Présidentielle 2022 : Mélenchon va mettre son programme "en débat" avec les autres partis

vendredi 20 novembre 2020.
 

Deux jours après sa déclaration de candidature dimanche 8 novembre sur TF1, Jean-Luc Mélenchon accorde son premier entretien à la presse nationale au HuffPost. Nous l’avons rencontré mardi 10 novembre, dans son bureau de l’Assemblée nationale.

Alors qu’il a franchi ce jeudi 12 novembre le seuil des 150.000 parrainages citoyens qu’il s’était fixé, le candidat ouvre une nouvelle étape de sa campagne, celle d’aller “convaincre” les autres partis politiques de rejoindre son programme qu’il se dit prêt à “amender” en fonction des apports des uns et des autres, jusqu’aux Républicains... Une façon de bouleverser le jeu politique encore plus que ne l’avait fait Emmanuel Macron en 2017. Reste à savoir si les autres formations politiques lui ouvriront la porte. Lui reste inflexible sur le bien-fondé de sa candidature.

Le HuffPost : Vous avez fait des consultations pendant deux mois avant de prendre votre décision de vous présenter. Qu’est-ce qui vous a convaincu ?

Jean-Luc Mélenchon : Ma décision personnelle est raisonnée. J’ai beaucoup consulté. J’ai trois atouts : notoriété, unité des miens, programme connu. Les autres formations politiques n’ont pas cette situation. Pour nous, c’est le bon moment. Nous avions anticipé la deuxième vague et la difficulté de faire campagne avec des épisodes de confinement. Il nous faut du temps pour convaincre et enraciner l’idée que la rupture avec l’ordre des choses est possible et crédible.

Le compteur ne va pas s’arrêter à 150.000 … Et vous verrez alors sans doute nos muscles ! Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle

Vous avez conditionné votre candidature à 150.000 parrainages. Compte tenu de vos 7 millions de voix à la dernière présidentielle, pourquoi ne pas avoir mis la barre plus haut, à 1 million par exemple ?

Je ne cherche pas a montrer mes muscles, mais à atteindre un objectif politique. L’investiture citoyenne existe déjà dans quatre pays d’Europe. Ce chiffre vient du rapport Jospin pour un parrainage citoyen à la présidentielle dont je tire une proposition de loi qui sera débattue en mai. J’ajoute que le compteur ne va pas s’arrêter à 150.000… Et vous verrez alors sans doute nos muscles !

Votre candidature a été critiquée notamment en raison du “timing”, en pleine crise sanitaire et sur fond de menace terroriste. Que répondez-vous ?

Quel serait le bon moment ? Beaucoup pensent qu’en période de crise la vie politique se met entre parenthèses. Nous pensons le contraire. La situation crée des dizaines de débats : les libertés publiques, les circuits courts d’alimentation, le vaccin, le manque de lits à l’hôpital. On avait du mal à porter ces thèmes auparavant. C’est au contraire le bon moment pour intéresser à notre programme et créer de l’adhésion à ses solutions.

Clairement : la dispersion peut desservir. Mais la confusion encore plus. Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle

Vous invoquez souvent François Mitterrand qui, lui, a fait l’union de la gauche… Ne vous sentirez- vous pas coupable si, à cause de la désunion, la gauche n’arrivait pas à accéder au second tour en 2022 ?

Non. Et je n’ai pas accusé le PS qui m’a privé de deuxième tour la dernière fois. Le secrétaire national du PCF a annoncé sa candidature samedi, juste avant moi. Les Verts ont décidé d’avoir un candidat - ils en ont d’ailleurs trois. Eux me respectent. Seul Olivier Faure du PS m’a chargé, tout en citant trois candidatures socialistes possibles. Qui s’en émeut ? C’est là beaucoup d’hypocrisie de sa part. J’ai démarré après avoir constaté, comme en 2016, combien l’unité reste un prétexte dans la bouche de la gauche traditionnelle. Clairement : la dispersion peut desservir. Mais la confusion encore plus. Je ne serai jamais l’homme d’une tambouille de positions contradictoires.

Pourquoi ne pas avoir travaillé sur le programme avec les autres forces de gauche, avant de vous déclarer candidat ?

Ils n’en veulent pas ! Depuis deux ans, tous ont refusé la proposition de construire une “fédération populaire”. Et attention : ce programme ne sort pas de mon chapeau. C’est le résultat d’une ample consultation des citoyens, des associations et des syndicats déjà validée par 4 puis 7 millions de voix en 2012 et 2017. Depuis nous sommes confortés par la société. Par exemple on y retrouve 90 % des propositions de la convention citoyenne des 150 tirés au sort sur le climat. Enfin, ce programme n’est pas à prendre ou à laisser : il est remis en ligne. Nous allons en parler avec tous les partis et les rencontrer au cours des prochains mois pour en débattre. La discussion restera ouverte jusqu’à octobre 2021.

C’est nouveau ça ?

Oui. Les organisations politiques et syndicales, les associations seront consultées. Sauf évidemment l’extrême droite puisque nous n’avons rien à nous dire et LREM puisque nous sommes en opposition avec eux depuis 2017.

Même avec LR ?

Par courtoisie, pourquoi pas ! D’ailleurs je leur proposerai plutôt un débat public, car nos projets sont bien distincts. Nous irons voir tout le monde, le NPA, le PS, EELV, le PCF, etc.

Ils pourront donc amender des choses de votre programme ?

Sous condition de cohérence de ce programme, il n’est absolument pas figé.

Si c’est narcissique de se présenter, il n’y aura plus de démocratie représentative possible. Il faut bien que quelqu’un porte la bannière. Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle

Aller consulter les autres formations politiques, c’est très nouveau dans votre bouche...

Non, nous le faisons toute l’année a l’Assemblée et à Strasbourg. Il n’y a pas de sectarisme de notre part. Contrairement à d’autres qui nous font la danse du ventre et disent dans le même temps “ni lui ni son programme…”. Ceux qui me reprochent d’avoir une démarche égotique veulent eux-mêmes être candidats. Si c’est narcissique de se présenter, il n’y aura plus de démocratie représentative possible. Il faut bien que quelqu’un porte la bannière.

Ils pourraient tout de même vous reprocher votre autoritarisme. La scène des perquisitions en 2018 restera par exemple. La regrettez-vous ?

Cette fois-là l’abus de pouvoir venait de Macron. Je serais sidéré de voir que cinquante ans de vie politique soient jugés sur cinq minutes d’images truquées puisqu’à la fin quand je peux enfin entrer dans mon local les images montrent que je dis au juge “allez-y, faites votre travail”. Pourquoi ne s’est-on pas demandé pourquoi j’ai réagi comme ça ? J’ai fait mon devoir en protégeant notre siège. Je l’ai payé au prix fort. Un policier m’a menacé et je lui ai rappelé que “la République c’est moi” à cet instant. J’avais raison. Je suis un Méridional, mon visage parle aussi. Mais c’est bien superficiel de me juger là-dessus.

Un sondage Elabe de 2019 dit que vous inquiétez 57% des Français et un quart de votre électorat de 2017. Allez-vous tenter de les rassurer ?

On ne leur a pas demandé s’ils me trouvaient cultivé, solidaire ou patriote ? Il faudrait leur poser ces questions.

Vous fustigez le monarque présidentiel, qui nous dit que vous ne serez pas de ceux-là ?

On n’est jamais la garantie de rien dans la vie. Voyez, comparez : je propose une assemblée constituante pour abolir la monarchie présidentielle et un référendum pour pouvoir révoquer n’importe quel élu. Les autres ne proposent rien de tout cela. Marine Le Pen ne veut plus changer la constitution, Nicolas Dupont-Aignan la trouve géniale, Emmanuel Macron l’adore. Le PS s’y fait très bien et les Verts n’en parlent pas. Les trois candidats déclarés, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Emmanuel Macron incarnent trois variantes d’une vision autoritariste de l’État. Avec tous ceux-là, la monarchie présidentielle est garantie.

Qui est le véritable Jean-Luc Mélenchon ? Celui qui se revendique du populisme ou celui qui admire Lionel Jospin ?

La personne humaine est faite de strates. L’expérience m’a appris à savoir les agglomérer. Comme tout le monde, avec le temps, je ne suis plus la même personne. Chaque personne est un parcours. Je ne suis plus le garçon de onze ans qui quitte l’Afrique du Nord, même s’il m’en reste des traces ; je ne suis plus le jeune étudiant qui haranguait ses camarades, même s’il m’en reste des traces comme d’avoir été prof ou journaliste. Reste permanent en moi l’esprit des Lumières, l’humanisme de la Renaissance, Jean Jaurès et Camus.

Évidemment, je tends la main à Arnaud Montebourg. Je crois à la sincérité de son repentir. Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle

Vous avez perdu les dernières élections intermédiaires. Sans l’aide des communistes, pourrez-vous réunir les 500 signatures ?

On y arrivera. Mais ce serait dommage que ce soit sans les communistes.

Le retour d’Arnaud Montebourg a-t-il précipité votre déclaration ?

Non. Pourquoi ? Il est revenu ? Il était parti ?

Certains aimeraient qu’il vous rejoigne, lui tendez-vous la main ?

Je crois à la sincérité de son repentir. Évidemment, je lui tends la main.

Anne Hidalgo laisse entendre qu’elle pourrait y aller. Pourriez-vous faire un ticket avec elle ?

Est-ce qu’elle en aurait envie ?

Pouvez-vous gagner sans les écologistes ?

Nous sommes écologistes. Notre écologie populaire est rassembleuse.

Dans votre programme, on a bien identifié la 6e République, mais sur le plan économique et social, quelles seraient vos trois mesures-clés ?

En trois points ! Bigre  ! Il y a sept points dans le programme. Nos idées avancent. Parfois de façon imprévue. Voyez la reconstitution du Commissariat au plan. Nous saurons lui donner toute son ampleur le moment venu. L’annulation de la dette ? Quand j’en parlais, on me traitait de gauchiste. À présent de grands noms de l’économie portent l’idée. Résumons : nous luttons contre l’inégalité pour que la richesse circule. Nous défendons une autre façon de vivre : l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature.

Emmanuel Macron est le président d’Amazon Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle

Souhaitez-vous la réouverture des librairies ?

Je suis sidéré par cette histoire. C’est comme si on avait interdit de boire du Bordeaux ou de prendre en photo la tour Eiffel. Les livres, c’est sacré. Bien sûr que la librairie doit rester ouverte. Macron a géré cette question de manière ridicule, en interdisant pour finir la vente des livres. L’économie française peut s’effondrer et avec elle toute une manière de vivre. L’activité culturelle et sportive, le petit commerce sont vitaux. Le président de la République dit “faites-vous livrer”. C’est son manifeste. Il est le président d’Amazon.

Que lisez-vous en ce moment pour faire face à la situation et que conseillez-vous à nos lecteurs ?

Dans les moments durs et les grandes décisions, il faut relire les bons bouquins : ceux qui vous ont plu dans des moments décisifs de votre vie, le moment où vous devenez un homme ou une femme, le moment où vous traversez un grand deuil... Quand arrivent des épidémies, il y a des lectures incontournables. La lecture sévère : Camus, La Peste. La lecture qui mélange la peur et la joie de vivre, Le Hussard sur le toit, Jean Giono. Le cerveau de l’être humain anticipe toujours le futur. Il faut de l’espoir pour vivre, on ne peut pas s’en passer. Mon grand classique pour se rappeler que la vie est une suite d’étapes est Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, pour imaginer d’autres futurs et d’autres vies.

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