Nouvelles conclusions de l’enquête LFI sur le Covid 19 en France

vendredi 29 mai 2020.
 

Le 30 mars, les groupes parlementaires de La France insoumise ont lancé une commission d’enquête sur le Covid-19. Après plus de 100 auditions d’experts, de scientifiques, de syndicalistes, d’associatifs, de travailleurs, de chercheurs, d’intellectuels et citoyens, voici leurs conclusions.

Regards. Hier, mercredi 20 mai, vous avez présenté le rapport de LFI intitulé « Mensonges et fiascos : enquête sur la gestion du Covid-19 ». Avant d’entrer dans le vif, pourquoi avez-vous considéré nécessaire de mener cette enquête et comment a-t-elle eu lieu concrètement ?

Mathilde Panot. Au début du confinement, on a été convoqué pour voter l’état d’urgence sanitaire qui concentre encore plus les pouvoirs autour du Président et du gouvernement que ce que ne permet la Vème République, avec un contrôle des parlementaires quasiment inexistant. En avril, une mission d’information sur l’épidémie a été lancée et il est apparu de façon très clair que tout ceci n’est qu’une mascarade démocratique. Je me rappelle de la première séance – où l’on a auditionné le Premier ministre. On a eu deux minutes de parole au bout de 2h30 d’audition. Puis, Richard Ferrand, qui préside la mission d’information, a décidé de réduire le temps de parole à une minute pour auditionner les ministres. Ils ont confiné la démocratie, concentré tous les pouvoirs autour d’eux pour tout décider seuls dans un moment où une mobilisation populaire était possible et le besoin de démocratie fort, notamment dans l’entreprise. Il nous a apparu très important de pouvoir faire ce contrôle du gouvernement, aussi par le biais d’auditions qu’on ne pouvait pas mener dans le cadre de la mission d’information. C’est aussi un exercice de transparence et de démocratie. La seule histoire qui a été racontée pour l’heure, c’est la version gouvernementale. Nos auditions ont couvert un large panel de thèmes : travail, écologie, état de droit, démocratie, etc. Le but était d’avoir une vision la plus exhaustive possible de ce qu’il s’était passé, du point de vue des acteurs eux-mêmes. Une sorte d’histoire populaire de la gestion de la pandémie. Certaines auditions nous ont aidés pour nos questions au gouvernement. Quand je questionne Olivier Véran, il ment ouvertement en affirmant qu’il n’a jamais été demandé de limiter l’usage de médicaments face à une pénurie de morphine (par exemple). Or, dans ce rapport, on a des témoignages de soignants expliquant qu’ils ont dû diminuer les doses voire substituer à la morphine du Valium.

Quelles sont les observations et les conclusions de ce rapport et, plus précisément, quels « mensonges » et « fiascos » avez-vous constatés ?

Je pense que tout le monde a été choqué des propos d’Emmanuel Macron, il y a quelques jours, quand il affirmait que « nous n’avons jamais été en rupture » de masques. Après, il peut faire comme Olivier Véran et traiter les soignants de menteurs. La gestion de la crise ne s’est pas appuyée sur des recommandations scientifiques – je pense notamment à l’OMS qui disait « testez, testez, testez ! », dès le 16 mars. En fait, ça a été une gestion guidée par la pénurie, sans le dire : la pénurie de soignants, de lits de réanimation, de médicaments, de protections, de masques, de tests. On nous a raconté pendant tout le début du confinement que porter des masques ne servait à rien – la palme allant à Sibeth Ndiaye qui nous racontait qu’il fallait avoir fait polytechnique pour en porter un ! – alors qu’on sait maintenant que c’est important puisque le virus se propage par l’air. Par ailleurs, et ça a été très flagrant, le gouvernement a refusé de jouer son rôle d’État. Or nous avions besoin d’État, plus que jamais. On a maintes fois proposé une planification sanitaire : réquisition des usines de textiles pour produire des masques, nationalisation de Luxfer qui produit les dernières bouteilles d’oxygène en Europe ou de Famar qui produit des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Un des plus gros fiascos, c’est cette histoire de respirateurs où le gouvernement a voulu faire un coup de com’. Sauf que, une fois de plus, en décidant seul et en refusant d’associer les soignants, il produise des milliers de respirateurs qui ne sont pas adapter pour soigner les malades du Covid-19. Outre le refus de planifier, le gouvernement a refusé d’organiser la solidarité pour éviter que la crise sanitaire se double d’une crise économique et sociale. Le préfet de Seine-Saint-Denis a alerté sur le fait que 10 à 15.000 personnes risquaient de souffrir de la faim. Le gouvernement a refusé de faire payer les plus riches en rétablissant, même temporairement, l’ISF. Tout ça a été refusé alors que nous avions besoin que l’État organise la gestion de cette crise inédite, en lien avec les syndicats, les associations, etc.

« Emmanuel Macron a toujours été autoritaire, mais notre inquiétude c’est que ça soit pérennisé – on se rappelle de l’état d’urgence pour faire face au terrorisme en 2015, prorogé six fois avant d’être inscrit dans le droit commun. »

Que répondez-vous à Emmanuel Macron qui, le 20 mars dernier, lançait : « Je félicite ceux qui avaient prévu tous les éléments de la crise une fois qu’elle a eu lieu » ?

Là encore, ça a à voir avec sa gestion autoritaire de la crise. C’est notre rôle d’opposition de faire des propositions – jamais rien de ce que l’on propose n’est accepté – et des critiques. C’est nécessaire dans un moment de crise d’avoir des contradictions. À tout moment, en démocratie, il faut expliquer qu’il y a d’autres manières de faire. Emmanuel Macron reproche simplement que l’opposition démocratique existe. J’irais même plus loin : la critique est nécessaire pour que le jeu démocratique, le débat, puisse avoir lieu. Le Président a voulu décider seul, en écrasant le Parlement. Ça n’est pas une manière démocratique de gérer une crise. Emmanuel Macron a toujours été autoritaire, mais notre inquiétude c’est que ça soit pérennisé – on se rappelle de l’état d’urgence pour faire face au terrorisme en 2015, prorogé six fois avant d’être inscrit dans le droit commun.

Le « monde d’après » le Covid-19 se dessine petit à petit, avec la crainte qu’il ressemble au monde d’avant, mais en pire, et pas seulement pour l’hôpital public. Comment faire pour éviter la catastrophe économique, sociale et politique qui s’annonce ?

Contrairement à ce que dit le gouvernement, on n’est pas dans une parenthèse. On ne va pas revenir à la normale – ce qui serait même dangereux puisque c’est la normale qui est responsable de cette situation. En 50 ans, ces maladies qui se transmettent de l’animal à l’Homme ont été multipliées par dix, accéléré par la destruction de l’écosystème. On sait qu’on va avoir d’autres pandémies et que l’urgence écologique va nous faire vivre des moments de crise d’une même intensité. Dans notre rapport, il y a toute une partie de préconisations données par les acteurs auditionnés qui vise, à partir des erreurs constatées dans la gestion de la crise, à ce que, justement, on ne reproduise jamais ces erreurs. Il faut assumer que c’est une crise systémique et que donc il faut des réponses systémiques. La première des choses, c’est de rompre avec toute la boîte à outils néolibérale (il faut baisser le coût du travail, flexibiliser, délocaliser). Pendant la crise du coronavirus, on a signé deux accords de libre-échange avec le Mexique et le Vietnam ! Il faut rompre avec ces dogmes qui nous ont amené au chaos – la sixième puissance mondiale s’est retrouvée avec des soignants en sac-poubelle. Il faut relocaliser les activités, réinvestir dans les services publics qui nous ont permis de tenir – en plus du dévouement des personnels. Il faut profiter de cette occasion où l’on a stoppé les secteurs polluants pour repenser la bifurcation écologique et solidaire dont on a besoin, ce qui veut dire : augmenter les salaires, mieux indemniser les chômeurs, re-répartir la richesse, créer des emplois socialement et écologiquement utiles, repenser les déplacements, sortir de l’agriculture industrielle et chimique, arrêter les jobs de merde qu’on donne aux gens et qui n’ont aucun sens. Si l’on avait des dirigeants ayant une réaction saine et rationnelle par rapport à la crise qu’on est en train de vivre, ça serait le moment de repenser tout cela. Mais leur stratégie est assumée, c’est la stratégie du choc de Naomie Klein : on utilise un choc pour refaire un choc néolibéral où à la fin on va continuer comme avant, mais en pire. Et ça, ça n’est pas possible.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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