seules.

Les formes de type Scop, c’est-à-dire des reprises par les salariés d’une entreprise, sont aussi des réponses souhaitables pour toute une série d’activités. Elles ne règlent pas tous les enjeux économiques et de pouvoir mais elles participent de la réponse. Nous avons besoins de lois qui interviennent dans l’ensemble de l’économie, notamment en tordant le cou à sa financiarisation, pour orienter ce que nous fabriquons, dans une perspective de changement social et écologique. La question de la démocratie dans l’entreprise est majeure. Pour choisir l’affectation des bénéfices ou des choix stratégiques de l’entreprise, il faut augmenter le pouvoir de celles et ceux qui y travaillent là où les possédants des capitaux ont toute latitude aujourd’hui. Mais pas seulement ! Qui décide de ce que l’on produit ? Les usagers, les consommateurs, les citoyens ne peuvent plus être exclus de ces choix. La seule main de l’État ne suffit pas à régler la question. Penser une appropriation sociale des outils de production est indispensable. C’est l’ensemble de l’économie qui doit être tournée vers le bien commun, et non seulement les entreprises d’État – ce qui par ailleurs ne suffirait pas à en être une garantie absolue et dans la durée.

L’État est un outil, il n’est pas le seul. La nation est une échelle de souveraineté, elle n’est pas la seule.

De la même manière, il faut relocaliser l’économie pour arrêter l’immense gâchis environnemental que produisent les flux mondiaux de marchandises. C’est aussi une façon de redonner de la souveraineté aux peuples. Mais croire que nous pourrions régler tous les problèmes à une échelle nationale est totalement illusoire. On le voit avec la pandémie : nous sommes interdépendants. On le sait également avec le climat : les émissions de gaz à effet de serre ne s’arrêtent pas aux frontières. C’est pourquoi protéger notre économie de la globalisation néolibérale est nécessaire mais ne suffit pas à répondre aux défis de notre temps.

L’État est un outil, il n’est pas le seul. La nation est une échelle de souveraineté, elle n’est pas la seule. Rien de magique donc dans l’affirmation de l’État et de la nation, tout dépend ce que l’on en fait, et aussi de comment on transforme l’appareil d’État puisqu’il n’est, par exemple, pas neutre du point de vue des rapports de classe. Quand Donald Trump se réclame de la souveraineté américaine pour décider qu’il ne respectera pas les engagements visant à limiter les gaz à effet de serre, il aliène la souveraineté de tous les peuples du monde. Je pense aussi à l’utilisation possible d’un État fort pour surveiller nos libertés avec le « tracking » contrôlant nos allers et venues. Je pense aussi à la fermeture des frontières en matière de circulation des personnes. Ce n’est pas là le sens de la société que nous voulons construire. Nous cherchons à accroître les libertés et la coopération entre les peuples. Nous visons la justice sociale et la transition écologiste. Et pour se faire, il faut changer de République, ouvrir un processus constituant dans lequel la question de nos besoins devra être largement discutée et l’enjeu de l’élévation des droits et protections franchement affirmé.

Clémentine Autain


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