ARTICLE 89, RELATIF A LA PARTICIPATION DES COMMUNES AU FINANCEMENT DES ECOLES PRIVEES (rapport d’Anne David)

mardi 21 août 2007.
 

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Vous m’aviez désignée, le 11 octobre 2006, rapporteure sur deux propositions de loi relatives à l’article 89 de la loi du 13 août 2004, concernant la participation des communes au financement des écoles privées :

- celle présentée par M. Yves Détraigne et d’autres membres du groupe UC-UDF, visant à encadrer les modalités de cette participation ;

- et celle que j’ai présentée avec les membres de mon groupe, tendant à abroger cet article 89.

J’ai depuis mené un certain nombre d’auditions, qui m’ont permis d’entendre les différentes parties prenantes au débat qu’ont suscité l’adoption et la mise en œuvre de ces dispositions :

-  les représentants des maires, par la voix de l’Association des Maires de France et de l’Association des Maires Ruraux,

-  l’ANDEV, l’association des directeurs de l’éducation des villes,

-  le secrétariat général de l’enseignement catholique, le SGEC,

-  le comité national d’action laïque (le CNAL - regroupant des syndicats et fédérations de l’enseignement public),

-  et enfin le sous-directeur de l’enseignement privé du ministère de l’éducation nationale.

Cette communication me permet aujourd’hui de vous présenter les premiers enseignements tirés de ces travaux.

• Un bref rappel, tout d’abord, des éléments du débat.

L’article 89 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales a été introduit au Sénat par voie d’amendement -présenté en deuxième lecture par notre collègue Michel Charasse-.

Il étend aux élèves scolarisés dans des écoles privées sous contrat l’application des trois premiers alinéas de l’article L. 212-8 du code de l’éducation : de fait, il rend obligatoire, comme c’est le cas pour les écoles publiques sous certaines conditions, la contribution, jusqu’alors facultative, des communes de résidence aux charges de fonctionnement des écoles privées situées sur le territoire d’autres communes, quand celles-ci accueillent leurs enfants ; à défaut d’accord entre les communes, il revient désormais au préfet de fixer la contribution de chacune de ces communes.

Mais pour les écoles publiques, la grande différence réside dans le fait que ce financement n’est pas obligatoire en cas de possibilité d’accueil sur son territoire des enfants concernés : c’est la quatrième alinéa qui lui ne s’applique pas aux écoles privées... et entraîne donc de fait une disparité de traitement... Ces nouvelles dispositions ont immédiatement suscitées contestations, et ont dues être encadrées à l’occasion des débats sur la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école : la contribution à la charge de chaque commune ne peut ainsi être supérieure au coût qu’aurait représenté l’élève s’il avait été scolarisé dans une école publique de la commune, ou, en l’absence d’école dans la commune, au coût moyen départemental des classes publiques.

En outre, une circulaire des ministres de l’éducation nationale et de l’intérieur est parue le 2 décembre 2005 pour préciser les modalités d’application de l’article 89 : elle a notamment réaffirmé que cet article devait être lu à la lumière du principe de parité entre les écoles publiques et privées ( alors même que cet article instaure une certaine disparité !! ) ; mais ce texte a par ailleurs rappelé, en annexe, la liste des dépenses à prendre en compte pour le calcul de la contribution communale ou intercommunale aux écoles privées : de fait, comme j’ai pu l’entendre au cours de mes auditions, et le constater par les nombreuses délibérations qui m’ont été envoyées par différentes communes, cette circulaire a davantage contribué à attiser les tensions qu’à lever les inquiétudes des maires, ou bien qu’à dissiper certaines ambiguïtés d’interprétation.

D’une part, les dépenses obligatoires ainsi énumérées en annexe sont apparues aller au-delà de celles prises en compte jusqu’alors. Comme me l’ont souligné les représentants des maires, cela a suscité, en parallèle aux débats sur l’application de l’article 89, des revendications de revalorisation du montant du forfait communal de la part des représentants des établissements d’enseignement privé ; certains de ces derniers n’hésitant pas, parfois, à solliciter directement les communes, sans même attendre un début de concertation, ont fortement regretté l’AMF et l’AMRF.

D’autre part, la circulaire n’a pas apporté de réponse claire au principal point d’achoppement : en effet, lorsqu’un enfant est scolarisé dans une école publique, le législateur a prévu certaines exceptions dans lesquelles la commune de résidence n’est pas tenue de participer aux dépenses de fonctionnement d’une autre école, comme je vous le disais il y a un instant (c’est l’application de l’alinéa 4) c’est ainsi le cas quand cette commune dispose de capacités d’accueil, sauf si elle a donné son accord à l’inscription d’un enfant dans une école d’une autre commune, ou dans certaines situations le justifiant, liées à des raisons médicales ou aux obligations professionnelles des parents, par exemple. (alinéa 5)

L’enseignement catholique s’appuie pour sa part sur le principe constitutionnel de liberté d’enseignement pour affirmer que ces exceptions ne valent pas pour la scolarisation dans une école privée sous contrat : c’est sur ce point qu’existe la principale divergence d’interprétation entre le SGEC (secrétariat général de l’enseignement catholique), et l’ensemble des autres parties prenantes au débat...

• Afin d’apaiser les tensions suscitées sur le terrain par l’application de ces mesures, un « modus vivendi » a toutefois été conclu en mai 2006 entre le ministère de l’intérieur, l’association des maires de France et l’enseignement catholique. Ce compromis repose sur les principes suivants :

- les accords locaux entre communes doivent être privilégiés, la procédure de fixation unilatérale du montant des contributions par le préfet devant ainsi garder un caractère résiduel ;

- l’article ne s’applique que dans les cas où la commune de résidence n’a pas de capacité d’accueil ou en raison d’obligations professionnelles des parents... ; cependant, il est pris acte de la divergence d’interprétation, et l’accord précise que celle-ci devra être tranchée.

• Ce modus vivendi s’est appliqué dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat, puisqu’un recours en annulation avait été déposé par le comité national d’action laïque (CNAL), pour demander l’abrogation de la circulaire précisant les conditions d’application de l’article 89.

Le 4 juin dernier, le Conseil d’Etat a annulé cette circulaire, non pas pour des raisons de fond, mais pour un motif purement formel.

Pour autant, cette décision relance à présent le débat sur les conditions de mise en œuvre effective des dispositions issues de l’article 89.

• Les auditions que j’ai menées m’ont permis de mesurer les crispations qu’a suscitées l’adoption de cet article.

L’association des maires ruraux, de même que le CNAL, auteur du recours contre la circulaire, en demandent l’abrogation, pour les motifs suivants :

- tout d’abord, le choix des familles échappe aux maires quand celles-ci décident de scolariser leur enfant dans une école privée ; dans le cas de regroupement scolaire, ce sont plusieurs maires qui sont dessaisis de ce choix ;

- en outre, le traitement est inéquitable entre l’école publique et privée, dès lors que les exceptions prévues pour l’une ne valent pas pour l’autre ;

- enfin, les craintes sont grandes que cela ne déstabilise les petites écoles des communes rurales, et pèse sur les finances des communes ; sans que ces évaluations soient très fiables, le coût de l’application de l’article 89 a été estimé à 275 millions d’euros par le CNAL, et à 132 millions d’euros par le secrétariat général de l’enseignement catholique.

• Dans le cadre de la situation nouvelle de nécessité de réécriture de la circulaire, une réflexion plus globale de l’article 89 lui-même mériterait d’être lancée, et deux voies d’amélioration font consensus :

- tout d’abord, la nécessité d’une information en amont des maires sur l’inscription des élèves dans des écoles privées sous contrat, alors qu’ils sont pour l’instant, comme l’a fortement souligné l’AMF, « mis devant le fait accompli » ; cela a été également souligné par l’association nationale des directeurs de l’éducation des villes (ANDEV), relevant que les communes risquaient ainsi de devenir de « simples trésoriers transitoires », d’autant qu’elles n’ont pas leur mot à dire dans le contrat d’association qui lie une école privée et le ministère ; il s’agit non pas d’entraver le principe de libre choix des familles, mais de donner aux maires une meilleure visibilité sur les flux d’élèves, en portant à leur connaissance ces décisions d’inscription, avant la rentrée scolaire ;

- en outre, l’AMF mais également le CNAL l’ont demandé, la restriction de l’obligation de participation financière des communes de résidence aux seules communes ne disposant pas d’école sur leur territoire ; pour les autres cas, c’est à dire quand une commune dispose de capacités d’accueil sur son territoire, la contribution des communes resterait facultative, soumise à des accords intercommunaux.

Toutefois, comme nous l’a rappelé le représentant des maires ruraux, « une commune a toujours une école », puisque l’article L212-2 de code de l’éducation stipule « Toute commune doit être pourvue au moins d’une école élémentaire publique... », dont elle peut participer à l’entretien ou au fonctionnement et dont elle relève pour la sectorisation ; il s’agira donc de bien préciser les choses sur ce point, pour ne pas créer de nouveaux contentieux.

Sous cette réserve, ces éléments apporteraient une clarification souhaitable, afin de lever les ambiguïtés d’interprétation soulevées par l’application de l’article 89. Cela ne remettrait pas en cause, par ailleurs, l’équilibre dans le financement, par les communes, des écoles publiques et privées.

• Mais, comme j’ai pu l’entendre au cours de mes auditions, le débat sur les conditions de mise en œuvre de l’article 89 peut parfois aboutir sur la question plus globale du financement des écoles privées. Certains, comme les représentants du CNAL ou des maires ruraux, remette en cause le principe même d’un financement public des écoles privées ...

Aussi, la réflexion qu’il me semble nécessaire à engager sur l’article 89 peut être associée à la proposition d’une nouvelle rédaction de cette circulaire, ce qu’a laissé entendre le ministre de l’éducation nationale après l’annonce de la décision du Conseil d’Etat, et à revoir également la rédaction de son annexe contestée ; celle-ci énumérait, de façon extensive, les dépenses à prendre en compte dans le calcul du forfait. Comme l’a souhaité le président de l’AMF, il faut que cette liste s’en tienne aux seules dépenses obligatoires, alors que le fait d’inclure la rémunération des intervenants extérieurs, par exemple, était apparue aller au-delà de ces obligations.

Pour ma part, vous ne serez pas surpris d’entendre qu’au nom de mon groupe, je suis tentée de suivre l’avis du CNAL et des maires ruraux, notamment, en maintenant notre proposition d’abrogation de l’article 89 ; tout d’abord, Monsieur Charasse avait prévu cet amendement pour les seules communes n’ayant pas d’école sur leur territoire ; de plus, étant donné que cet article résulte d’un amendement parlementaire, aucune étude d’impact n’a pu être réalisée, ce qui est vous en conviendrez regrettable. Ensuite, la liberté d’enseignement n’est pas associé au financement alors que notre constitution, dans son préambule, affirme l’obligation d’assurer l’école publique à toutes et tous les jeunes : or il y aura indéniablement une répercussion sur nos écoles publiques à ce coût supplémentaire infligé aux communes, puisqu’à enveloppe égale, les dépenses seront supérieures ; et je vous le rappelle, le coût estimatif au plus bas, c’est à dire celui calculé par le SGEC, est de l’ordre de 132 millions d’euros ; de plus, concernant cette liberté d’enseignement et son principe de parité, je vous rappelle que nos deux systèmes scolaires, public et privé, ne répondent pas à parité aux mêmes obligations, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les inscriptions, leur impact sur la carte scolaire ou l’obligation de laïcité...et la parité qui est proposée ici oblige les communes à payer uniquement dans le cas d’école privé !!!

Enfin, en même temps que le jugement du recours déposé par le CNAL, le conseil d’Etat a rendu un second jugement, celui-ci concernant un recours déposé par la ville de Clermont-Ferrand, et là aussi, le conseil d’état a déclaré recevable ce recours au motif que les dispositions jugées sont susceptibles d’entraîner pour elle, donc la ville, des dépenses nouvelles ; autrement dit, le conseil d’Etat valide le fait que cette mesure aura un coût supplémentaire pour les communes...

Pour autant, les pistes que j’ai tracées devraient permettre de lever les tensions que ces dispositions ont suscitées dans nos communes, et d’aboutir à une solution acceptable entre écoles publiques et privées. Cela peut passer par la même application de l’article L. 212-8 du code de l’éducation, qui réglerait certains points bloquants ; cela permettrait que la commune de résidence ne soit pas tenue de participer aux frais de scolarité d’élèves scolarisés en dehors de son territoire lorsque la capacité d’accueil de ses établissements scolaires permet la scolarisation des enfants concernés et permettrait au minimum une équité de traitement entre nos deux systèmes scolaires...

Par ailleurs, l’information préalable des communes sur les inscriptions en école privée semble indispensable ; en outre, l’ANDEV nous l’a fait remarquer, il serait bon de revoir la procédure de passation de contrat d’association entre une école et le ministère, puisque là encore, les finances de la ville seront mises à contribution. Telles sont, mes chers collègues, les principales observations que je souhaitais porter à votre connaissance au terme des travaux que vous m’aviez invités à conduire au nom de notre commission.


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