VERS UNE SOCIETE SANS POLICE

jeudi 20 août 2020.
 

A l’heure où la violence, les agressions, sont ressentis comme des dangers concrets du quotidien auxquels chacun se sent exposé, le débat amorcé aux Etats-Unis sur le modèle ou l’utilité même, de la police, peut sembler bizarre et déplacé .

I. Aux Etats-Unis, réformer ou abolir la police ?

Le meurtre de George Floyd à Minéapolis a relancé une discussion déjà ancienne amorcé par des associations comme Critical Resistance .Des mots d’ordre, des slogans ont refleuri …. « Aux sons des « Defund the police », « Abolish the police » ou encore « Disband the police », nombre de manifestants outre-Atlantique ont commencé à réclamer non pas une énième réforme de l’institution policière, mais une nouvelle manière de garantir la sécurité publique. » (VICE - « Une société sans police » Pierre Longeray, 18/06/2020)

Rappelons que la police, comme dans chaque pays a une histoire qui lui est particulière, liée à la formation de l’Etat. Aux Etats-Unis elle nait et se développe avec des agences privées dont l’une des principales activités fut la chasse aux esclaves enfuis Elle est donc dès le départ marquée au sceau du racisme. L’injustice dont elle fait preuve n’est pas une surprise à Mineapolis. La police de cette ville est en effet accusée d’être à l’origine du complot contre l’activiste Leonard Peltier voici 40 ans, membre de l’American Indian Movement, condamné à la prison à vie en dépit d’absence de preuves.

En juin dernier les membres du conseil municipal de Minéapolis, la plus grande ville du Minesota, ont donc dressé le constat d’une « police structurellement raciste » et émis le vœu de démanteler et de reconstruire en concertation avec la population « un nouveau modèle de sécurité publique tourné vers la communauté ;

« L’intention est de transférer les fonds alloués au budget de la police de la ville vers des projets s’appuyant sur la population. La conseillère municipale Alondra Cano a expliqué, sur Twitter, que cette décision avait été prise « avec une majorité du conseil municipal de Minneapolis suffisante pour éviter un veto ».(New York Times 08/06/2020)

La lutte contre le Covid19 semble avoir montré un glissement où la préoccupation première de sauvegarde de l ’économie est passé au second plan au profit de la protection de la santé. Encore qu’une évaluation des retombées de l’état sanitaire sur l’économie a évidemment du se faire. Ce changement dans une partie de l’opinion affecte aussi la police. La préoccupation est plus aujourd’hui la préservation de l’intégration physique des individus, leur sécurité, que la simple défense de la propriété comme jadis.

La présence de forces de l’ordre nombreuse, la menace de la peine de mort, la construction de prisons devenant elle aussi un enjeu financier, n’ont pas e mpêché la montée de la violence.

Mais on conçoit vite qu’abolir la police sans remettre en question l’organisation de la société revient simplement à renforcer la barbarie existante. C’est évidemment favoriser la création de gardes privées ou de milices qui imposent par la force ce que leurs maîtres demandent. C’est la loi du plus fort sans aucune protection pour les plus faibles sinon celle d’un parrain. Et que devient alors la Justice ?

Il en était ainsi dans le monde romain il n’y avait pas de police comme aujourd’hui (1). Et c’est ce qui existe toujours dans maints pays, d’Amérique latine ou d’ailleurs où la police en tant que service public est, de fait inexistante car corrompe.. Comme l’avait fait remarquer Noam Chomsky, citant des syndicalistes sud-américains, l’Etat est une cage mais il peut parfois nous protèger dans l’immédiat de prédateurs mortels (2).

Abolir la police n’est-ce pas aussi, très simplement vouloir faire des économies, participer au démantélement des services publics voulu par les libéraux ?

II. L’exemple du Rojava .

Avons-nous des exemples d’une société en changement où l’on cherche à transformer ou abolir la police ?

L’activiste Hawzhin Azeez dans le Rojava, au Kurdistan, développe une critique de la police dans le système capitaliste occidental et fait état d’expériences pratiques :

« Certains appellent à des réformes de la police. D’autres réclament une redistribution des fonds. Certains ont fait valoir que l’abolition de la police est la meilleure option. » (3)

Il convient cependant de rappeler le processus qui a débouché là-bas sur un projet révolutionnaire. Cette région du nord de l’actuelle Syrie a en effet résisté et vaincu Daech après un dur combat longtemps incertain, sans aide extérieure, où se trouvèrent concernés et mobilisés non seulement des Kurdes mais l’essentiel des peuples de la régions. Chaque individu parle en son nom, sans qu’il y ait un représentant « traditionnel » et patenté qui s’exprime à sa place. Dans cette nouvelle organisation sociale qui a fait jour, les femmes occupent bientôt la place qui devait justement leur revenir, celle que la vieille société leur refusait. Comme on le sait, ce sont elles, au combat, qui furent souvent les plus déterminées, les plus craintes contre Daech .

Dans cette voie d’émancipation des femmes ont été ainsi créées les Unités de protection de la femme ou Unités de défense de la femme qui sont une organisation militaire exclusivement composée de femmes mise en place en 2013 à titre de brigade féminine des milices des Unités de protection du Peuple (Yekîneyên Parastina Gel, YPG) brigade qui est devenue indépendante en 2016.

Nous ne nous attarderons pas ici sur toutes les réalisations de la nouvelle société du Rojava inspirée du « confédéralisme démocratique » de Murray Bookhin

Où que l’on soit il faut se protéger, empêcher les agressions les injustices. L’éducation, la meilleure soit-elle, reste indispensable, en sachant tout de même qu’elle met du temps à porter ses fruits.

Quel peut être dans ce contexte nouveau le rôle de la police ?

D’un côté existe une « force de sécurité » née en 1993, les Assayish (HPC), controlés par le Gouvernement de « la région autonome et auto administrative de la Syrie du nord. » (Rappelons qu’il n’y a pas d’Etat du Rojava ou du Kurdistan reconnu...) Ils travaillent comme contrôleurs de la circulation, arrêtent les criminels, protègent les victimes, servent de gardes de sécurité dans les principaux bâtiments administratifs et contrôlent l’entrée des personnes et des biens d’un canton à l’autre.

De l’autre, les Forces d’autodéfense populaire (HPC), en revanche, sont des personnes qui, dans un quartier donné, sont formées à la sécurité de base. Ils ne patrouillent que dans leur propre quartier, à moins qu’ils ne protègent la population lors de festivals, de cérémonies de martyrs, d’événements locaux et de veillées nocturnes. Le but de ces deux forces est explicitement de protéger la population, en particulier contre les menaces extérieures telles que les forces terroristes. C’est toujours le HPC qui protège leur quartier, jamais l’Assayish.

« Les personnes sont les protecteurs des personnes, celles avec qui ils vivent et avec qui ils interagissent quotidiennement. La proximité des « forces de sécurité » par rapport à la communauté, étant donné qu’elles sont issues de leur propre quartier, garantit que des violations ne se produisent pas. Lorsqu’elles se produisent, les mécanismes communautaires de justice, d’honneur et de restauration sont immédiatement activés par le biais des communes de quartier. Le monopole de ce processus est encore empêché en encourageant tout le monde à participer grâce à un système de listes. Tout le monde peut se porter volontaire. Cela inclut les personnes âgées, en particulier les femmes, en tant que sources de protection civile. » (3)

Cette organisation des forces de l’ordre est encore en évolution, est contestée par certains (notamment pour ce qui est du service militaire obligatoire)

Bien des objections peuvent être faites. Mais ce projet a pour lui la démocratie directe qui anime la société, qui permet pragmatisme et évolution nécessaires. C’est seulement dans la durée que pourra être validée l’organisation nouvelle...

III. L’Espagne révolutionnaire : quand les anarchistes font la police

Voici un témoignage personnel recueilli il y a quelques années , concernant la sécurité et le maintien de l’ordre dans la Barcelone libertaire de 1936, aux mains de la CNT (4) et des anarchistes. Il est en effet intéressant de voir comment des « pourfendeurs » de la police s’y sont pris pour assurer la sécurité des populations contre les voyous de la rue !

. Le mouvement des collectivisations, la nouvelle organisation sociale, avait provoqué une dynamique et un enthousiasme qui, il est vrai, laissaient peu de place à la délinquance. Cependant, dans l’effervescence et la confusion de l’époque, des bandes de braqueurs sévissaient, notamment dans les cinémas, mettant en joue les spectateurs pour leur faire les poches et ce au nom des anarchistes et de la CNT.

Dans le combat de classes, la police, qu’elle soit régionale ou nationale, avait été évidemment discrédité et mon interlocuteur, mandaté avec d’autres pour mettre de l’ordre (eh oui, comme disait déjà Elysée Reclus, « l’Anarchie c’est l’Ordre ! »...) réussit à mettre sur pied des groupes de patrouilleurs de confiance effectuant donc régulièrement des rondes. Aidés de la population acquise à la Révolution Sociale, les braqueurs des salles de spectacle disparurent...

IV. Le lien et la justice sociale nécessaire.

Dans les exemples que nous avons cités, il y a une trame commune. Un tissu social qui a malheureusement tendance à disparaître de nos sociétés capitalistes modernes. Il y existe une vie de quartier où tout le monde ou presque se connait. Certes les Etats-Unis n’ont rien d’une société rurale archaïque. Mais il existe un « communautarisme » où chaque communauté défend des idées et des conceptions parfois bien différentes les unes des autres. Les Noirs longtemps exclus de tout, se sont donc organisés pour défendre leurs droits. Certains d’entre eux - et d’autres - ont rêvé, rêvent encore d’un autre monde sans la police « des Blancs »... ou sans police du tout.

Pour les Kurdes du Rojava, en pleine période révolutionnaire, c’est finalement plus « facile » car ils- elles ont devant eux une page blanche...

Il en fut de même lors de l’éphémère Révolution Espagnole vaincue par les fascistes et les communistes staliniens..

Il est évident que si un nouvel ordre fait de justice sociale se met en place, avec un large assentiment populaire, la présence de la police telle que nous la connaissons, devient superflu.

Nous n’en sommes pas là dira t-on.

Devant les agressions grandes ou petites de plus en plus nombreuses, comme celle de l’individu violent soudainement prêt à tuer parce qu’ « on lui a piqué sa place de parking », ou celle du cocu découvrant son infortune, un civisme, des voies nouvelles, autres que « des renforts policiers » ne sont-elles pas à explorer d’urgence ?

NOTES

(1) Des récentes fouilles archéologiques dans Pompéi, ont révélé l’absence de police. Les bagarres mobilisant la population de cités entières les unes contre les autres ne trouvaient leur limite qu’avec le déploiement in extremis de l’armée romaine...

(2) « Les anarcho-syndicalistes et l’État : Se protéger des fauves ou du dompteur ? » entretien avec Noam Chomsky – Greg, revue N’Autre Ecole, 27/03/2010.

(3) Revue « Kurdistant au féminin » « Une société sans police ? Les leçons du Rojava » 04/06/2020

(4) CNT : organisation anarcho-syndicaliste espagnole groupant près de deux millions d’adhérents en 1936 dont furent principalement issus les militants qui oeuvrèrent pour les collectisations et la Révolution Sociale


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