La leçon de la Vénétie : des tests, des tests, des tests

lundi 18 mai 2020.
 

Le microbiologiste Andrea Crisanti explique la stratégie de la région pour le dépistage et le déconfinement.

Le microbiologiste Andrea Crisanti est un chercheur plutôt discret, qui d’ordinaire ne se répand pas dans la presse et sur les plateaux de télévision. Mardi 5 mai, le maire de Padoue lui a rendu un hommage appuyé en lui remettant le sceau de la ville, en remerciement de son action décisive dans la lutte contre le coronavirus. Dans son court discours, le chercheur, visiblement ému, a tenu à remercier « Cristina », une de ses voisines, qui, ces dernières semaines, lui a laissé chaque soir ou presque, devant sa porte, de quoi dîner. Retrouvée sans difficultés par la presse locale, sa bienfaitrice a lâché : « Je le voyais partir tous les matins à 7 heures, et rentrer si tard le soir… »

Revenu en Italie en octobre 2019, cet ancien professeur de l’Imperial College London, originaire de Rome, a laissé au Royaume-Uni sa femme et son fils. Pour toute la Vénétie, et même au-delà désormais, il est devenu une sorte d’homme providentiel. C’est en effet lui qui a mis sur pied, à rebours des opinions dominantes, une stratégie originale de lutte contre l’épidémie qui a sans doute permis à sa région d’éviter le pire.

Quand les premiers cas de patients positifs au Covid-19 ont été détectés, le 20 février, dans la province de Lodi (Lombardie) et à Vo Euganeo, en Vénétie, Andrea Crisanti était en route vers l’Australie, où il devait participer à une conférence. A peine arrivé sur place, le chercheur a décidé de repartir dans l’autre sens. Puis il a demandé les coordonnées du président de la région Vénétie, Luca Zaia, et, après une longue conversation, il l’a convaincu de suivre son plan d’action.

Effort particulier sur l’hôpital de Padoue

La petite ville de Vo (3 000 habitants), nichée au pied des monts Euganéens, un ensemble de collines escarpées à proximité de Padoue, venait d’être identifiée comme le premier foyer de contagion dans la région, après la mort d’un résident de la commune âgé de 78 ans, diagnostiqué positif au coronavirus.

« La première chose que nous avons faite, après avoir mis en place la “zone rouge”, ça a été de tester l’ensemble de la population, détaille le chercheur. Nous avons trouvé 73 positifs, dont près de la moitié n’avaient pas de symptômes. C’était une très mauvaise nouvelle, car évidemment les asymptomatiques sont les plus dangereux en matière de contagion, vu qu’ils ne se sentent pas malades. Pour stopper la contagion, il faudrait donc remonter les chaînes de transmission, tester les voisins, les collègues, les amis d’un malade, et même tous ceux qui pensent seulement qu’ils ont pu avoir été en contact… L’idée générale était d’utiliser les tests dans un processus dynamique, comme un instrument de contrôle autant que de diagnostic. »

Dans le même mouvement, tandis que le foyer initial était circonscrit, Andrea Crisanti conseille de porter un effort particulier sur l’hôpital de Padoue. « Avec plus de 1 800 lits, c’est le plus grand hôpital d’Italie. Si l’épidémie s’y était déclarée, comme c’est arrivé en Lombardie, ça aurait été un désastre, le virus serait devenu incontrôlable », souligne le chercheur. « Donc nous avons décidé qu’il fallait tester tout le monde, les soignants comme les malades entrant dans les unités, et, pour les opérateurs sanitaires, recommencer toutes les deux semaines. »

« Mieux préparée qu’ailleurs »

Dans la confusion des premiers jours de la crise, cette stratégie reçoit plus de critiques que d’éloges, mais elle porte vite ses fruits. Alors que la contagion semblait au départ aussi forte en Vénétie qu’en Lombardie, celle-ci recule, plus vite qu’ailleurs. Avec un peu plus de 18 000 cas recensés (et 1 666 décès au soir du 11 mai), le bilan reste lourd, mais sans commune mesure avec les 15 000 morts recensés en Lombardie – le bilan officiel de la protection civile est pour l’heure de 30 739 décès au niveau national. D’autant plus que nombre des morts recensés en Vénétie sont plus liés à la proximité de la Lombardie qu’au foyer originel. Venise, par exemple, ne compte plus que quatre patients hospitalisés, et aucun n’est en soins intensifs.

A l’échelle de cette région de moins de 5 millions d’habitants, près de 450 000 tests ont été réalisés depuis le début de la crise. C’est presque autant qu’en Lombardie, une région deux fois plus peuplée. « Il faut souligner que la région était sans doute mieux préparée qu’ailleurs. Ces dernières années, la Vénétie a été le plus important foyer de fièvre du Nil occidental en Europe, ce qui a donné quelques automatismes », avance Andrea Crisanti pour expliquer l’exceptionnelle réactivité de l’ensemble des opérateurs sanitaires locaux. Aujourd’hui, on ne recense plus qu’une poignée de cas par jour, ce qui a incité le président de la région, Luca Zaia, à se placer en première ligne des partisans de la fin du confinement, qui ont obtenu du gouvernement Conte la possibilité d’accélérer notamment la réouverture des hôtels et des restaurants, dès le 18 mai.

Après avoir permis de calmer la propagation de l’épidémie, la stratégie de tests généralisés est désormais considérée comme l’instrument indispensable de la « phase 2 ». « Ce qu’il faut, c’est être prêts à concentrer toutes nos capacités de tests si un autre foyer se déclare », poursuit le microbiologiste. « Aujourd’hui, au niveau national, on fait plus de 60 000 tests par jour. Cela veut dire qu’en cinq jours, on peut tester une ville de 300 000 habitants. Bien sûr, je suis comme tout le monde, j’espère le meilleur, mais cela n’empêche pas de se préparer pour le pire. »

Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)

• Le Monde. Publié le 12 mai 2020 à 11h41 - Mis à jour le 12 mai 2020 à 11h58


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