« America First », de l’ambition hégémonique à l’effondrement sanitaire et social

mercredi 19 août 2020.
 

Extraits de l’article porté en source

Les États-Unis peinent à apporter une réponse fédérale à la crise sanitaire. Des décisions de confinement hétérogènes sont prises au niveau des États, alors que les frontières entre eux sont inexistantes.

Des conséquences sociales immédiates plus dures qu’en zone euro

Indépendamment de la vitesse de propagation du virus sur le territoire et des difficultés à y apporter une réponse harmonisée sur le plan fédéral, les conséquences socioéconomiques peuvent se révéler bien plus dévastatrices aux États-Unis que dans la zone euro. En effet, l’économie américaine risque de payer cher ses choix idéologiques historiques :

Le marché du travail aux États-Unis est beaucoup plus flexible que dans les économies européennes. Les arrêts de production liés au confinement se sont traduits par une vague massive de licenciements et une hausse brutale du taux de chômage. Les trois premières semaines de la crise sanitaire ont ainsi conduit à l’inscription au chômage de plus de 15 millions d’Américains, soit 9 % de la population active. Cette hausse considérable révèle la faiblesse traditionnelle des systèmes d’amortissement. Il n’existe en effet que très peu de dispositifs de type chômage partiel. Quant aux congés payés, quand ils existent, ils sont de trop faible durée (une dizaine de jours en moyenne) pour constituer une solution d’attente pour les salariés.

Comme le fait remarquer un article du Brookings Institute, les filets de sécurité sociale sont à la peine. Le système d’indemnisation-chômage existant est à la fois complexe, différent entre les États en matière d’accès et de montant des allocations – avec un taux de remplacement moyen faible (36 % en 2019 dans le secteur industriel) – et parfois inadapté à la situation actuelle parce qu’incapable de répondre à l’urgence.

L’accès aux soins, qui repose principalement sur des prises en charge d’assurance privée par l’employeur, peut se poursuivre temporairement lorsque les salariés se retrouvent au chômage à condition qu’ils puissent assumer l’intégralité des primes d’assurance. Si les systèmes Medicare (pour les séniors) et Medicaid (pour les non-assurés respectant certaines conditions) sont là pour pallier cette limite, l’accès à ces filets de sécurité est là encore mal aisé et ils sont loin de concerner toute la population. Sont en effet exclus de Medicaid tous les individus dont les revenus dépassent le seuil de pauvreté d’au moins 38 %. En outre, les critères d’accès et les services couverts varient selon les États.

Certes, les admissions en réanimation ne dépendent pas des capacités financières des patients. Il est cependant à craindre qu’une partie de la population choisisse de ne pas aller se faire soigner à l’hôpital en dépit de symptômes qui le nécessiteraient, pour éviter de devoir payer tout ou partie de la facture ultérieurement. Cette simple inquiétude, fondée ou non, suffit à accroître le taux de mortalité ainsi que la contagion au sein de certaines populations, au-delà des facteurs de comorbidité qui sont autant de marqueurs sociaux aux États-Unis (l’obésité et le diabète touchant davantage les plus pauvres et les populations afro-américaines).

S’agissant des allocations chômage, dont les montants, la durée et les conditions sont très inégales sur le territoire, les États risquent d’avoir du mal à mettre en place les extensions alors même que les services – parfois déjà à la limite de leur capacité avant la crise – sont désormais saturés par l’afflux de nouveaux dossiers. Le système exclut par ailleurs les nouveaux entrants sur le marché du travail ainsi que ceux dont les salaires ne sont pas suffisamment élevés pour prétendre aux allocations chômage. S’agissant des programmes STC de chômage partiel, seuls 26 États disposaient de programmes opérationnels en début d’année ; les autres risquent d’avoir des difficultés de mise en œuvre, quelle que soit leur volonté d’y recourir.

Une question de choix de société

Les perspectives sanitaires qui conduisent à confiner les populations se heurtent nécessairement aux perspectives économiques qui appellent à la reprise de l’activité. Cela est encore plus vrai pour l’économie américaine dont le choix de société repose sur une individualisation du risque avec une faible protection sociale.

En France et dans la zone euro, l’intervention de l’État, de la BCE et de l’UE permet de laisser du temps au temps en limitant les conséquences économiques directes d’un confinement prolongé. Aux États-Unis, au contraire, la question de la reprise ou du maintien de l’activité domine dans une partie du discours politique celle du coût sanitaire et humain, car un choc économique violent correspond lui-même – qu’il soit temporaire ou plus durable – à un choc futur sanitaire, social et humain, dont le bilan à terme pourrait être plus destructeur que la crise sanitaire elle-même. Il est trop tôt pour vérifier si les mesures adoptées en urgence pourront inverser cette logique.


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