Culture : Désastre pour le spectacle vivant et les intermittents

jeudi 25 juin 2020.
 

Carte blanche à Christian Benedetti, acteur, metteur en scène, directeur du Théâtre-Studio d’Alfortville au sujet de l’après-confinement.

« L’ange a le visage tourné vers le passé, du paradis souffle une tempête qui l’empêche de refermer ses ailes. La tempête le pousse vers l’avenir auquel il tourne le dos cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines » écrivait W.Benjamin à propos d’Angelus Novus de Klee.

L’impact du confinement sur nos activités professionnelles a l’ampleur d’un champ de bataille après un assaut. Nous contemplons les dégâts et écoutons le fracas du silence. Un désastre économique pour tous les acteurs du spectacle vivant, également pour tous les précaires sans sécurité de l’emploi et pour tous ceux qui n’ont même pas accès à l’emploi.

Nous continuerons d’être impactés durablement, c’est dans ce cadre que nous avons réclamé un renouvellement des droits à date anniversaire, à minima au taux d’indemnisation précédent, dès maintenant, et jusqu’à un an à partir de la date de réouverture des théâtres au public, et un accès à l’intermittence élargi. Nous avons demandé un renouvellement généralisé et une ouverture de droits pour tous ! L’Unédic couvre ce qu’elle doit prendre en charge sur la base de l’exercice précédent, l’État prend en charge ce qui dépasse les dépenses habituelles par un fonds transitoire. La fameuse année blanche ! Macron a répondu. Il a répondu à la tribune des acteurs connus dont il croyait qu’ils étaient ses amis. Devant un écran avec notre ministre de la culture prenant des notes comme un secrétaire de direction. Ok pour votre année blanche, (on achète la paix avec les intermittents) mais vous vous tenez tranquilles : « Je compte sur vous » ! Dans les écoles, les colonies de vacances… le fromage et le jambon. Mépris, inconscience !

Macron affirme des exigences concernant les « effets » (sociaux, éducatifs, économiques...) ce qui évite de préciser quel sens il donne à la culture. Il valide que l’action culturelle a remplacé les projets artistiques, (comme s’il ne savait pas que les artistes vont déjà dans les écoles), les artistes doivent racheter la paix sociale et doivent être des supplétifs de l’éducation nationale ou des cartes de visite. L’argent investi doit être utile. Comme la plupart des politiques il parle en termes de culture utilitariste, sans contenu. Plus il y a une insécurité matérielle plus il faut être rassuré dans le monde de la représentation, moins on supporte d’être déstabilisé par les représentations du monde. Macron se fait le porte-voix des forces libérales qui sont pour un art qui conforte la culture et une représentation du monde qui n’est pas au travail. Un art qui ne doit susciter que l’adhésion.

Les conditions de vie des artistes sont une question entière de la création. Dans les années 50-60, la politique publique du gouvernement existait. Les collectivités territoriales l’ont compris en maintenant l’entièreté des subventions aux structures et compagnies pour permettre de rétribuer les intermittents. Mais demain ?

Puis Macron enchaine avec un représentant choisi de chaque discipline artistique, dans une connivence embarrassante. Il faut absolument que reprennent l’industrie cinématographique et télévisuelle… Il y aura l’État avec un fond d’investissement, les assurances ! L’industrie doit fonctionner à nouveau « quoi qu’il en coûte » ! Et les commandes d’État (visage du ministre) c’est une idée de Jack Lang. Mais les mettre oeuvre, voilà la question. Rassurer les artistes et trouver des solutions à la déshérence crée par la crise ce n’est pas facile surtout quand ce n’est pas ton idée !

Depuis ce jour là, silence ! Contrairement à quasi tous les secteurs d’activités, toujours aucune enveloppe budgétaire annoncée à ce jour, toujours aucune date claire de reprise d’activité dans des conditions normales. Il faut poser la question de l’autorité au ministère de la culture. Autorité du latin auctoritas, avec le radical auct, qui vient du verbe augerer : Faire pousser, faire grandir, augmenter. D’où le mot auteur ! L’autorité d’un auteur est la puissance de faire accroître la dignité de ceux à qui il s’adresse.

Face à ce vide assourdissant, la suractivité et le productivisme sont-ils la seule voie possible ? Non ! Nous avons besoin d’un temps de silence. Pour affronter nos peurs, nos chagrins. Ce serait une erreur de nous précipiter dans une reprise à tout prix. Comment nous voulons continuer de faire du théâtre ? Quel est le sens de nos métiers ? Nous avons depuis longtemps perdu notre langue. Nous ne pouvons aller aussi vite que le monde dans les représentations que l’on peut en donner. Ce temps est l’occasion de nous ré-approprier notre langue et d’essayer.

Penser ! Voilà l’élément moteur d’un être humain car cela lui permet d’entrevoir son devenir révolutionnaire, ou son inconscient chez Freud. Il n’y a de moteur que dans l’insécurité de penser. Parce qu’une création est un acte d’effraction. Elle doit déplacer celui qui regarde. Ce qui nous rend humains c’est la conscience que nous avons et les questions que nous nous posons. Personne ne peut porter un regard sur une œuvre d’art sans se sentir plus libre.

Oui nous avons besoin de silence…

Quand les théâtres ré-ouvriront-ils ? Selon certaines hypothèses, il n’est pas sûr que les théâtres pourront pleinement accueillir du public avant décembre. Pourquoi ne pas nous avoir dit : « Ouvrez vos établissements faites en sorte que chacun se sente en sécurité, dites-nous de quoi vous avez besoin et nous vous accompagnerons ». C’était là nous traiter en adulte.

Alors dans nos espaces libérés nous devons réfléchir sur nos pratiques, dialoguer, inventer. C’est un geste fort de s’approprier cet arrêt, sans être conditionné par la peur ou l’obéissance aveugle. Comment et sous quelles conditions sommes-nous prêts à créer ? La reprise risque d’être violente. Comment protégeons-nous notre rapport à l’imaginaire, pour qu’il ne soit pas confiné par des décisions politiques ? Comment développer des politiques globales de production ? Nous ne pouvons pas accueillir du public massivement mais nous pouvons redevenir au sens propre des lieux d’hospitalité.

L’urgence n’est pas de créer, mais d’aider, de militer, de porter politiquement la question de l’art et de la culture, d’affirmer les principes du service public de la culture comme fondement de la politique culturelle, et d’en formuler ses fondements ses principes, ses valeurs et concrètement, ses conditions. Élaborer une conception de la place de l’art, de la culture et de la pensée dans la société. C’est le premier combat politique : expliquer que la responsabilité d’une politique publique démocratique est de construire et préserver les conditions matérielles, politiques, organisationnelles de l’indépendance de ceux qui s’engagent dans la vie artistique et intellectuelle, sans ingérence dans les démarches intellectuelles et artistiques. Il nous faut une culture qui mette en rapport l’individu avec le collectif. Ce sont les conditions de possibilité de la vie politique. S’il y a des artistes dans la société leur fonction est de créer des formes pour nous renseigner sur nous et sur l’état du monde ? Comme le disait Heiner Müller, Il nous faut « créer des foyers pour l’imagination. C’est l’acte le plus politique, le plus dérangeant que l’on puisse imaginer ».

Qui va nous dire de nous embrasser à nouveau ?

Christian Benedetti


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