2022 : la gauche sera rassemblée ou ne sera pas

lundi 19 octobre 2020.
 

Ils le disent tous, dans tous les partis, toutes les assemblées, tous les plateaux de télévision, avant chaque élection : la gauche sera rassemblée ou ne sera pas. Le dire, c’est bien, mais le faire, c’est une autre paire de manches !

En l’espace de quelques jours, deux pétitions invitent au rassemblement. L’une revendique que l’Île-de-France mérite son « printemps » aux régionales de mars prochain – en référence à la victoire du printemps marseillais, coalition de gauche, des écologistes et de la société civile à Marseille. L’autre en appelle à une candidature unique de toute la gauche à la présidentielle de 2022. Tout le monde à gauche et chez les écologistes n’ont que ce mot à la bouche : rassemblement. Des semaines, des mois, des années que tout le monde le jure : plus-rassembleur-que-moi-tu-meurs. Tout le monde est d’accord pour dire que personne n’est en capacité de gagner seul. D’où la nécessaire unité. Certains voudraient même créer une « maison commune », c’est le cas des écologistes, quand d’autres à La France insoumise créeraient une « fédération populaire ». Un appel pour une fédération populaire en Ile-de-France vient même d’être lancée. Pourtant, élection après élection, du scrutin européen en passant par les municipales aux législatives partielles ou aux sénatoriales, la gauche part en ordre dispersé, à quelques exceptions près. Pourquoi, alors ce discours permanent sur l’union, le rassemblement ?

Sans doute parce que ce discours est attendu. Parce que la colère face au quinquennat que nous subissons chaque jour toujours plus – plus liberticide, plus autoritaire, plus conservateur et plus libéral encore que les quinquennats de Sarkozy et Hollande réunis – nécessite une riposte politique qui, à défaut de se faire dans la rue en ces temps-ci de crise sanitaire, doit s’imposer dans les urnes. Sans doute aussi que notre pensée arithmétique nous conduit à la conclusion que l’addition des intentions de vote d’une offre pléthorique de candidats de gauche sur la ligne de départ – qu’il s’agisse des élections régionales ou de la présidentielle – offriraient (enfin) de belles perspectives électorales. Et peut-être in fine de déjouer le duel Le Pen-Macron. Tout le monde, à gauche, en rêve. Le sondage du JDD de la semaine dernière nous livre ainsi quelques enseignements... qui font froid dans le dos. Certes un sondage à deux ans d’une échéance est critiquable. Et peut-être même contestable sur le plan démocratique. Certes on a vu passer et repasser les sondages de 2015 qui donnaient Juppé vainqueur pour l’élection de 2017. Certes, mais quand même…

La gauche et les écologistes, lorsqu’ils partent en solo avec cinq, voire six candidats pèsent globalement un peu moins de 30%. Première douche froide. Quand un candidat de rassemblement de toute la gauche et des écologistes est testé, il ne pèse plus que 13% (hypothèses Jadot ou Hidalgo) et 15% (hypothèse Mélenchon).

Sondage 2022 : Mélenchon systématiquement en tête à gauche

De quoi s’interroger sur la stratégie de rassemblement. C’est 15 points de moins que l’addition de leurs scores s’ils étaient candidats, chacun, dès le premier tour. C’est beaucoup. Et c’est une seconde douche froide. En effet, une minorité des électeurs de Mélenchon, de Jadot ou d’Hidalgo seraient prêts à voter pour l’un de ces trois candidats. Cela accréditerait-il la thèse de Valls sur les deux gauches irréconciliables ? Pas sûr. Mais la gauche et les écologistes auraient tort de ne pas voir ce que révèle le sondage. Une fracture de taille. Et c’est sans doute là-dessus que le travail doit être mené pour espérer rassembler la gauche et les écologistes. Parce qu’il ne suffit pas de dire qu’il faut un projet de transformation sociale et écologique pour rassembler. Il y a sans doute infiniment plus de sujets d’accords qu’il n’y a de désaccords mais ça ne doit pas occulter ce qui fâche.

Parce qu’il ne s’agit pas de « faire mieux » que Macron – ou les autres. Il s’agit de changer de paradigme. De penser différemment. Et surtout, de ne pas décevoir. Et ne pas décevoir c’est aussi ne pas céder aux compromis. Ces compromis qui ont tué la social-démocratie. Et l’Europe avec. La politique, c’est aussi du conflit. Un projet clair. Qui change radicalement la donne. Il y a un terrain d’entente là-dessus à gauche et chez les écologistes. Tout le monde a bien conscience que l’urgence sociale, écologique, démocratique nécessite de sortir de la politique du pas-à-pas. De la mesurette. Il faut des mesures fortes. Un changement profond de doctrine. Penser une société de la sobriété, comme le suggèrent les écologistes. Il y a consensus là-dessus. Mais sur bien d’autres sujets, difficile de faire force commune : la laïcité, l’Europe, la souveraineté, le protectionnisme, le rôle de l’État, le féminisme, la croissance (ou pas), la dette, l’immigration, la police, le racisme… Que faire de ces désaccords ? Que faire de ces fractures qui font mal à la gauche ? Et la fracasse parfois.

Certains affirment avoir déjà le projet pour 2022. Il suffirait de recycler le précédent projet en le réajustant à la marge. Pourtant, la crise que l’on vient de traverser et que l’on va traverser encore quelques mois – et ses effets sur la hausse spectaculaire des inégalités et la paupérisation aggravée de la société – ne nécessite-t-elle pas de tout revoir, de tout repenser, de tout reprendre et de repartir à zéro ? Pour l’heure, la gauche et les écologistes ne sont pas prêts pour 2022. C’est un euphémisme. La vérité c’est que ni la gauche ni les écologistes n’ont de projet. Peut-être après tout que les uns et les autres se disent que ça sera pour le coup d’après. Pour 2027. Ce serait un aveu terrible et un abandon impardonnable des personnes les plus vulnérables : celles qui qui subissent les injustices, les inégalités, le racisme, chaque jour.

C’est maintenant que le rassemblement doit s’opérer. Non pas pour faire campagne et poser sur les affiches mais pour travailler le projet. Parce que c’est bien d’un projet collectif, des quartiers populaires aux campagnes jusque dans les centres urbains, dont nous manquons. Et peut-être alors qu’un jour la gauche et les écologistes pourront le dire : parce que c’est notre projet !

[Pierre Jacquemain-


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message