Covid et dette publique : Retour au financement public via le Trésor

samedi 17 octobre 2020.
 

La crise économique et sociale de la covid-19 ne marque pas une exception dans l’histoire du capitalisme. Comme à chaque crise, l’État est appelé en catastrophe pour réparer les dégâts provoqués par le libéralisme et de la cupidité des riches. La crise en cours est inédite dans sa forme et dans son ampleur et ne peut donc être atténuée que par une action forte de la puissance publique.

Comme seul l’État dispose d’un horizon d’action long et du pouvoir monétaire, il peut s’endetter « éternellement » à notre place et étaler le choc sur plusieurs décennies allégeant ainsi le fardeau immédiat. Le déploiement massif de l’activité partielle, des prêts garantis aux entreprises et le report des paiements des impôts et des cotisations sociales des entreprises sont d’autant d’aides immédiates dont seul l’État peut se permettre. En contrepartie l’État s’endettera massivement : le gouvernement prévoit un déficit de 11 points de PIB en 2020 et la dette publique devrait dépasser les 120 %.

Les libéraux osent déjà se demander si la France disposera de moyens suffisants pour financer ses services publics et son système de protection sociale. Le chantage à la dette, principal moyen pour discipliner les demandes populaires, sera au rendez-vous dès que la perspective d’une reprise sera plus claire. Pour construire un avenir en commun il faut commencer par désamorcer cette vielle lubie libérale.

La dette publique n’est pas un problème

Défenseurs de l’action publique, nous devons dire clairement : la France n’a aucun problème de dette publique. Le coût de la dette supportée par un État ne correspond pas au remboursement futur de ses créanciers. L’État parvient en général à faire « rouler sa dette » : lorsqu’un titre de la dette arrive à son échéance, les créanciers échangent du vieux papier contre du nouveau. Strictement parlant on rembourse toujours ses créanciers et les intérêts mais jamais le stock de la dette. La réelle charge de l’endettement public est donc le montant des intérêts payés annuellement. En 2019, la charge de la dette correspond à 1,5% de PIB (35 milliards d’euros) un niveau plus faible à celle de 1981, alors même que le ratio entre la dette publique et le PIB a augmenté de 80 points depuis cette époque ! Organiser la discussion sur le sujet de la dette autour du montant total est donc un leurre.

Les conditions de financement de l’État n’ont jamais été aussi favorables : au 16 septembre l’État s’endette à un taux négatif (-0,2%) à 10 ans et à un niveau inférieur à l’inflation même à 30 ans. Dans ce contexte, la seule progression des prix permet de rembourser, sans effort, une dette qui est totalement soutenable. La signature de l’État français génère une telle confiance actuellement que les épargnants prêtent à perte à l’État pour garantir leur capital dans un monde où la bourse est un casino fou.

Reprendre notre capacité à décider

Il ne serait pas sérieux d’arrêter l’analyse en disant joyeusement qu’il n’y a aucun souci à se faire. Comme mentionné plus haut « l’État parvient en général à faire rouler sa dette » le problème est le « en général ». À certains moments spécifiques, ceci n’est plus vrai : des tensions sur la dette publique peuvent émerger si les marchés financiers lancent des attaques spéculatives et refusent de rouler la vieille dette. Parce qu’ils ne peuvent pas emprunter directement à leur banque centrale, les États doivent accepter de payer des taux prohibitifs afin d’attirer les fonds vautours. La spirale peut être infernale. Par le passé, elle a déjà ciblé en particulier les gouvernements qui cherchent à rétablir la justice en faisant que les richesses aillent à ceux qui la produisent et pas à ceux qui l’accumulent. L’expérience grecque est dans toutes les mémoires.

Dans ce contexte de menace des marchés financiers, les institutions de l’UE ne protègent pas les peuples. Bien au contraire ! L’UE utilise même tout son poids pour aggraver la situation, notamment en coupant l’accès à la liquidité de la BCE comme ce fut le cas pour Chypre ou la Grèce. Ainsi, s’il faut lutter avec force contre le discours catastrophiste sur la « faillite de l’État français », il faut aussi sortir du « gouvernement de la dette » qui vise à discipliner les demandes populaires.

Toutes les failles du capitalisme financiarisé ont été mises à nu par la crise de la covid-19. Plus que jamais, il est urgent d’investir massivement dans les services publics et d’engager la bifurcation écologique. Ceci nécessitera d’investissements publics massifs qui doivent être planifiés et financés. Il serait irresponsable de laisser le soin de préparer notre futur au court-termisme des marchés financiers. Tout cela implique justement de s’endetter pour investir[1].

Rendre impossible une crise de la dette

Une option avancée dans le débat pour alléger le risque de refinancement de la dette publique est celui de geler ou dit autrement « d’annuler » les dettes souveraines actuellement détenues par la BCE et la Banque de France. L’Eurosystème détient actuellement 20% de la dette publique française. Mais si on se débarrasse de l’exigence de « rouler » un cinquième de la dette publique, le pouvoir laissé au marché est sensiblement atténué mais reste entier sur le 80% restant. Pour garantir les ressources pour réaliser les investissements publics urgents il est nécessaire de créer un mécanisme permanent de refinancement de la dette souveraine.

Pendant les années désignées comme les 30 glorieuses, le circuit du Trésor assurait un flux de ressources permanentes vers la trésorerie de l’État. Ce flux de ressources était assuré par les contraintes règlementaires qui pesaient sur le système bancaire et les grandes entreprises, souvent publiques[2]. L’importance de ces flux financiers rendait inutile le financement de la trésorerie de l’État par des mécanismes de marché. Le Trésor disposait automatiquement de liquidités quotidiennes suffisantes. Pour renforcer la certitude de ne jamais avoir un accident de trésorerie, l’État disposait d’une autorisation de découvert sur son compte à la Banque de France. Le niveau du découvert autorisé était voté par le Parlement et sous cette contrainte démocratique, le Trésor pouvait utiliser cette capacité librement en fonction de ses besoins. De cette façon, non seulement le chantage constant de la dette est empêché mais en plus la démocratie reprend pleinement ces droits face aux marchés financiers. Cette expérience est cruciale pour lutter contre la financiarisation de l’économie et n’a rien d’illusoire puisqu’elle a montré sa force par le passé.

Lorsque la banque centrale intervient massivement sur le marché de la dette publique (et privée), son indépendance doit être remise en cause. Un groupe de technocrates sans mandat populaire ne peut pas décider du futur de millions de personnes sans rendre des comptes. Dans le cadre européen actuel, la libre circulation du capital empêche par exemple le financement de la bifurcation écologique : il faut diriger l’épargne vers la dette publique à travers l’établissement de normes strictes et l’interdiction des échanges sur les marchés spéculatifs inutiles. Enfin, la banque centrale doit avoir un rôle de prêteur en dernier ressort comme aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon, afin de sortir une bonne fois pour toute la dette souveraine des griffes du marché. Obtenir ces mesures ne sera pas facile, derrière chacune de ces mesures, des intérêts énormes sont visés. Une lutte acharnée sera nécessaire face au capital et à leur outil que sont les traités européens. Aucune mesure technique ne nous évitera un combat acharné. Mais ce combat est le seul chemin pour faire face au changement climatique et pour la transformation sociale. Et être maître de notre destin plutôt que de subir les conséquences de la réponse à venir face à la dette pandémique.

Luis Alquier


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