« Macron ne fait que donner à l’industrie pharmaceutique ce qu’elle veut : plus d’argent public »

mardi 23 juin 2020.
 

En visite chez Sanofi près de Lyon ce mardi 16 juin, le président de la République a annoncé de nouvelles aides publiques pour le géant pharmaceutique. Et tout le problème est là pour Jérôme Martin, co-fondateur de l’Observatoire de la Transparence dans les politiques du médicament.

Regards. Ce mardi 16 juin, Emmanuel Macron visite une usine Sanofi afin de mettre en scène sa volonté de rendre à la France son indépendance en matière de médicament. Qu’en dites-vous ?

Jérôme Martin. Il s’agit bien d’une mise en scène, puisque politiquement, dans les faits, la majorité parlementaire a, il y a quinze jours, démantelé une initiative de La France insoumise proposée à l’Assemblée nationale de créer un pôle public du médicament. Il faut séparer le médicament, le vaccin, le dépistage, le masque de la logique de l’offre et de la demande, de la logique du profit. Sinon, on restera soumis d’une façon ou d’une autre à une industrie dont le caractère privé fait qu’elle n’est pas là pour remplir une mission de santé publique. Le Président peut bien parler de relocalisation et d’indépendance, il parle le même langage que Sanofi. Emmanuel Macron ne fait que donner à l’industrie pharmaceutique ce qu’elle veut : encore plus d’argent public pour ses actionnaires.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette idée d’un « pôle public du médicament » ?

C’est le seul moyen de retrouver notre souveraineté sanitaire. On ne peut pas imaginer moraliser une entreprise privée. Ça ne fonctionne pas comme ça. C’est pour cela qu’il faut mettre cette industrie en concurrence avec un pôle public, dont le rôle est d’être rattaché aux besoins réels de la population, d’éviter les pénuries – tout ce que l’industrie pharmaceutique et Emmanuel Macron ne font pas. Il faut bien savoir que ces entreprises privés sont totalement dépendantes de l’argent public – sans parler des médicaments financés par les dons, défiscalisés de surcroît. Résultat : le budget de la Sécurité sociale explose à cause du prix de plus en plus prohibitif des médicaments, ce qui conduit à des politiques d’austérité. Les risques sont publics, les bénéfices sont privatisés. On donne 150 millions d’euros par an à Sanofi au titre du Crédit Impôts Recherche, soit 1,5 milliard en dix an. En dix ans, Sanofi a supprimé plus de 2800 postes de chercheur, a abandonné les recherches sur Alzheimer. Quand on voit ça, on se demande pourquoi cet argent – qui est là, qu’on donne au privé – ne va pas dans une recherche publique forte qui permette de planifier des besoins, de les anticiper. Rappelons aussi que Sanofi a versé 4 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires le mois dernier. En pleine crise du Covid, c’est indécent !

Malgré les millions d’euros d’argent public qu’ils reçoivent, ces géants industriels qui ne cessent de délocaliser leurs activités. Comment endiguer cette logique ?

Les délocalisations sont le résultat de la logique qui anime le secteur privé : le profit. En Chine et en Inde, la main d’oeuvre est nettement moins chère – et la pollution liée aux matières premières du médicament est moins réglementée. C’est la seule raison de notre dépendance à 80% vis-à-vis de ces deux pays. La première étape pour changer les choses, c’est la transparence. Ça fait un an que la majorité parlementaire la refuse. Il y a un an, l’Assemblée mondiale de la santé adoptait une résolution pour la transparence sur les prix des médicaments – notamment les contributions publiques. La France était contre au début. Il a fallu qu’on fasse pression pour que cela change. Mais rien n’a été fait concrètement en France. Imaginez, en mai 2019, alors qu’Agnès Buzyn annonçait un plan de lutte contre les pénuries de médicaments, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée le soir même toute l’industrie pharmaceutique. À l’automne dernier, au moment du vote du budget de la Sécurité sociale, on a proposé des amendements pour concrétiser la transparence. Le rapporteur du projet de loi, un certain Olivier Véran, les a quasiment tous rejetés en première lecture – le seul amendement accepté, concernant la transparence des contributions publiques, a fini par être retoqué par le Conseil constitutionnel car celui-ci avait été adopté en deuxième lecture. Rien n’oblige à passer par la loi, ça peut se faire par décret. Mais le gouvernement n’a rien fait.

La patron de Sanofi avait laissé entendre que les Américains avaient payé la primauté d’un vaccin contre le Covid-19, avant de se dédire. Emmanuel Macron lui-même avait alors plaidé pour un « bien public mondial ». Pensez-vous que le secteur privé en soit capable ?

Non, on ne peut pas fonctionner comme ça. Là où les traitements contre le VIH ou la tuberculose marchent le mieux, c’est dans les pays qui se sont dotés les moyens de contourner le système du brevet. Si on veut faire des produits de santé un « bien public mondial », il faut sortir les médicaments, les vaccins, les dépistages, etc., du système privé qui est un système de brevets. Tout autre stratégie de la part d’Emmanuel Macron n’est qu’un peu de poudre aux yeux. Sa visite aujourd’hui est une entreprise de sauvetage de l’image de marque de Sanofi. Il faut, encore, rattraper l’image détestable que s’est donné Sanofi avec ces déclarations sur le vaccin du Covid – Sanofi faisait comprendre que s’il n’y avait pas plus d’argent public de la France, les vaccins éventuels arriveraient plus tard.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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