France raciste ?

samedi 26 décembre 2020.
 

Alors que le racisme s’exprime de façon toujours plus décomplexé, le combat antiraciste semble avoir été abandonné. Désormais, c’est l’extrême droite qui donne le ton.

Quand le visage de l’extrême droite n’était encore qu’une vieille image, rance et nauséabonde, de Jean-Marie Le Pen, avec son passé, ses outrances, ses caricatures, ses dérapages contrôlés et ses procès, personne n’imaginait ses idées arriver un jour au pouvoir. Ses opposants politiques d’alors, de gauche et de droite, passaient leur temps à déconstruire ses discours stigmatisant, nourris de racisme et de xénophobie, avec une haine féroce de tout ce qui lui était étranger. Ces mêmes responsables politiques, principalement à gauche, assumaient dans le même temps, de plaider pour un accueil digne des étrangers et un renforcement du droit d’asile. De leur côté, les médias ne goûtaient que peu l’idée de recevoir le président du Front national et ses alliés au point que durant des dizaines d’années, le premier parti d’extrême droite a joué la carte de la victimisation, accusant les bien-pensants de vouloir les boycotter.

Aujourd’hui, l’extrême droite n’est plus la victime. Elle est au centre du jeu politique. Et elle donne le ton sur bien des sujets d’actualité – ou plutôt que l’on veut bien mettre au centre de l’actualité. Sous son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait trouvé la parade avec son ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. François Hollande, après avoir renoncé à l’une de ses propositions de campagne ouvrant le droit de vote des étrangers extracommunautaires aux élections locales, a tâché d’une marque indélébile son mandat en proposant la déchéance de nationalité pour les binationaux. Enfin, Emmanuel Macron, après sa promesse du en même temps, mène aujourd’hui une politique à droite, sécuritaire et autoritaire, tout en envoyant des signaux forts à l’électorat d’extrême droite. Désormais, ça n’est plus en combattant les idées de l’extrême droite que l’on mène la bataille contre la grande famille Le Pen, mais en reprenant leurs idées.

La crise du Covid-19 n’a rien arrangé. L’idée que les frontières sont devenues notre meilleur atout pour lutter contre le virus a largement irrigué la classe politique. Jusque dans les rangs de la gauche. « Je note quand même que ce qui est important aujourd’hui, c’est nos frontières et heureusement qu’elles étaient là pour pouvoir empêcher la propagation du virus. Nous devons avoir la même précaution, la même prévention, de ne pas ouvrir les frontières trop vite tant que nous n’avons pas réussi à véritablement endiguer le virus et l’épidémie », a ainsi lâché le secrétaire national du PCF le 14 mai dernier. Plus récemment, c’est le député François Ruffin qui a déclaré : « Je suis favorable au retour des frontières sur capitaux, marchandises et personnes […]. Je pense que les frontières ne sont pas quelque chose de négatif, les frontières permettent de se construire aussi ». Pourtant, pour l’épidémiologiste Antoine Flahaut : « Fermer les frontières n’est pas efficace, les virus n’ont pas de passeport ».

Les effets de la crise du Covid-19, notamment en matière économique, ont donné aussi de la matière et du relief aux idées de l’extrême droite. Alors que la crise est mondiale, tout le monde, ou presque, répond local. Ainsi le retour de la souveraineté/souverainisme fait de nouveaux adeptes – y compris à gauche. Il faudrait désormais protéger nos frontières et assumer une forme de « protectionnisme solidaire » pour les uns quand les autres plaident pour une « indépendance » voire en appellent à « la démondialisation ». Pourtant, les grands défis qui sont devant nous, qu’ils soient sanitaires, climatiques, numériques, peuvent-ils réellement se régler à l’échelle locale ? En avons-nous les capacités et surtout le local est-il vraiment l’enjeu ? Sans doute pour partie. Mais la réponse est largement insuffisante. De qui, de quoi avons-nous peur ? De quoi, de qui devons-nous nous protéger ? L’ennemi, l’adversaire, est-il toujours hors de nos frontières ?

Ce week-end, le déferlement antisémite qui s’est abattu sur April Benayoum, miss Provence, tout comme les propos haineux, à caractère raciste, à l’endroit de Rokhaya Diallo tenus par trois des trois participants d’une émission de débat sur Sud Radio – avec l’approbation de l’animateur (même s’il s’en est excusé depuis) –, sont des indices de plus du racisme ambiant, décontracté, souvent impuni, qui sévit au sein même de nos frontières. Ce climat inquiétant a été rendu possible parce que nous avons collectivement abandonné. Et cédé aux sirènes de l’ennemi extérieur. Le danger viendrait d’ailleurs. Nous avons détourné notre regard et abandonné les batailles structurantes : la lutte antiraciste. Lutter contre toutes les formes de discriminations et de racismes. Et ne pas se laisser intimider, voire renoncer – comme beaucoup de responsables politiques l’ont fait –, au prétexte que la lutte contre l’islamophobie servirait la soupe des islamistes et que le combat contre l’antisémitisme légitimerait l’annexion des territoires palestiniens. Ça n’a rien à voir. Le débat est biaisé. Tronqué. Pour le plus grand bonheur de l’extrême droite.

Et s’agirait peut-être de ne pas l’oublier : l’ennemi, c’est l’extrême droite. Et elle n’a pas de frontière.

Pierre Jacquemain


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