En attendant le mois de juillet : Macron parle encore, mais ne promet toujours rien de précis

jeudi 18 juin 2020.
 

Le président de la République s’est de nouveau exprimé, dimanche 14 juin au soir, pour se défendre de sa gestion de la crise sanitaire et lancer des promesses de « réinvention », sans livrer de réponses concrètes. Au lendemain de manifestations massives, il n’a eu aucun mot pour dénoncer les violences policières, mais a rendu un hommage appuyé aux forces de l’ordre.

Dix-neuf minutes pour ne pas dire grand-chose. Dimanche 14 juin au soir, Emmanuel Macron s’est exprimé pour la quatrième fois depuis le début de la crise sanitaire afin d’en « tirer les premières leçons » et de « dessiner en quelques lignes » le « nouveau chemin » qu’il entend emprunter pour les deux dernières années de son quinquennat. Comme il l’avait fait lors de sa dernière allocution, le président de la République a lancé des promesses de « réinvention » [voir article ci-dessous], sans offrir de garanties concrètes.

Au lendemain de manifestations massives à travers toute la France [1], il n’a eu aucun mot pour dénoncer les violences policières – expression dont il refuse jusqu’à l’emploi [2] –, mais a rendu un hommage appuyé aux forces de l’ordre qui « méritent, selon lui, le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation ». Assurant qu’il serait « intraitable » face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations, il a jugé « inacceptable » que ce combat soit récupéré par ce qu’il appelle les « séparatistes ».

C’est en fin d’allocution que le chef de l’État a renoué avec le discours classique de la droite, appelant tout un chacun à s’« unir autour du patriotisme républicain » et n’abordant les mouvements actuels que sous l’angle du « communautarisme ». « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue », a-t-il affirmé, confondant de nouveau l’histoire et la mémoire, comme l’a souligné l’historien Nicolas Offenstadt sur Twitter.

Avant cela, Emmanuel Macron a annoncé lui-même les dernières étapes du déconfinement, exercice jusqu’ici dévolu à son premier ministre : à partir de lundi, tout le territoire, « à l’exception de Mayotte et de la Guyane où le virus circule encore activement », passera en « zone verte », ce qui permettra « une reprise plus forte du travail, et la réouverture des cafés et restaurants en Île-de-France ». Il sera aussi possible de se déplacer en Europe, et même d’aller plus loin à compter du 1er juillet.

Le président de la République a également indiqué que les crèches, les écoles et les collèges devront se préparer dès lundi à accueillir « à partir du 22 juin tous les élèves, de manière obligatoire et selon les règles de présence normale ». Les rassemblements, eux, devront être « évités au maximum » et « resteront très encadrés », a-t-il expliqué, alors que le Conseil d’État vient de rétablir en partie la liberté de manifester sur la voie publique [3] et que des mobilisations des personnels soignants sont prévues mardi.

Confirmant la tenue du second tour des élections municipales le 28 juin [4], il a enfin autorisé les visites dans les maisons de retraites et autres établissements médico-sociaux. Fort de ces bonnes nouvelles, le chef de l’État s’est adressé un petit satisfecit quant à sa volonté de commencer le déconfinement à partir du 11 mai, alors que beaucoup, à l’époque, « le déconseillaient, il n’y avait pas de consensus, les avis étaient très différents y compris parmi les scientifiques ».

Au détour d’une phrase, il a de nouveau reconnu des « failles » et des « fragilités » dans la gestion de la crise, mais ne s’est pas attardé sur le sujet. Il a en revanche lourdement insisté sur « tout ce qui a été fait » et dont il exhorte à être « fier ». « Au total, nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour notre économie, pour les travailleurs, pour les entrepreneurs, mais aussi pour les plus précaires, a-t-il par exemple rappelé. C’est inédit. Et je veux ce soir que vous le mesuriez aussi pleinement. Dans combien de pays tout cela a-t-il été fait ? C’est une chance et cela montre la force de notre État et de notre modèle social. »

Si ces dépenses « se justifient en raison des circonstances exceptionnelles », Emmanuel Macron a tout de même prévenu : « Elles viennent s’ajouter à notre dette déjà existante. » Pour les financer, il se refuse toujours à rétablir l’impôt sur la fortune (ISF) ou à envisager de façon ponctuelle une « contribution des plus aisés », comme l’avait proposé le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand [5] – « nous n’augmenterons pas les impôts », a-t-il dit – et entend donc poursuivre sur la voie suivie depuis trois ans. Cette semaine, il a d’ailleurs fait savoir qu’il ne comptait pas renier ses réformes, à commencer par celle des retraites.

Le chef de l’État a ensuite déroulé un programme présidentiel – pour une « reconstruction économique, écologique et solidaire » – en contradiction complète avec les politiques qu’il conduit au jour le jour. Sur la méthode, il a assuré vouloir remettre les corps intermédiaires, des élus locaux aux syndicats, sans oublier les responsables associatifs, au cœur des décisions publiques. « Faisons-leur davantage confiance », a-t-il lancé, comme s’il n’était pas le seul à entretenir de la défiance.

« Je veux ouvrir pour notre pays une page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités inédites à ceux qui agissent au plus près de nos vies », a-t-il également promis, en y incluant les universités, qu’il a pourtant récemment rendues « coupables » d’avoir « cassé la République en deux » [6]. Parlant de la jeunesse comme d’une « force », mais incapable de lui répondre lorsqu’elle le bouscule, il continue donc de lui proposer de vieux schémas de pensée [7].

Dans un patchwork de ses dernières allocutions, Emmanuel Macron a répété qu’il travaillait « dans un esprit de concorde » à « quelques priorités susceptibles de rassembler le plus grand nombre ». C’est surtout autour de sa personne qu’il souhaite rassembler dans la perspective de la présidentielle de 2022 – il a d’ailleurs évoqué « le cap de la décennie que nous avons devant nous ». Ainsi a-t-il déroulé un propos censé satisfaire toutes les strates de son électorat. Un propos truffé de formules, mais sans réponse concrète. Pour cela, il faudra encore attendre le mois de juillet, a-t-il conclu.

Ellen Salvi

• MEDIAPART. 14 juin 2020 :


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