Impact des effectifs par classe sur la réussite scolaire

lundi 5 octobre 2020.
Source : Site du Monde
 

Il nous paraît utile de rappeler une enquête réalisée récemment. Sur la base d’une étude de la scolarité des élèves entrés en CP en 1997, le chercheur Thomas Piketty a prouvé l’impact très positif de la réduction des effectifs sur la réussite scolaire.

Cette étude de mai 2004 ne peut être mise en ligne ici pour des raisons de longueur et vu le nombre de tableaux à reproduire. Par ailleurs, elle utilise un haut niveau de connaissances en statistique et mathématique. Pour la découvrir en entier, vous trouverez un lien sur le site http://hussonet.free.fr.

Voici seulement l’article du Monde qui la présentait, le résumé d’introduction et une petite partie sur le rendement des classes à effectif réduit.

Le nombre d’élèves par classe a une influence décisive sur la réussite scolaire. Telle est la principale conclusion d’un travail inédit de l’économiste Thomas Piketty, qui s’est appuyé sur une nouvelle méthode de travail statistique. Le chercheur s’oppose ainsi au discours ambiant sur la question, qui conclut qu’à moins d’une baisse drastique des effectifs, inenvisageable pour des raisons budgétaires, la réduction des effectifs, telle qu’elle est esquissée dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP), n’est pas cruciale pour combattre les inégalités. M. Piketty souligne que si l’on souhaite rester à budget constant, une réducation de la taille des classes dans les établissements défavorisés aurait un effet sensible sur les résultats, tandis qu’une légère augmentation des effectifs dans les autres écoles ne les pénaliserait pas.

La rentrée scolaire est le cadre rituel des plaintes convergentes desparents sur les classes surchargées et des enseignants sur l’insuffisance des moyens qui leur sont consacrés. Dans ce contexte, le travail que vient d’achever l’économiste Thomas Piketty sur "l’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises" devrait relancer le débat sur les politiques à mettre en ouvre pour réduire les inégalités scolaires.

"Le discours ambiant depuis plusieurs années, c’est de dire que cela ne sert à rien d’abaisser la taille moyenne des classes de quelques élèves, que ce qui pourrait être efficace, c’est de créer des toutes petites classes, de dix élèves ou moins. Mais cela coûte très cher, bien sûr, et on ne peut pas le faire, regrette le directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). En fait, c’est un discours très paresseux, certes défendu par certains chercheurs, mais inexact."

La réduction de la taille des classes a bel et bien un impact sur les résultats scolaires, quelle qu’en soit l’ampleur, et ce d’autant plus que les élèves concernés sont issus de milieux défavorisés. Dès lors, elle devient un instrument efficace de réduction des inégalités à l’école. Telles sont les conclusions de l’étude de Thomas Piketty (consultables à partir de lundi 6 septembre sur son site pythie.cepremap.ens.fr), qui a concentré son travail sur le primaire et, plus particulièrement, le CP et le CE1.

Elles vont effectivement à l’encontre de la plupart des travaux scientifiques effectués sur le sujet. Dans son premier avis, rendu le 1er mars 2001 (Le Monde du 3 mars 2001), le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HEEC), alors présidé par Claude Thélot, faisait le tour des "recherches sur la réduction de la taille des classes" en France et àl’étranger. Le HEEC citait notamment huit étudesfrançaises, dont l’une plaide pour des effectifs réduits en CP, deux contre et cinq jugent que leur influence sur la réussite des élèves n’est pas significative. Pour être efficace, affirmait M. Thélot, la réduction de la taille des classes doit être "brusque", puisque "la politique de réduction de la taille des classes, conduite depuis trente ans, au fil de l’eau, n’est pas efficace" pour la réussite des élèves. Le HECC s’interrogeait dès lors sur l’intérêt de mener une telle politique, vu son coût, et invitait plutôt à privilégier d’autres mesures, comme l’aide individualisée ou la formation des enseignants.

À BUDGET CONSTANT

Identifiant plusieurs biais statistiques, Thomas Piketty a choisi de travailler d’une autre manière. Il a ainsi pu modéliser la relation entre la taille des classes CE1 et les résultats aux tests de CE2. Pour déboucher sur la conclusion suivante : en jouant sur les effectifs des classes, "il est tout à fait possible de réduire substantiellement l’inégalité des chances scolaires en France, pour peu qu’on le souhaite".

Aujourd’hui, d’ailleurs, c’est ce que fait, à petite échelle, la France avec sa politique de zones d’éducation prioritaire (ZEP), mise en place depuis 1982. En moyenne, les CE1 situés en ZEP comptaient, en 1998-1999, 21,9 élèves, soit un peu moins que ceux situés hors ZEP (23,3 élèves). Thomas Piketty a d’abord voulu savoir si ce léger ciblage, qui concerne 12,6 % des élèves, est efficace. Pour cela, il a observé les résultats de ces élèves aux tests qu’ils ont passés à leur entrée en CE2, en septembre 1999. Et, grâce à sa modélisation, il les a comparés à ceux qu’ils auraient obtenus sans l’allégement des effectifs.

Les résultats permettent bien de conclure que la politique de ZEP réduit les inégalités scolaires. En effet, dans la situation actuelle, les élèves scolarisés en ZEP répondent correctement aux questions qui leur sont posées en mathématiques dans 58,62 % des cas, et les autres dans 67,64 % des cas. Soit un écart de 9,02 points entre les deux catégories d’enfants. A même nombre moyen d’élèves par classe (23,16) en ZEP et hors ZEP, l’écart aux tests d’évaluation de début de CE2 est plus élevé, de 9,94 points au lieu de 9,02 points.

L’économiste a ensuite voulu voir ce qui se passerait si l’on donnait plus de moyens aux ZEP. Et ce, à budget constant, c’est-à-dire pour le même nombre d’enseignants. Il a ainsi abaissé la taille moyenne des classes de CE1 en ZEP à 18 élèves, ce qui suppose que celle des autres CE1 passe à 24,16 élèves. L’écart des résultats aux évaluations de CE2 tombe alors à 6,08 points : il est inférieur de plus de 30 % à ce qu’il est aujourd’hui,cet de près de 40 % à ce qu’il serait si les ZEP n’existaient pas.

Ce résultat est d’autant plus intéressant que ce rattrapage ne se fait quasiment pas aux dépens des autres élèves, ceux qui ne sont pas en ZEP et qui se retrouvent, dès lors, dans des classes aux effectifs légèrement plus élevés. Ils voient certes leur score baisser, mais très légèrement, puisque leur pourcentage de bonnes réponses aux tests de CE2 passe de 67,64 % à 67,43 %. "L’impact de la taille de la classe est dissymétrique : il est bien plus important pour les élèves issus de milieux défavorisés que pour les autres", explique M. Piketty.

Si l’on veut que les élèves scolarisés en ZEP aient les mêmes résultats que ceux qui n’y sont pas (66,50 % de bonnes réponses), toujours à budget constant, il faut appliquer une politique plus drastique. Et faire passer le nombre moyen d’élèves par classe de CE1 à 10,65 en ZEP et à 27,68 hors ZEP.

A lire ces résultats, on peut regretter que les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans n’aient pas profité de la baisse naturelle de la démographie pour cibler les baisses d’effectifs sur les zones défavorisées. Incontestablement, la taille des classes a été réduite sur cette période : entre 1966 et 1999, le nombre d’élèves par classe est passé de 43,7 à 25,5 en maternelle, de 28 à 22,3 à l’école élémentaire, de 27,5 à 24,2 au collège et de 30,8 à 28,8 au lycée. A part la mise en place des ZEP il y a plus de vingt ans, rien n’a été fait pour orienter cette diminution naturelle. Elle a donc été relativement uniforme.

"Si la baisse de 0,5 élève par classe de primaire sur les seules dix dernières années avait été consacrée prioritairement à une réduction de la taille des classes dans les 10 % d’écoles les plus défavorisées, en maintenant constante la taille des classes dans les autres écoles, alors on aurait pu réduire de 5 élèves la taille moyenne des écoles défavorisées", a calculé M. Piketty. Le vieillissement de la population et la réduction du nombre d’élèves vont se poursuivre. "Il n’est pas trop tard pour réfléchir autrement", lance Thomas Piketty.

Virginie Malingre

La discrimination positive efficace

Il existe deux moyens de réduire les inégalités scolaires : faire de la discrimination positive en réduisant la taille des classes dans les zones défavorisées, ou lutter contre la ségrégation sociale, par exemple en installant des HLM dans les quartiers socialement favorisés. Dans son étude, Thomas Piketty a donc voulu comparer l’efficacité de ces deux politiques. Il conclut qu’en primaire, en tout cas, la discrimination positive est plus efficace que la lutte contre la ségrégation sociale.

En jouant sur les deux leviers, ses calculs montrent que la solution optimale correspond à "une ségrégation complète (0 % d’élèves favorisés en zone défavorisée) et un très fort ciblage des moyens". Toutefois, nuance-t-il, il faut relativiser cette conclusion en apparence radicale : ainsi, "la ségrégation sociale est évidemment susceptible d’avoir bien d’autres effets négatifs que l’impact sur les scores de CE2".


L’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises : une estimation à partir du panel primaire 1997 ( par Thomas Piketty

Résumé

... Une réduction d’un élève par classe de la taille de CE1 conduit à une augmentation de 0,7 point du score obtenu par les élèves défavorisés aux évaluations de mathématiques de début de CE2. D’après nos estimations, la légère politique de ciblage des moyens actuellement en vigueur en faveur des Zep (taille moyenne des classes de 21,9 en Zep, contre 23,3 hors Zep) permet de réduire d’environ 10% l’écart de réussite entre Zep et non-Zep. Surtout, cet écart pourrait être réduit de 40% si l’on mettait en place un ciblage fort (mais pas irréaliste), avec une taille de classe moyenne de 18,0 en Zep et 24,2 hors Zep. Nous mettons également en évidence un impact négatif de la ségrégation scolaire, quoique sensiblement plus faible que celui des tailles de classe réduites. Nos résultats indiquent que la modestie des politiques de ciblage des moyens peut difficilement se justifier par l’idée selon laquelle de telles politiques ne marchent pas.

Peut-on estimer le rendement économique des tailles de classe réduites ?

Idéalement, il serait très intéressant de pouvoir calculer le rendement de l’investissement représenté par la réduction des tailles de classes, en comparant le coût de cette politique (notamment en termes de salaires pour les enseignants supplémentaires) et les bénéfices attendus. Les bénéfices attendus viennent notamment du fait que de meilleures compétences en mathématiques et en français à l’entrée en CE2 peuvent se traduire par de meilleures diplômes lors des études ultérieures, de plus grandes capacités cognitives à l’âge adulte, et finalement des productivités et des salaires plus importants (et des taux de chômage plus faibles).

La difficulté est que nous ne disposons d’aucune donnée permettant de connaître avec précision l’impact des scores de début de CE2 sur la carrière professionnelle future, si bien que le calcul de tels rendements doit nécessairement reposer sur des hypothèses hautement incertaines. Par ailleurs, de tels calculs de rendement de l’investissement éducatif reviennent à supposer que l’objectif unique de l’éducation est d’augmenter la productivité des personnes concernées, ce qui n’est pas le cas (ce n’est peut-être même pas l’objectif principal).

Nous avons néanmoins tenté l’exercice, en supposant alternativement qu’une augmentation d’un écart-type de la distribution des scores de début de CE2 se traduisait à l’âge adulte en une augmentation d’un écart-type de la distribution des salaires (hypothèse haute) et qu’elle se traduisait en une augmentation d’un écart-type de la distribution des salaires prédits par la qualification finale (hypothèse basse). Nous avons également fait différentes hypothèses suivant qu’il soit nécessaire ou non de réduire les tailles de classes durant toute la scolarité pour obtenir de tels effets. Nous obtenons des taux de rendement extrêmement élevés, y compris dans l’hypothèse la plus défavorable (taux de rendement de 49% pour un coefficient de 0,7, et de 21% pour un coefficient de 0,3).

Nous insistons cependant sur le fait que ces estimations préliminaires sont hautement incertaines et doivent être maniées avec la plus extrême précaution.

Réplication des mêmes résultats avec les échantillons annuels

Ainsi que nous l’avons noté plus haut (cf. section 2 supra), les données du panel 1997 ne constituent pas la seule source permettant d’étudier l’impact de taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles françaises. Nous pouvons également utiliser les échantillons d’évaluations CE2 collectés par la DEP (sous-direction de l’évalution, ou Sdeva) chaque année depuis la mise en place de ces évaluations en 1989. Ces échantillons sont de deux types : d’une part les échantillons nationaux, constitués directement par la Sdeva en s’adressant directement aux établissements de façon à constituer un échantillon national représentatif d’environ 2500 élèves par an ; et d’autre part les échantillons académiques, constitués d’un échantillon d’environ 600-800 élèves par académie (que chaque académie constitue elle-même et fait remonter à la Sdeva), soit au total environ 15000 élèves par an.

Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé les échantillons nationaux 1998-2003 et les échantillons académiques 2001 (les échantillons nationaux antérieurs à 1998 n’ont apparemment pas été conservés, de même que les échantillons académiques antérieurs à 2001).

Par comparaison à aux données du panel primaire 1997, l’inconvénient de ces échantillons annuels collectés par la Sdeva est que les informations dont nous disposons sur les élèves sont extrêmement limitées en dehors des évaluations ellesmêmes  : les élèves ne sont observées qu’une seule année, nous ne connaissons évidemment pas les scores de début de CP, et seules quelques variables sommaires sur la profession des parents (informations issues des fiches remplies par les parents) sont disponibles. En appariant (sur la base de l’identifiant d’établissement) ces échantillons aux fichiers administratifs d’établissements primaires (enquête n°19), il nous a cependant été possible d’utiliser ces données pour estimer l’impact de la taille de classe en appliquant les mêmes méthodes qu’aux données du panel primaire 1997, et de nous assurer ainsi de la robustesse des résultats obtenus.

Compte tenu de la relative pauvreté des variables de contrôle disponibles, il n’est pas surprenant de constater que leur inclusion dans les régressions OLS ne permet même pas d’obtenir le « bon » signe pour le coefficient sur la taille de classe (ce qui démontre là encore de l’importance de disposer de données adéquates pour mesurer l’impact des tailles de classes, surtout avec les méthodes de régression traditionnelles). Mais si l’on effectue des régressions par variables instrumentales, on constate que le coefficient a le bon signe et est très nettement significatif.


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