Refonder le clivage droite/gauche (par Hervé Le Fiblec)

vendredi 17 août 2007.
 

La question du clivage droite/gauche ne se pose qu’à partir du moment où ce clivage peut se brouiller.Voir une partie non négligeable de l’électorat de gauche choisir le vote Bayrou, voir une grande majorité de sympathisants, et même de militants syndicaux et associatifs, faire le choix de rester en-dehors de partis de gauche, devrait nous conduire à une réflexion de fond sur l’identité de la gauche. En effet, ce brouillage évident s’explique en grande partie par le fait qu’au lieu de définir un corpus d’analyses et de conceptions qui puisse la fonder, la gauche s’est progressivement laissé aller à défendre la supériorité de ses solutions sur celles de la droite, sans jamais d’ailleurs convaincre vraiment sur ce plan-là.

Comment, d’ailleurs, jouer mieux que l’adversaire son propre jeu, sur son propre terrain ? Qu’est-ce qui différencie, si l’on en reste à la question des moyens et des méthodes, la gauche de la droite ? La gauche serait « solidaire » là où la droite serait « individualiste » ; la gauche serait « généreuse » là où la droite serait « égoïste » ; la gauche serait « novatrice » là où la droite serait « traditionaliste »... Non seulement tout ceci ne peut convaincre personne parce qu’un tel positionnement se contente d’une disqualification morale de l’adversaire qui situe, comme la colère feinte de Ségolène Royal lors du débat télévisé avec Nicolas Sarkozy, l’enjeu sur un plan qui n’est pas politique, mais aussi parce que nous devrions savoir depuis une bonne trentaine d’années que la gauche n’a pas le monopole du cœur.

Au-delà, même, on peut penser que les offensives néo-libérales qui se sont succédé depuis le début des années 80 ont fini par faire avancer, dans l’esprit de bon nombre de travailleurs des pays développés, l’idée que la croissance économique couplée à la charité, privée ou institutionnelle, était un meilleur système pour assurer leur avenir que la redistribution couplée à l’intervention de l’Etat.

S’il convient donc de refonder la gauche, ce n’est pas dans le domaine des « solutions » ou des « valeurs morales » qu’il faut se situer d’abord, faute de quoi nous serions à tout jamais contraints à un gauchisme plus ou moins radical (parfois très peu, et parfois surtout en paroles...) sans avenir et sans débouchés, et battus même sur ce plan par une droite « décomplexée » et communautariste qui au lieu, par exemple, de s’intéresser à la situation des étrangers et des français issus de l’immigration d’un point de vue social et collectif, se contente de promouvoir des individus censés les représenter. Mais si aucune Condoleeza Rice n’a jamais amélioré la situation des Noirs américains, aucune Rachida Dati ne changera la ghettoïsation des quartiers pauvres où vit la majorité de ces populations.

On peut ainsi, d’ores et déjà, définir un certain nombre d’analyses et de positions qui permettent de distinguer la gauche de la droite. La présente contribution n’a pas pour ambition d’épuiser le sujet, mais de participer modestement à cette construction.

Première proposition : Il n’y a pas de divergence d’intérêt entre les salariés qui constituent un groupe homogène politiquement.

Depuis le début des années 80, les politiques d’opposition entre les salariés, distinguant les privés d’emplois à ceux qui en ont un, les salariés du public à ceux du privé, les retraités aux actifs, les bas salaires aux classes moyennes, etc. n’ont eu pour effet que de briser les solidarités, affaiblir le syndicalisme, et in fine de renverser le rapport capital/travail dans la répartition des richesses produites. Les seuls à bénéficier de cette perte de repères de la gauche ont bien été ceux qui vivent (bien) de leur capital au détriment de ceux qui n’ont que leur travail pour assurer leur subsistance. Face à l’impunité de ceux qui s’enrichissent en dormant, comment ne pas comprendre la tentation de ceux qui s’appauvrissent en travaillant de « travailler plus pour gagner plus » ?

Deuxième proposition : Les inégalités dans la société ne sont pas naturelles mais le produit d’une construction historique.

Il n’est donc pas « normal » qu’il y ait des inégalités,- ce n’est qu’un fait de système, le capitalisme libéral. On peut donc imaginer et tenter d’atteindre un monde sans inégalités, ou, à défaut, dans un premier temps, un monde où les inégalités seraient moindres, où personne ne vivrait dans la pauvreté, et où ces inégalités éventuelles ne seraient pas uniquement, comme c’est le cas aujourd’hui, liées à la naissance et à l’héritage, même si, et le découplage entre la démocratisation certaine de l’école d’une part et le développement de la fracture sociale d’autre part le montre, il n’est pas de système qui puisse assurer « l’égalité des chances » et donc fonder l’inégalité à l’arrivée par une égalité au départ. Il est d’autant plus raisonnable de lutter contre ces inégalités, et à la puissance publique d’intervenir dans ce sens, que la richesse ne se crée pas que par le capital, mais aussi par le travail et qu’il convient, au moins dans une société d’économie mixte, d’équilibrer les revenus des deux.

Troisième proposition : Il existe des besoins fondamentaux de l’individu auxquels il appartient à la société de répondre.

La définition du périmètre de ces besoins et de leur ampleur relève là encore d’un processus historique lié aux évolutions techniques et scientifiques. De même, rien ne dit que leur satisfaction ne puisse être assurée par le secteur marchand : c’est d’ailleurs la théorie libérale. Ce qui différencie ici la droite de la gauche, c’est que la première résumerait bien le champ d’intervention de la puissance publique à ce qui est nécessaire à la conservation de l’Etat (ce qu’on appelle le domaine « régalien » : Justice, police, armée...) tandis que la gauche estime qu’il lui appartient aussi de satisfaire à ces besoins. La droite met l’Etat au centre de sa conception de l’Etat, la gauche ne le considère que comme l’outil d’un intérêt général qu’il appartient à tous, par l’exercice des droits politiques, de définir.

Ces trois propositions fondamentales (auxquelles on pourrait évidemment en ajouter d’autres) distinguent clairement les analyses de droite des analyses de gauche ; et, de ce point de vue, il n’y a pas de divergences qui ne soient surmontables entre les différentes forces et formes de gauche.

Poursuivre cette réflexion et définir ce corpus fondamental de la gauche permettrait ainsi non seulement de repenser le clivage droite/gauche, mais aussi de refondre la gauche en faisant apparaître son unité doctrinale et en posant ainsi la question de son unité organique.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message