Coronavirus : les « riens » portent le pays.

mardi 28 avril 2020.
 

Depuis le début de la crise sanitaire, certaines professions portent le pays à bout de bras. Ce sont souvent les plus mal payés. Ce que les anglo-saxons appellent les « Bullshit jobs » (littéralement, « les métiers à la con »), sont à l’inverse bien plus rémunérés et valorisés. On continue dans le monde d’après ?

Travaille à l’école, sinon tu vas devenir caissière.

« Travaille à l’école, sinon tu vas devenir caissière ». « Tu vas finir à récurer des chiottes ». « Ton père l’éboueur ». Les profs ? « Toujours en vacances ». Les fonctionnaires ? « Des assistés ». Vous avez forcément déjà entendu ça quelque part. Et pour cause. Soignant, caissier, agents d’entretien, éboueurs, enseignants, postiers, pompiers, livreurs… sont rarement des métiers valorisés par les libéraux, par ceux qui considèrent que, quand on a ce genre de métier – pourtant indispensables à la collectivité – c’est qu’on n’aurait pas « réussi ».

Mais parlons-en, justement, de ceux qui ont « réussi ». Réussi quoi ? Consultants, publicitaires, trader, « chief happiness officer »… ont-il réussi des prouesses depuis le début du coronavirus ? Sauver une vie ? Nourrir la société ? Nettoyer nos rues ou nos hôpitaux pour éviter la propagation du virus ? Apprendre à lire ou à écrire à nos enfants ? Éteindre un incendie ? Peut-être que la période est propice à une remise en cause. Celle des « Bullshit jobs ». Nom d’ un ouvrage de David Graeber, un anthropologue américain, qui nous invite justement à nous interroger sur ces métiers soi-disant sans réel intérêt pour la société.

Ceux qui ont réussi, et ceux qui ne sont « rien »

Peut-être que la séquence que nous vivons, pourrait être l’occasion de rabattre les cartes. Entre « ceux qui ont réussi », et « ceux qui ne sont rien » pour reprendre les mots de monsieur Macron. Sans les soignants pour nous sauver la vie ou celle de nos proches, sans les enseignants pour éduquer nos enfants, sans les éboueurs pour vider nos poubelles, sans les caissières et les livreurs pour nous nourrir, comment la société tournerait ? Comment vivrions-nous aujourd’hui ?

Peut-être que la crise sanitaire, environnementale, sociale, économique et financière que nous allons traverser, nous autorise à nous reposer la question des métiers et des rémunérations qui font sens. Pour affronter les crises sanitaires et environnementales qui s’avancent, avons-nous besoin de plus de soignants et d’ingénieurs dans les énergies renouvelables, ou bien de publicitaires et de traders ?

Quels sont nos besoins essentiels ? Former des bataillons de consultants en marketing, ou commencer à former notre jeunesse aux centaines de milliers d’emplois qui seront à pourvoir dans la transition énergétique ? La question du sens d’un travail est essentielle. Combien de jeunes, de chômeurs, d’employés, de cadres, se la posent tous les matins. À quoi je sers ? Qu’est-ce que je pourrais apporter à la société, pour l’intérêt général, face aux défis du siècle qui se profile ? Peut-être que se poser la question des rémunérations des différents métiers, selon leur sens, selon ce qu’ils apportent à la société, pourrait être un bon début ?

1 500 € pour une infirmière, 88 000 € pour un trader

1 500 euros. C’est le salaire moyen d’une infirmière en début de carrière. Dans l’OCDE, la France se classe 26ème pays sur 29. Dans la majorité des pays de l’OCDE, le montant de la rémunération des infirmiers est supérieur au salaire moyen. La France est la seule exception du G20.

74 000 euros. C’est la rémunération moyenne mensuelle d’un trader de la Société Générale. Du côté de la PNB Paribas, c’est 88 000 euros. Sur une année, salaire et bonus compris, 823 000 euros en moyenne à la Société Générale, 968 000 euros chez BNP Paribas. Des millionnaires ? Petits joueurs ! Il faut « des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaire » selon Emmanuel Macron. Mais milliardaire pour apporter quoi ?

Quels rêves et quels métiers encourager face aux défis qui s’avancent ? Devenir milliardaire à la tête d’une des 30 multinationale à l’origine de 71 % des émissions de gaz à effet de serre ? Devenir trader, pour jouer avec les CDS, actions financières ultra-nocives représentant 60 000 milliards de dollars, créant des bulles spéculatives comme celle des subprimes, qui a mené à la crise économique mondiale que l’on connaît ? On recommence comme en 2008 ? On socialise les pertes, puis on privatise à nouveau les profits, quand le capitalisme reprendra son cours, sans surtout ne rien changer ? On relance les cures d’austérité qui ont détruit nos services publics, on continue à supprimer des postes de soignants et à fermer des lits d’hôpital ?

Augmenter et encadrer les salaires ?

Pourtant la période pourrait nous ouvrir les yeux. Sur les métiers vitaux. Et sur les métiers dénués de sens, voire même nocifs pour l’intérêt général. Comment encourager ces métiers essentiels, et mieux encadrer les métiers nocifs ? Quels rêves et quel métiers on encourage face aux défis qui s’avancent ?

On pourrait commencer par augmenter les salaires des soignants, des infirmiers, des pompiers, des éboueurs, des enseignants, des caissiers. On pourrait également encadrer les salaires. Par exemple ne pas avoir d’écart de salaire de plus de 1 à 20 au sein d’une même entreprise comme le propose le programme « L’Avenir en commun ». Qu’est-ce qui justifie qu’un trader gagne 57 fois plus qu’un infirmier ? On pourrait interdire le versement de dividendes aux entreprises qui reçoivent des aides de l’État pour faire face au coronavirus. Des milliards et des milliards d’€ qui pleuvent en ce moment même en pleine crise sanitaire. Alors même que certains soignants n’ont toujours pas de protections. On pourrait rétablir l’ISF, pour récupérer 3,2 milliards à injecter dans la planification sanitaire. Ça tombe bien, le programme « l’Avenir en Commun », vient d’être actualisé.

Que l’effort ne soit pas demandé à celles et ceux qui portent déjà le pays à bout de bras depuis bientôt 7 semaines. Les applaudissement à 20 heures aux fenêtres et aux balcons, s’arrêteront un jour. Ce jour là, ces héroïnes et ces héros du quotidien, dans une lumière temporaire pour certains, dans l’ombre pour beaucoup d’autres, continueront à assurer nos besoins essentiels. Le coronavirus aura au moins servi à ça : révéler ces métiers essentiels. Qu’on tâche de ne pas l’oublier dans le monde d’après.

Par Pierre Joigneaux.


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