Violences policières : pendant ce temps-là en France, le déni tue aussi

mardi 9 juin 2020.
 

Au moment où une partie des États-Unis se soulève après la mort de George Floyd, les violences policières s’envolent en France. Jusqu’à battre des records pour la seule année 2020.

En janvier dernier, nous écrivions ici même que de nombreux « politiques travaillent à faire interdire le fait de filmer les forces de l’ordre. Dernier en date, Jean-Pierre Grand, sénateur LR de l’Hérault. En décembre, il avait déposé un amendement stipulant ceci : "Lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires ou d’agents des douanes est punie de 15.000 euros d’amende". Le sénateur a échoué, son amendement a finalement été rejeté par le Sénat. [...] Ils essayent. Et ils essayeront encore. Inlassablement. »

Ça n’a pas raté. Le 26 mai, c’est le député Éric Ciotti qui a repris le flambeau. Il a déposé une proposition de loi visant à interdire « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes » sous peine d’une condamnation à 15.000 euros d’amende et un an d’emprisonnement. Bis repetita. Il faut interdire de filmer la police, point. Il ne prend même pas le soin de réécrire le texte.

Éric Ciotti souhaite rendre les policiers « non identifiables dans l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux », allant jusqu’à dénoncer l’application UVP (Urgence Violences Policières) lancée il y a peu par Amal Bentounsi. Rien n’est évidemment dit concernant la liberté de la presse… Et rappelons ici que filmer un policier est parfaitement légal et que ceux-ci ont l’obligation de porter leur matricule dans l’exercice de leur fonction, justement pour pouvoir être identifiés en cas de bavure, chose qu’ils ne respectent pas toujours (pour ne pas dire quasiment jamais).

Ne vous y trompez pas, le but unique de ce projet se résume à cette expression : pas vu, pas pris. Ils essayent. Et ils essayeront encore. Inlassablement.

2020, année record des violences policières ? Éric Ciotti, comme tant de ces « amis de la police », n’a que faire de protéger l’identité des policiers, ni de les protéger tout court d’ailleurs. En réalité, son zèle ne s’adresse qu’au syndicat d’extrême droite Alliance – majoritaire chez les forces de l’ordre, en cohérence avec leur vote majoritairement en faveur du RN. La police républicaine est gangrénée par des « SS au petit pied », attendant impatiemment que l’heure sonne.

Ce manque de patience devient de plus en plus difficile à masquer. Les bavures se multiplient. D’une douzaine de morts par an en moyenne, la police s’est déchaînée pendant le confinement : 12 personnes sont mortes entre les mains des « gardiens de la paix » entre le 4 avril et le 10 mai. 2020 sera sans doute l’année la plus meurtrière sur ce tableau-là.

Mais ça ne fera pas la Une. Chacun a les yeux rivés vers l’autre côté de l’Atlantique, et pour cause, le pays s’embrase, se soulève après la mort de George Floyd. Un homme noir tué par un policier blanc, l’histoire des États-Unis…

Enfin, si chacun a les yeux rivés vers l’autre côté de l’Atlantique, tout le monde n’est pas non plus dans une émotion béate. Il en est qui, comme le cardiologue Alain Ducardonnet, ne voit rien à redire à la vue des images d’un meurtre : « Quand vous avez le poids comme ça, c’est vrai que la respiration est relativement difficile. Il n’y a pas de strangulation. Il faut savoir si ce monsieur avait une maladie sous-jacente. [...] Ceci étant, comme c’est un malabar comme on l’a décrit, il y a surement quelque chose de pathologique chez ce monsieur. »

Ça se passe de commentaires.

Made in France Pendant que les États-Unis explosent, dans l’hexagone, ça tabasse de bon coeur. Gabriel, 14 ans, finit sa journée à l’hôpital après avoir croisé le chemin de plusieurs agents, pour ne citer qu’un seul exemple, tant les témoignages et les vidéos de violences policières sont légion.

C’est bien ça qui a changé ces dernières décennies. L’émergence du numérique et sa démocratisation font que désormais chacun surveille la police. Pour s’en protéger. Car oui, nombreux sont les Français à avoir peur, en témoigne la forte réaction aux propos de Camélia Jordana sur le plateau d’une émission à grande audience – et la contre-réaction du syndicat Unité SGP Police FO qui porte plainte contre l’artiste, encore une belle preuve d’amour à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme. Le numérique permet à ceux dont personne ne porte la voix d’exister dans la sphère publique. Ils parlent en leur nom, ils montrent leur quotidien. Et ça les dérange.

Ça les dérange parce que ça se passe ici, en France, au XXIème siècle. Que dire de ces mots du Printemps républicain ?

Le 31 mai, à propos de la mort de George Floyd : « Ces événements dramatiques montrent aussi combien l’histoire et le modèle américains sont différents des nôtres. Même s’il y a du racisme en France, il n’a pas la dimension structurante qu’il a aux États-Unis. Ceux qui cherchent à établir des comparaisons infondées jouent un jeu dangereux, celui de la guerre identitaire. Leur cible, c’est l’universalisme républicain qui, justement, nous protège de cette guerre. » Le 25 mai à propos des violences policières en France : « Les déclarations tonitruantes de Camélia Jordana contre les policiers qui "massacrent tous les jours" des Arabes et des Noirs, succédant à plusieurs affaires où la police a été mise en cause (Argenteuil, Villeneuve-la-Garenne, L’Ile-Saint-Denis) pour un comportement supposément raciste [1], font éclater au grand jour ce sur quoi le Printemps Républicain ne cesse d’alerter depuis sa création : le risque grandissant de dislocation de la République sous l’effet des passions identitaires ». Pour éclairer le non-racisme des policiers français, le Printemps républicain base son analyse sur… les données de l’IGPN. Là où les études indépendantes montrent toute la même chose : les Arabes et les Noirs sont les premières victimes de la police. Universalisme républicain ou melting-pot anglo-saxon ? Comme si le débat était ici… En 2016, Adama Traoré est mort sous le poids de trois gendarmes. Il y a quelques jours, une énième expertise médicale venait absoudre ces gendarmes : le jeune homme de 24 ans serait mort d’avoir couru 400 mètres en 17 minutes. Son coeur n’aurait pas supporté. Une expertise où les médecins utilisent les termes « sujets de race noire » pour parler d’Adama Traoré. Est-ce donc cela l’universaliste républicain ?

L’État protège ses institutions, quoi qu’il en coûte. Un exemple criant, celui des gilets jaunes : au 31 décembre 2019, des 217 enquêtes confiées à l’IGPN, 68 ont été classées sans suite, 19 ont justifié l’ouverture d’une information judiciaire et deux CRS ont été condamnés à deux et quatre mois de prison avec sursis. Le pire des violences policières, c’est que la justice ne suit pas.

Trois citations pour finir.

Zineb El Rhazoui sur les violences à Mantes-la-Jolie en novembre 2019 : « Il faut que la police tire à balles réelles dans ces cas-là [...] Quand vous avez un guet-apens de cent barbares... La police américaine aurait tiré à balles réelles ! » Will Smith, sur la mort de George Floyd : « Racism is not getting worse, it’s getting filmed. » Suprême NTM, C’est arrivé près de chez toi : « Les bavures sont au menu, j’te souhaite la bienvenue Dans la France de ceux qui pensent qu’en banlieue On ne peut pas penser puisqu’on pense qu’à danser, rapper sur des beats cadencés Remarque ils pensent aussi qu’les 3 millions de chômeurs c’est 3 millions d’immigrés, donc, c’est clair que c’est Pas gagné, qu’avec leur vision bornée J’me dis même, que le mec qui r’dressera le pays, il est pas encore né Ouais, c’est ici qu’on vit et c’est ici aussi qu’officie La plus grande bande de fachos qui fit si Peur en son temps fils ! Si on laisse couler, on est morts Coupons les couilles du porc ! Ouah, ça c’est fort ! [...] C’est arrivé près de chez toi, ouais, presque sous ton nez Cesse de prendre cet air étonné, pas le moment d’abandonner Faut tout donner afin de changer les données It’s underground o’clock, le Glock va détonner »

Loïc Le Clerc

Notes

[1] « Un bicot, ça nage pas » ne serait donc qu’un « comportement supposément raciste » ?


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