Comment la « vague verte » des municipales s’est brisée à Toulouse

jeudi 9 juillet 2020.
 

Alors que cela semblait possible, la quatrième ville de France s’est refusée à une équipe de gauche et écolo, contrairement à Bordeaux, Lyon et sûrement Marseille. Pourquoi la gauche à Toulouse a la « lose » ? Analyse.

Toulouse (Haute-Garonne).– Ce sont donc 4 262 voix toulousaines qui ont privé les Verts d’un quasi grand chelem dans les grandes métropoles françaises pour ce scrutin municipal. Soit la différence entre le score de Jean-Luc Moudenc, maire sortant (LR, soutenue par LREM), et celui d’Antoine Maurice, candidat (EELV) d’Archipel citoyen, une liste établie au terme d’un processus long et douloureux et soutenue par 16 formations de gauche. Dimanche soir, le premier a recueilli 51,98 % des voix, le second 48,02 %. Avec un taux de participation de 44,85 %, supérieur de presque 5 points à la moyenne nationale.

Prenant acte de sa défaite face à des militants dépités (voir notre reportage pour Mediacités Toulouse [1]), Antoine Maurice a principalement mis en avant deux raisons à ce mauvais résultat : la virulence de la « campagne de dénigrement » menée par la droite et la démobilisation d’une partie de son électorat. À peu près dans le même temps, son adversaire livrait depuis la mairie du Capitole une analyse très personnelle de sa propre victoire : « Les Toulousains n’aiment pas l’idéologie. Et l’alliance entre les Verts, les Insoumis, des éléments d’extrême gauche, cela ne correspond pas à la ville. » Deux regards ignorant les données plus tangibles du vote toulousain.

En premier lieu, la difficulté pour la liste de gauche de capter le vote populaire. D’après notre comptage, sur 39 bureaux dans trois quartiers politiques de la ville (Mirail, Empalot, Izards), 25 ont donné la victoire au maire sortant, 11 à Antoine Maurice et 3 les ont mis à égalité. Sur le seul Mirail, Moudenc capitalise presque 950 voix de plus que son adversaire.

Empalot et Les Izards ont plutôt voté Archipel mais au bout du compte les cités, où les taux de participation sont faibles et surtout très variables d’un bureau à l’autre, ont voté Moudenc. Deux raisons à cela : les ratés d’Archipel tout d’abord, dont les vélos ornés de petits drapeaux verts et blancs ont été très en vue dans les rues piétonnes du centre-ville, mais beaucoup moins au bas des blocs. Faute probablement d’entente entre des personnalités aux approches divergentes sur le sujet, la liste a porté de façon bien trop peu visible et explicite les thématiques propres à ces territoires (précarité sociale et économique, discriminations, relations tendues avec la police, etc.). Et commis quelques fautes de goûts : en avril, le candidat d’Archipel s’était fendu d’un tweet de soutien à la police après une intervention houleuse au Mirail en plein confinement.

La mobilisation du camp d’en face, ensuite : Jean-Luc Moudenc a « activé ses réseaux » d’édile sortant, usant notamment de liens privilégiés avec certains responsables associatifs et les centres sociaux de quartiers. L’inévitable pincée de « clientélisme » souvent dénoncé par ses adversaires mais difficile à quantifier. D’autres leviers ont joué sans que l’on identifie clairement d’où ils venaient : en mai-juin, dans une démarche mêlant homophobie, mépris classiste et raciste, certains ont diffusé dans les quartiers des vidéos d’Antoine Maurice chantant avec du rouge aux lèvres. En février, l’apparition subite d’un mouvement des « mouchoirs blancs », mené par une ex-candidate divers droite, appelant les habitants des quartiers à voter blanc, avait suscité l’étonnement [2].

Dans un tout autre domaine, en insistant beaucoup en fin de campagne sur la réussite de son rassemblement de gauche, Archipel a beaucoup donné à voir la dimension partidaire de sa construction, au détriment de sa dynamique citoyenne, pourtant plus originale. Et la venue à Toulouse, mardi 23 juin de Clémentine Autain, Benoît Hamon, Ian Brossat et Noël Mamère [3], vue par la gauche comme une belle « photo de famille », a été utilisée pour tenter d’atténuer la dimension novatrice de la démarche d’Archipel (intégration de nombreu·se·s candidat.es de la « société civile », désignation d’une partie d’entre elles et eux par tirage au sort). Jean-Luc Moudenc a sauté sur l’occasion pour en rajouter dans le registre « gauche pastèque » et « ultra-gauche en embuscade derrière les gentils verts » qui a été le sien tout au long de la fin de campagne (voir notre article sur « La trouille rouge de la droite toulousaine »).

Surtout, le maire sortant a pu s’appuyer sur le véritable talon d’Achille politique de cette union, pointé dès dimanche soir par de nombreux militants d’Archipel très amers : la position ambiguë de la socialiste Nadia Pellefigue. Parvenue en troisième position le 25 mars avec 18,53 % des suffrages, cette dernière avait attendu la fin du confinement pour entamer des négociations avec Archipel, proposant un tandem qui lui a été refusé : à Maurice le Capitole, à elle, la Métropole.

Vexée, la socialiste a autorisé les membres de sa liste à rejoindre celle d’Archipel mais sans y aller elle-même. Un gros trou dans la photo de famille que la présence d’autres figures du PS local n’a pas comblé et que le soutien très tardif et discret de Carole Delga, l’influente présidente de la région, proche de Pellefigue, n’a fait que mettre en exergue. De fait, l’échec d’Archipel est aussi en partie dû à l’incapacité du PS local – et de la vieille « gauche cassoulet », qui depuis dix ans n’en finit pas de réduire au fond de la marmite électorale – à accepter qu’il n’est plus la force de gauche hégémonique dans la région. « Le PS a soutenu Maurice avec la corde du pendu », grinçait dimanche soir une militante LFI.

Enfin, Archipel a choisi de ne pas entrer dans le jeu d’attaques personnelles auquel s’est incessamment livrée l’équipe de Jean-Luc Moudenc : « Je suis fier de ne pas m’être abaissé à ce niveau », assurait Antoine Maurice dimanche soir. Deux jours avant, des attaques verbales violentes et homophobes contre le candidat et l’un de ses colistiers avaient encore été proférées par un membre de la majorité sortante [4].

Nul ne reprochera à Antoine Maurice sa dignité. Mais au plan politique, quand « la gauche » a été une cible incessante, la riposte a-t-elle été à la hauteur ? Se cantonnant à promouvoir son programme écolo et social et son ambition de renouveau démocratique, Archipel n’a pas affronté ces éléments de discours. En n’assumant pas le combat idéologique, pourtant très grossièrement présenté, Archipel s’est privé de désarmer en partie la « campagne de peur » du camp adverse, qu’elle a dénoncée à juste titre, et de donner des gages à celles et ceux qui, « à gauche » justement, en attendaient.

La voie est restée libre pour un Jean-Luc Moudenc et une droite toulousaine par ailleurs pas encore « usés jusqu’à la corde », comme pouvaient l’être le pouvoir gaudiniste à Marseille (Jean-Claude Gaudin, 80 ans, 25 ans de règne non-stop), collombiste à Lyon (Gérard Collomb, 73 ans, maire depuis 19 ans) ou juppéiste à Bordeaux (Alain Juppé, 75 ans, maire durant 22 ans).

Le maire de Toulouse réélu dimanche aura 60 ans dans quelques semaines et, contrairement à ses collègues précédemment cités, il a déjà dû s’effacer durant un mandat d’alternance entre 2008 et 2014. Pour celui qui débute, il n’aura plus pour seul comparse politique à droite dans les dix grandes métropoles françaises que son collègue de Nice, Christian Estrosi.

Emmanuel Riondé

 :


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message