Criminalisation de l’aide humanitaire à Calais : Mathilde Panot dénonce une politique « inhumaine, indigne et inefficace »

dimanche 4 octobre 2020.
 

Regards. Le 25 septembre, vous vous êtes rendu à Calais avec vos collègues insoumis Ugo Bernalicis, Anne-Sophie Pelletier et Manon Aubry. Pour quoi faire ?

Mathilde Panot. Pour dénoncer l’arrêté préfectoral pris le 10 septembre qui consiste à interdire dans certaines rues de Calais la distribution de nourriture et d’eau aux exilés. Il y a plusieurs motifs pour justifier une telle interdiction : un motif sanitaire – assez fallacieux car l’association mandatée par l’État pour fournir de l’aide alimentaire est dans la même situation ; un motif de troubles à l’ordre public, or il y a eu deux grandes évacuations en juillet dernier qui ont fait que les migrants qui jusqu’alors étaient en dehors de la ville se sont retrouvés éparpillés un peu partout dans Calais, parfois à plusieurs kilomètres des lieux de distribution de nourriture, des douches, des toilettes. Ils créent eux-mêmes le trouble qu’ils dénoncent ! C’est la preuve que, finalement, on a un arrêté indigne sur le plan humain et inefficace. Notre présence à Calais est un acte de désobéissance contre la création d’un délit de solidarité. Nous ne voulons pas laisser faire une criminalisation de la vie associative, une criminalisation de l’obligation d’assistance à personne en danger – ce qui est inscrit dans notre droit pénal.

Vous avez finalement été verbalisés pour avoir distribué de la nourriture à ces personnes. 135 euros d’amende chacun.

C’est ça. Si on est pris une deuxième fois, ça passe à 600 ou 700 euros. J’alerte sur le fait que cette décision préfectorale pourrait faire jurisprudence. Ensuite, au-delà des exilés, on pourrait s’attaquer aux SDF… C’est déjà ce qu’avaient voulu faire Christian Estrosi à Nice. C’est pas possible d’accepter ça ! Il y a des recours de plusieurs associations contre l’arrêté en question. Pour l’instant, ces recours ont été rejetés. Mais on ne va pas en rester là. Lorsque nous allons recevoir nos amendes, on va pouvoir poser des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), et je vous assure qu’on ne va pas se priver de le faire !

Mais du coup, à Calais, est-ce qu’il reste une forme d’aide humanitaire « légale » ?

L’État justifie cet arrêté aussi car, via une association mandatée, il fournirait déjà de l’aide alimentaire. C’est faux. Cette association – La vie active – donne un petit-déjeuner et un déjeuner, mais pas de dîner. Rien pour les femmes enceintes, rien pour les bébés. Ensuite, les files d’attente sont extrêmement longues, pouvant aller jusqu’à deux heures pour avoir accès à un repas ! Il y a des personnes qui ont peur d’aller dans ces files d’attente, ou bien parce qu’elles n’ont pas la force d’aller marcher plusieurs kilomètres pour ensuite attendre plusieurs heures debout, le tout sous la pluie et dans le froid ! Ce n’est pas en affamant les migrants qu’ils vont disparaître, pas plus qu’en détruisant un camp. C’est une politique d’autruche.

D’une façon plus générale, que pensez-vous de la politique menée par le gouvernement vis-à-vis des migrants ?

La politique de la France en la matière est inhumaine et indigne. Tout l’inverse de ce qu’elle devrait faire. Mais le pire, c’est que c’est complètement inefficace. À Calais, tous les deux matins, la police passe dans les camps de migrants pour les réveiller vers 6h30 du matin et leur demander de déplacer leurs affaires et leur tente de, littéralement, deux mètres. C’est du harcèlement policier. C’est horrible pour les policiers puisque ça n’a aucun sens de faire ça à des pauvres gens qui sont déjà dans des situations dramatiques, mais vous imaginez ce que c’est de subir ça ? Et encore, c’est quand ça se passe bien, sinon c’est des tentes déchirées au couteau, des affaires volées, etc. C’est une politique qui n’a d’autres buts que de servir le discours martial du gouvernement. Le pire, c’est que ça dépasse tout cadre rationnel – même financièrement c’est une aberration. La rationalité, c’est de se dire qu’on peut accueillir dignement les 1200 exilés présents à Calais. Mais pour cela, le département du Pas-de-Calais ne peut pas être le garde-frontière de la Grande-Bretagne, ce qui implique de renégocier les accords du Touquet – Londres s’était engagé à accueillir 3000 exilés et n’en a accueilli que 10%. Calais est une frontière meurtrière, ça ne peut plus durer. J’aimerais que les gens qui disent « renvoyons-les chez eux » expliquent quelle autre solution nous avons que de les accueillir dignement ? Quand on va se retrouver en 2050 avec un milliard de réfugiés climatiques, qu’est-ce qu’on va faire ? On va les laisser crever dans la Méditerranée ? C’est absurde de penser ça. Il faut sortir des fantasmes sur cette question de la politique migratoire et revenir à de la raison.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message