“La loi et l’ordre”, le slogan lourd de sens de Donald Trump

jeudi 8 octobre 2020.
 

C’est le mot d’ordre de la campagne de réélection du locataire de la Maison-Blanche qui clame sur tous les tons qu’il veut rétablir l’ordre dans le pays. Une formule historiquement chargée et volontairement clivante, commente The Christian Science Monitor.

Donald Trump raffole des slogans de campagne à l’emporte-pièce. En 2016, c’était “Make America Great Again” [“Rendre à l’Amérique sa grandeur”], “Build the Wall” [“Construisez le mur”], “Lock her up !” [“Enfermez-la !” en référence à sa rivale de l’époque Hillary Clinton]. En 2020, c’est “Law and Order” [“La loi et l’ordre”].

À deux mois à peine de la présidentielle, Trump semble avoir choisi son cheval de bataille – un cheval de bataille qui a une longue histoire, émaillée de controverses, dans la vie politique américaine.

Discours sécuritaire

À première vue, le slogan s’adresse aux électeurs choqués par les images de pillages et d’incendies dans certaines villes victimes de débordements liés à des manifestations [contre les violences policières et le racisme].

Rien de nouveau de la part de Trump, qui use d’un discours sécuritaire depuis ses premières armes de promoteur immobilier dans un New York gangrené par le crime dans les années 1970.

Mais 2020 n’est pas 1972. Une méthode qui a fonctionné pour des générations de politiciens – surtout des républicains – trouvera peut-être un écho différent aujourd’hui.

Les manifestants de 2020 sont vus d’un œil plus favorable que ceux des années 1960 et 1970. En outre, la méthode est si éculée que nombre d’électeurs pourraient la juger clivante et provocatrice. Pour Katherine Beckett, professeure à la faculté de droit de l’université de Washington :

“Le fait que la formule soit clairement racialisée et qu’il s’agisse d’une tentative manifeste à la fois d’attiser les tensions raciales et de les utiliser risque de la rendre moins efficace cette fois. L’avenir le dira.” Une rhétorique visant à faire peur

Tout au long de la convention républicaine et dans les jours qui ont suivi, Trump et son équipe de campagne ont beaucoup évoqué le climat d’insécurité qui régnerait dans l’Amérique de Joe Biden, occultant ainsi le fait que c’est Trump qui est aux responsabilités au moment où les États-Unis sont ébranlés par des manifestations contre les violences policières – et par des violences nocturnes consécutives à ces manifestations, dans certaines villes.

L’objectif est ici de présenter Trump comme un dirigeant à poigne capable de mettre fin aux troubles. D’où ses références répétées à la formule “La loi et l’ordre”, d’où également son insistance à dire que Joe Biden “causera la ruine de nos belles banlieues”.

Toute cette rhétorique sur la délinquance s’inscrit dans une stratégie visant à faire peur, un sentiment auquel les conservateurs ont toujours été sensibles, observe Ted Johnson, un des responsables du Brennan Center for Justice de l’université de New York.“C’est un procédé visant à attiser les craintes et les angoisses et à monter les gens les uns contre les autres”, précise-t-il.

“Le message est le même, la cible est différente”

Trump avait usé d’une tactique analogue durant sa campagne de 2016 – à cette différence près que les “autres” ne sont plus les mêmes. Voilà quatre ans, le cœur de son discours ciblait les immigrés et les exactions et dégâts économiques supposés qu’ils allaient causer.

Il a réappliqué cette même recette en 2018 en poussant des cris d’orfraie au sujet d’une caravane de migrants en provenance d’Amérique du Sud.

Aujourd’hui, ses attaques visent les “socialistes radicaux” et les manifestants du mouvement Black Lives Matter. “Le message est le même, la cible est légèrement différente”, fait remarquer Ted Johnson.

Pendant des semaines, les stratèges de campagne de Trump ont cru que les images de la police de Portland aux prises avec des manifestants furieux joueraient en leur faveur. Certains démocrates se sont mis à tenir le même raisonnement et ont imploré Joe Biden de dénoncer plus fermement les pillages et les incendies volontaires de magasins.

La cote de Trump a repris des couleurs. Depuis le 17 août, premier jour de la convention nationale démocrate, l’avance de Biden sur Trump est tombée de 8,4 à 7 points.

Le soutien au mouvement Black Lives Matter semble avoir reculé, lui aussi. Les opinions favorables ont chuté de 9 points depuis juin – et de 13 points chez les républicains, selon un récent sondage Politico/Morning Consult.

Reste que ce même sondage montre que les électeurs préfèrent voir Joe Biden plutôt que Trump gérer la lutte contre l’insécurité, soit 47 % des sondés contre 39 %. Et, dans une récente enquête du cabinet YouGov, 56 % des personnes interrogées s’attendaient à une aggravation des violences en cas de réélection de Trump.

“L’inverse de l’anarchie”

À l’évidence, “La loi et l’ordre” est une formule qui plaît. C’est l’inverse de l’anarchie. Or, le rôle premier d’un gouvernement est d’assurer la stabilité et la sécurité du pays. En appelant au rétablissement de l’ordre public, les politiques cherchent à tirer profit de ce besoin atavique.

Le philosophe britannique des lumières John Locke en parlait déjà au XVIIe siècle, relève Malcolm Feeley, professeur émérite à l’université de Californie, à Berkeley :

“Cette formule, c’est un peu comme l’instinct maternel ou la tarte aux pommes, elle a existé de tout temps.” Aux États-Unis, elle a été employée par les sudistes face aux abolitionnistes avant la guerre de Sécession, par la NAACP [association de défense des droits civiques] pour dénoncer les violences racistes au début du XXe siècle, par les partisans de la Prohibition et par un certain nombre de petits partis sécuritaires au fil du temps. La formule a ses dérivés, poursuit Malcolm Feeley, comme la “tolérance zéro”.

Aux États-Unis, dans les années 1960, le concept trouve au sein de la droite un écho qu’il a gardé depuis. C’est un véritable “test de Rorschach” politique, qui parle aux angoisses des électeurs, quelle que soit leur nature. La formule renvoie au type de société dans laquelle la plupart des gens aimeraient vivre – une société stable, sûre et courtoise.

Défendre le statu quo face au changement

C’est aussi une manière implicite de défendre le statu quo face au changement – que le changement en question ait le visage des hippies, des féministes, de l’égalité raciale, des droits des homosexuels, ou de la contre-culture en général, fait remarquer Michael Flamm, professeur d’histoire à l’université de Wesleyan, dans l’Ohio :

“C’est un concept qui parle essentiellement aux émotions, et une manière de rallier des soutiens pour un large éventail de causes ou de préoccupations.” C’est le cas de la campagne du candidat républicain Barry Goldwater pendant la présidentielle de 1964, raconte Keith Gaddie, de la faculté de sciences politiques de l’université de l’Oklahoma. Le discours sécuritaire du candidat parle aux sudistes habitués aux textes répressifs comme les “Black codes” [lois limitant les droits fondamentaux et civiques des Noirs] et les lois ségrégationnistes “Jim Crow”.

“Le discours de Goldwater n’était pas imprégné de racisme, mais il parlait aux conservateurs blancs du Sud, poursuit Keith Gaddie. Et quand il parlait d’insécurité, c’était interprété dans certaines régions du Sud comme une manière de dire : ‘J’obligerai les Noirs à filer droit.’”

Le précédent de George Wallace

En 1968, le candidat George Wallace joue un rôle notable dans la présidentielle dont il est le troisième homme, remportant plusieurs États du Sud en usant d’un discours ouvertement raciste. Le républicain Richard Nixon, habile politicien, devra trouver le juste milieu entre le discours de Wallace et les vues plus libérales du démocrate Hubert Humphrey [il fonde alors toute sa campagne sur le rétablissement de “la loi et l’ordre”].

Il remporte les États périphériques du Sud et l’élection en s’adressant au “racisme poli” des électeurs – des gens qui honnissent les lynchages et les préjugés trop flagrants, mais ne veulent rien changer au statu quo, observe Angie Maxwell, de l’université de l’Arkansas. Après la lutte pour les droits civiques, les discours ouvertement racistes comme celui du gouverneur Wallace deviendront indéfendables, et le langage codé deviendra la norme.

À certains égards, la tactique de Trump est moins subtile. Le président a essuyé de sévères critiques en affirmant qu’il y avait “des gens très bien dans les deux camps” des manifestations de Charlottesville, en Virginie, où des suprémacistes blancs ont défilé avec des flambeaux [et où la manifestante Heather Heyer a trouvé la mort, renversée par une voiture conduite par un suprémaciste blanc, le 17 août 2017]. Il a pris la défense de Kyle Rittenhouse, l’adolescent accusé d’homicide volontaire pour avoir ouvert le feu sur trois manifestants dont deux ont perdu la vie, à Kenosha, dans le Wisconsin [dans la nuit du 25 au 26 août 2020].

Une vieille ficelle usée jusqu’à la corde ?

Il est possible que la polarisation croissante de l’Amérique permette à Trump de radicaliser son discours, juge Angie Maxwell. D’une certaine manière, le retour de la politique sécuritaire témoigne de l’état dans lequel se trouvent le Parti républicain et le président lui-même. À moins qu’il ne s’agisse d’un énième exemple d’un parti et d’un candidat qui reprennent de vieilles ficelles qui ont fonctionné par le passé. Et Angie Maxwel de conclure :

“Si Trump joue cette carte et perd, ce sera un choc de conscience pour les républicains, qui lèveront les bras au ciel en se demandant ce qui s’est passé.”


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message