Déboulonner statues, totems et tabous français... ou pas ?

samedi 27 juin 2020.
 

La vague antiraciste fait peur. Mais lorsqu’elle s’en prend à des symboles du pouvoir glorifiés dans l’espace public, la peur se mue en intolérance. Si Emmanuel Macron refuse tout dialogue, la société, elle, s’est emparée de ce débat. Tour d’horizon des arguments.

« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. » De mémoire d’historien, jamais chef de l’État français n’avait mis son nez dans une telle affaire. Encore moins pour dire pareilles sottises. Car Emmanuel Macron a doublement tort – en plus de n’avoir aucune autorité en la matière. Il a tort sur le fond : depuis 1789, la République française n’a jamais cessé de « déboulonner » ses statues. Des rois sont tombés, des nobles, des collabos, etc. Il a tort sur la forme : déboulonner une statue, cela n’équivaut pas à effacer un nom de l’histoire. Ou alors, cela reviendrait à considérer que l’inverse peut être vrai : celles et ceux qui n’ont pas de statues ne sont pas entrés dans l’histoire.

Il faut bien garder à l’esprit ce qu’est une statue : l’exaltation, la glorification, l’honorification d’un personnage. Rien de moins, rien de plus. Figurez-vous nos voisins espagnols. Depuis que la gauche est au pouvoir, le pays a entrepris de déloger le dictateur Franco de son mausolée, puis envisage de faire interdire l’apologie du franquisme dans l’espace public (statues et noms de rue comprises). Parmi les nombreux contre-arguments, il y avait celui-ci : « Vous n’allez pas effacer de l’histoire celui qui fit la Sécurité sociale » – affirmation plus que discutable au demeurant. 35 ans de dictature fasciste et l’Espagne peine encore à en parler. En ce qui nous concerne, 400 ans d’esclavage, de traite négrière, de colonisation, ça mérite bien un débat.

Déboulonner les statues, oui, mais pour quoi faire ?

Avant toute chose, il s’agit de dédramatiser la situation. La France n’est pas en péril. D’autant que s’en prendre à une statue s’apparente plus à un geste de désespoir politique qu’à une volonté insurrectionnelle. Comme l’explique l’historien Emmanuel Fureix dans un entretien aux Inrocks, « l’idée est d’obtenir une réparation symbolique face à des statues ou des monuments publics qui blessent l’œil et offensent des mémoires. [...] Les gestes que l’on observe sont surtout des gestes d’interpellation de l’opinion publique. On cherche à créer des actes spectaculaires [...] plus qu’on ne cherche à renverser une souveraineté. »

En 2017 déjà, Louis-George Tin, alors président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), écrivait ces lignes :

« La question des emblèmes esclavagistes dans l’espace public [...] est formulée depuis au moins trente ans par des citoyens – qu’ils viennent de l’outre-mer ou non – qui demandent que ces symboles soient retirés. [...] Cette exigence suscite chez certains de nos compatriotes une certaine angoisse : jusqu’où, disent-ils, faudra-t-il aller ? La réponse est claire : on ne pourra sans doute pas modifier tous les symboles liés à l’esclavage dans l’espace public, tant ils sont nombreux et intimement liés à notre histoire nationale. Mais on ne peut pas non plus ne rien faire, en restant dans le déni et dans le mépris, comme si le problème n’existait pas. Entre ceux qui disent qu’il faut tout changer et ceux qui disent qu’il ne faut rien changer, il y a probablement une place pour l’action raisonnable. On pourrait, par exemple, se concentrer sur les collèges et les lycées Colbert [...] Pourquoi Colbert ? Parce que le ministre de Louis XIV est celui qui jeta les fondements du Code noir, monstre juridique qui légalisa ce crime contre l’humanité. Par ailleurs, Colbert est aussi celui qui fonda la Compagnie des Indes occidentales, compagnie négrière de sinistre mémoire. En d’autres termes, en matière d’esclavage, Colbert symbolise à la fois la théorie et la pratique [...] Comment peut-on sur un même fronton inscrire le nom de "Colbert", et juste au-dessous, "Liberté, Egalité, Fraternité" ? Comment peut-on enseigner le vivre-ensemble et les valeurs républicaines à l’ombre de Colbert ? [...] les noms de bâtiments ne servent pas à garder la mémoire des criminels, ils servent en général à garder la mémoire des héros. C’est pour cela qu’il n’y a pas en France de rue Pierre-Laval, alors qu’il y a de nombreuses rues Jean-Moulin ».

Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, a toujours été très investi par ces questions. Dans une tribune publiée par Le Monde, il interroge lui aussi la place de Colbert : « Comment comprendre [...] que dans les locaux de l’Assemblée nationale, le cœur battant de notre démocratie, une salle porte encore le nom de Colbert, qu’on ne savait pas être une figure de notre vie parlementaire ni de la République ? » À la question posée par Ouest France « changer le nom d’une salle, est-ce vraiment cela qui va faire cesser le racisme ? », l’ancien Premier ministre socialiste rétorque « oui, car les préjugés viennent de là. » Et si Colbert ne convient plus, prenons le contre-pied : « Des nouvelles rues et des nouvelles places pourraient voir le jour, en France, en donnant le nom à ceux qui ont combattu l’esclavage, comme Lamartine, Condorcet, Aimé Césaire. Je n’oublie pas non plus les tirailleurs sénégalais. Je veux qu’on présente toute l’histoire, pas seulement une partie », ajoute Jean-Marc Ayrault.

L’historienne Françoise Vergès propose pour sa part de déplacer ces statues qui dérangent tant : « En France cela fait longtemps que des statues sont déplacées et pas des moindres, la statue de La Fayette a été déplacée, Victor Hugo a été déplacé, Gambetta a été déplacé à Paris, donc ça se fait. Il n’y a pas de raison de les garder parce qu’il y a 300 ans c’était ainsi. L’histoire change, la manière dont on perçoit, la manière dont on pense la ville, elle change. »

Après le déboulonnage à Fort-de-France de la statue de Victor Schœlcher, Emmanuel Macron avait condamné « avec fermeté les actes qui [...] salissent sa mémoire et celle de la République ». Pour la chercheuse Maboula Soumahoro, interviewée par Politis, l’explication de ce geste est moins caricaturale que ne le souhaite le Président : « Ce n’est pas seulement la figure de ce personnage qui était visée, mais plus largement le "schœlcherisme", c’est-à-dire le point de vue adopté dans le récit de la décolonisation et de l’abolition de l’esclavagisme aux Antilles. Car enfin, qui valorise-t-on pour cela via le mobilier urbain ? Une figure blanche et paternaliste de "grand sauveur". C’est un parti pris. N’existe-t-il donc pas d’autre manière de célébrer ces actes ? Les révoltes d’esclaves ont pourtant été précurseuses ! » Le député européen LFI Younous Omarjee le dit d’une façon plus directe : « Si nous considérons que l’esclavage est un voyage de l’humanité au bout de la nuit, qu’on s’abstienne d’ériger à la gloire et en pleine lumière des négriers qui sont des criminels contre l’humanité. Il ne viendrait à l’esprit de personne de défendre que soit érigé une statue à la gloire d’un nazi non ? Dans le récit national, on opère des choix. Ceux qui sont faits en disent longs. »

Changer le nom d’une rue, c’est facile. Remplacer une statue par une autre, ça peut aisément s’envisager – le hashtag #JeVeuxUneStatueDe vous offrira l’embarras du choix. On pourrait aussi faire comme ces militants antiracistes qui, jeudi 18 juin, ont recouvert d’un drap noir une statue de Joseph Gallieni. Mais la symbolique, qui déjà perturbe tant le pouvoir – Édouard Philippe parle d’« épuration mémorielle » –, ne suffit pas. Maboula Soumahoro continue : « Après avoir éliminé ses statues de l’espace public, va-t-on toucher à la fortune accumulée par Léopold II de Belgique ? Le pays envisagera-t-il des réparations au Congo ? »

En France, le 10 mai, journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition, mis en oeuvre par la loi Taubira de 2001, a été une étape majeure. Mais admettons que l’on enlève la statue de Colbert, que faisons-nous d’elle alors si sa place n’est plus dans l’espace public ? Désormais, la question de la création d’un musée de la colonisation devient plus qu’essentielle. Sur Twitter, l’historien Nicolas Offenstadt explique qu’à Berlin, « il y a un musée, récemment ouvert (2016), spécialement dédié aux statues de la ville qui ont été déboulonnées au XXe siècle. Il est très bien fait, avec beaucoup d’explications dans des bornes numériques. » À Paris, nous avons le Musée national de l’histoire de l’immigration, nous avons le Musée du quai Branly, à Nantes nous avons le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, mais nous n’avons rien sur cette période longue et spécifique qu’est la colonisation. La France tourne autour de la question depuis des années, sans vouloir la saisir bien en face. Manque la volonté.

Laisser les statues, oui, mais pour faire quoi ?

Ne nous attardons pas sur ces esprits jupitériens pour lesquels il faut laisser toutes les statues à leur place et ne rien céder aux « communautaristes ». Prenant l’exemple de Jules Ferry, les propos de Mona Ozouf sont des plus éloquents et ne peuvent laisser indifférent quant à l’idée que cette histoire – l’histoire de l’humanité – ne peut se résoudre à des appréciation simplistes. L’historienne développe, le 12 juin sur France 5 :

« Je ne suis pas absolument sûre que démeubler notre espace des statues anciennes soit une très bonne idée. D’abord parce que je n’aimerais pas du tout vivre dans un pays où les rues n’auraient pas de nom et simplement des numéros. Je crois qu’on ne se rend pas compte assez souvent de la profondeur historique que donne à un peuple le fait de se promener à travers des statues et dans des rues qui portent des noms. Par ailleurs, le problème, s’il faut absolument purifier tout notre passé, c’est-à-dire ne garder sur nos places que des êtres absolument parfaits, il va y avoir un déménagement considérable. Je suis hostile à ce que nous devenions un peuple sans image, sans statue. Évidemment, il y a une célébration dans le fait de poser une statue dans un endroit. Il y a aussi un hommage. L’hommage peut être justifié, il peut être corrigé, il peut être contesté. L’exemple qui m’est constamment proposé, c’est bien entendu l’exemple de mon cher Jules Ferry, à qui on doit non seulement l’école primaire gratuite, obligatoire et laïque, mais auquel nous devons toutes les libertés sur lesquelles nous vivons. Dans les six petites années où il a exercé le pouvoir, nous lui devons la liberté de la presse, la liberté syndicale, l’élection des maires – point capital de la vie française. Il a été, nous dit-on, un colonisateur. Il a été, en effet, un colonisateur sans état d’âme. Il n’a pas été un colonialiste. Ce colonisateur, maintenant pourfendu, est quelqu’un qui a fait des écoles partout en Algérie. Des écoles qu’il appelait tendrement "mes filles". C’est quelqu’un qui, assistant à une interrogation d’un petit Mohamed par une maîtresse qui avait fait venir évidemment son meilleur élève, et qui lui demande devant les autorités, Jules Ferry, l’inspecteur d’académie : "Mohamed, peux-tu dire à ces messieurs ce que c’est que la France ?", et Mohamed répond : "C’est notre mère". Et Jules Ferry note dans son carnet : "Pauvre petit perroquet, dis plutôt notre marâtre". Voilà le colonialiste. Avec les écrits de Ferry, judicieusement découpés, on peut faire un magnifique pamphlet anticolonialiste. D’ailleurs, il a comme ennemis principaux les colons, arc-boutés contre les écoles aux petits musulmans, écoles où Jules Ferry veut introduire l’enseignement de la culture et de l’histoire arabe. Les gens sont plus compliqués, il faut essayer de mettre de la complication et de la complexité dans nos existences, parce qu’elles deviennent brutalement sommaires et binaires. »

S’il est des argumentaires qui virent à l’extrémisme – appréciez donc celui-ci –, là encore, écoutons Jean-Marc Ayrault : « Je ne demande pas qu’on démonte toutes les statues, par exemple, mais qu’on y appose une plaque rappelant qui est Colbert et ce qu’il a fait. Que ce fut, certes, un grand administrateur de l’État, mais aussi qu’il fut un colonisateur, à l’origine de la création de la Compagnie des indes, et qu’il a réalisé le Code noir. » L’historien Emmanuel Fureix expose, lui, d’autres pistes : « Je voudrais insister en réalité sur la gamme des gestes possibles. On n’est pas réduits à l’alternative entre tout détruire ou tout conserver. On peut tout à fait déplacer un monument qui est devenu insupportable, et le transformer en une pièce historique enclose dans un musée, on peut ajouter une plaque explicative pour montrer les ombres du personnage commémoré, on peut envisager la construction d’un contre-monument à proximité du monument contesté pour créer un autre espace, on peut même conserver une statue "vandalisée", comme la statue de Joséphine de Beauharnais décapitée depuis 1991 ! Bien des solutions sont possibles pour à la fois préserver des traces qui font partie d’une histoire, et en même temps montrer que cette histoire est derrière nous et que les blessures présentes et passées sont prises en compte par la société d’aujourd’hui. » L’Élysée, dans une manœuvre pour rattraper la présidentielle parole, a fait cette proposition d’ériger des contre-monuments, le 15 juin : « Il ne s’agit pas de débaptiser l’avenue Bugeaud mais pourquoi pas un monument adressé à l’émir Abdelkader » ou puis aussi « pourquoi pas une statue d’Émile Zola en face de celle de Paul Déroulède [un antidreyfusard, NDLR] »... Levée de boucliers à droite et l’Élysée rétropédale vitesse grand V. Il faut dire que l’idée d’un face-à-face figé pour l’éternité entre deux ennemis est saugrenue, un « en même temps » morbide qui ne ferait qu’ajouter de la confusion à la discorde.

Déboulonner ou ne pas déboulonner, quitte à choisir, les sorties par le haut de ce débat sont nombreuses. Pour faire ce travail de mémoire nécessaire aux citoyens – à tous les citoyens – il est peut-être temps que le pays suivent l’exemple de Bordeaux ou de Nantes, qui ont notamment apposé des plaques explicatives dans les rues au nom d’anciens négriers. Avec les limites que chacune ont rencontrées. [1]

La question de l’espace public

À Sciences et Avenir, l’historien François-Xavier Fauvelle évoque « une émotion politique, c’est-à-dire publique, et qui exprime toujours une certaine conflictualité entre le collectif qui se mobilise (pour ou contre) au sujet de la statue en question et le public qui a cette statue sous les yeux tous les jours [...] Il n’y a pas à être effrayé par ce phénomène, totalement inhérent à ce qu’est l’espace public, c’est-à-dire un lieu de conflictualité nécessaire, pour autant qu’il s’exprime de façon légale ». En fait, cette affaire de statues est double : démocratique et locale. Hélas, lorsqu’Emmanuel Macron donne sa fin de non-recevoir, le débat est-il clôt sans avoir commencé. On reconnaît bien sûr là la patte de notre cher Président absolutiste. S’il a fermé la porte à tout débat, la société, elle, s’en est saisi. Qu’ils soient pour ou contre le « déboulonnage », nombreux ont été les participants, encore plus les arguments. Mais la démocratie ne saurait s’arrêter aux portes des lieux de décisions, de pouvoir. Nous parlons justement-là d’une statue de Colbert – symbole des symboles – qui trône devant le Palais-Bourbon !

La question n’est pas seulement celle de l’histoire, de l’identité de chacun, ni celle du racisme passé et présent. C’est bien la question de l’espace public qui se pose. Cet espace qui devrait appartenir à tout le monde et à personne. Or, sans démocratie, cet espace ne peut être qu’un lieu où se règlent les conflictualités.

François-Xavier Fauvelle continue : « Nous vivons au milieu de ce réseau de symboles, qui fait l’objet, par définition, d’une gestion publique permanente : on en ajoute, en en retire ». Mais surtout, l’historien rappelle ce qui semble être méconnu de tous aujourd’hui : « La majorité des symboles historiques présents dans l’espace public ne sont nullement les produits d’un programme commémoratif national, comme le sont les monuments aux morts présents sur tout le territoire ou les plaques commémoratives de la déportation des juifs de France. Les noms de rues et beaucoup de monuments sont le fruit de décisions prises en conseil municipal pour rendre compte d’une mémoire locale. »

En prenant position, Emmanuel Macron empêche les choses de se passer normalement : par le débat, à une échelle locale, de façon apaisée – ou pour le moins apaisante.

Histoire d’une domination

Invoquer la démocratie comme solution à tous les problèmes – et donc à celui qui nous intéresse ici – est chose facile. La démocratie est le résultat de jeux de pouvoir et donc de domination. Cette question des statues, ils la posent en tant que jeunes citoyens, contemporains, là où les statues ont été placées dans l’espace public en des temps où la question coloniale ou celle du racisme ne se posaient pas, ou si peu. Emmanuel Fureix évoque « la volonté d’émanciper la société en émancipant l’espace public commun ». Or, le groupe social dominant domine aussi l’espace public. Il choisit ses héros et, de fait, tait les héros des dominés. Jeunes, femmes, noirs, arabes, etc., etc. Tous ceux qui n’ont pas voix au chapitre s’indignent de cette situation, comme l’évoque Françoise Vergès : « On compte environ 30 femmes pour 350 statues. C’est un univers très masculin, très blanc, qui n’est pas du tout dans l’égalité. Il n’y a pas d’égalité mémorielle [...] Quels sont les statues que je vois quand je me promène à Paris ? Essentiellement des hommes, blancs, très souvent guerriers, des généraux, des maréchaux ; quelques poètes, écrivains et philosophes, je vois très peu de femmes », et pour cause, 2% des rues françaises portent le nom d’une femme !

Ainsi François-Xavier Fauvelle trouve que « la quasi absence des femmes parmi les symboles historiques présents dans l’espace public est un scandale, comme l’est l’insensibilité de certains monuments à l’égard de ceux d’entre nous qui sont descendants d’esclaves ou de colonisés. Ce n’est pas du communautarisme que de le dire, seulement la prise en considération du fait que l’espace public n’appartient pas exclusivement à ceux auxquels il appartenait quand ces statues et monuments ont été érigées. L’espace public n’est pas hors de l’histoire. Il évolue comme la société. » Penser l’histoire de cette façon-là, comme un bien présent et changeant, cela mérite un effort d’empathie non-négligeable.

Dans Le Monde, Frédéric Régent, maître de conférences en histoire à l’université Paris-I, a réagi à cette affaire : « Mettre Schoelcher sur le même plan qu’un esclavagiste relève de la confusion et d’une inquiétante racialisation de l’histoire. On ne voit plus la lutte entre dominants et dominés, entre défenseurs de l’égalité et partisans de l’esclavage. Voir tout à travers le seul prisme racial, c’est faux, et cela nous promet de tristes lendemains. » Dominique Taffin, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, abonde dans le même sens auprès du journal La Croix : « Les personnages historiques visés ne sont pas tous comparables. La destruction de deux statues de Victor Schœlcher en Martinique a fait réagir notre Fondation car, certes il croyait en la colonisation civilisatrice, mais c’est surtout un grand abolitionniste », ajoutant que « seul le dialogue permettra l’apaisement des mémoires ».

Néanmoins, dire tout cela, ça ne suffit pas. Il faut savoir qui parle, « d’où » cette personne s’exprime, et surtout savoir l’écouter. Là, nous assistons à une scène de l’histoire où une partie de la population exprime un désaccord quant à l’utilisation de l’espace public. Elle nous dit à nous tous : cette statue, ce nom de rue, m’offense, m’insulte en tant qu’être. Une telle remarque ne saurait être balayée avec dédain. Les « Colbert, ça n’est pas que le Code Noir » ne suffisent pas.

Sur Facebook, le sénateur PS de Guadeloupe et ancien ministre des Outre-Mer Victorin Lurel pose finalement les termes exacts du débat politique qui n’a pas lieu : « Dans un État républicain, démocratique et libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. Pourtant, parce que l’Histoire fonde nos consciences, parce que les mémoires – longtemps honteuses – restent douloureuses, parce que face à l’occultation et au déni encore vivaces, l’honneur de la République est d’œuvrer pour la réconciliation des mémoires ». Manque la volonté.

Loïc Le Clerc


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