Quand l’acharnement judiciaire fait appel à une loi mussolinienne

jeudi 4 février 2021.
 

Le cas de Vincenzo Vecchi est porté devant la justice européenne

26 janvier 2021 Par François Bonnet

La Cour de cassation a décidé, mardi 26 janvier, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour trancher le sort du militant Vincenzo Vecchi. Ce dernier est menacé d’être remis à l’Italie, qui l’a condamné à 12,5 ans de prison pour avoir manifesté à Gênes en juillet 2001. En cause : les zones d’ombre de la procédure du mandat d’arrêt européen.

Dix-huit mois de guérilla judiciaire et deux arrêts de cours d’appel en sa faveur n’ont pas suffi. Le militant altermondialiste Vincenzo Vecchi voit son cauchemar se poursuivre, entretenu par la justice française et les zones grises de la procédure du mandat d’arrêt européen.

Saisie du cas Vecchi, la Cour de cassation a décidé, mardi 26 janvier, d’en appeler à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour obtenir des éclaircissements sur des points de droit extrêmement techniques concernant l’application du mandat d’arrêt européen. Les « questions préjudicielles » posées à la CJUE passionneront sans doute les juristes.

En attendant, le destin de Vincenzo Vecchi reste en suspens. Le voilà toujours menacé d’effectuer une peine de 12,5 ans de prison en Italie pour avoir participé à la grande manifestation altermondialiste contre la tenue du sommet du G20 à Gênes en juillet 2001. Les faits remontent donc à 20 ans et sa condamnation en Italie à 12 ans…

Installé en France depuis dix ans, Vincenzo Vecchi, 49 ans, a depuis refait sa vie dans le Morbihan, à Rochefort-en-Terre, où il travaille comme charpentier. Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen (MAE), il avait été arrêté le 8 août 2019 et placé en détention durant quatre mois.

Vingt ans après les faits, le manifestant de Gênes peut-il être livré à l’Italie pour y purger 12,5 années de prison, une peine extravagante prononcée au titre d’un article forgé à l’époque fasciste, en 1930 ? La question reste toujours posée.

Deux cours d’appel, celle de Rennes puis celle d’Angers, ont pourtant répondu par la négative. Chaque fois, le parquet s’est pourvu en cassation, soutenant contre toute évidence que le mandat d’arrêt émis par l’Italie était parfaitement correct et que Vincenzo Vecchi devait être remis à la justice italienne, sauf à organiser « l’impunité » et à violer la procédure du MAE créé au début des années 2000.

Le comité de soutien à Vincenzo Vecchi, qui n’a cessé de se mobiliser face à un monstre juridique particulièrement complexe, peut trouver comme un goût de victoire dans la décision de la Cour de cassation. Les arguments du procureur d’Angers à l’appui de son pourvoi sont balayés et de nombreux éléments avancés par les avocats de Vincenzo Vecchi sont retenus.

Mais le sursis à statuer de la Cour de cassation, dans l’attente des réponses de la justice européenne, signifie à nouveau des mois d’attente et d’interrogation. « On impose maintenant à Vincenzo Vecchi la perspective de mois, voire d’années de procédure supplémentaires, alors que nous savons tous que la Cour de justice européenne sera dans la même impasse que la Cour de cassation. Pourquoi ? Nous ne voulons pas penser qu’il s’agit de gagner du temps. Le droit français permet de mettre fin à cette course de fond, il suffit de l’appliquer », ont expliqué les membres de son comité de soutien.

Dans un texte récent, l’écrivain Éric Vuillard, soutien de Vincenzo Vecchi, s’indignait déjà de « cet acharnement judiciaire » entretenu par les parquets de Rennes puis d’Angers.

« La différence entre M. Vecchi et le procureur qui se pourvoit en cassation, c’est que le procureur a tout son temps. M. Vecchi pourrait bien obtenir raison trois fois, quatre fois même, le procureur peut inlassablement continuer. Il n’éprouve pas de fatigue, lui, pas d’inquiétude, pas de crainte. Il n’a pas à dépenser d’argent pour se défendre, il n’a pas à s’occuper de la paperasse, on le fait pour lui. L’affaire peut durer. Il y a là un détournement de la procédure, un usage autoritaire, mécanique, qui a de quoi troubler », écrivait Éric Vuillard.

De fait, Vincenzo Vecchi se retrouve otage d’une procédure de mandat d’arrêt européen qui date de 2002… et n’a pas prévu son cas. Ou plutôt n’a pas prévu les étrangetés scélérates de la justice italienne.

La Cour de cassation le reconnaît : ce qui pose problème, c’est bien la barbarie judiciaire qui fut mise en place pour réprimer les manifestants de Gênes. Tout au long des années 2000, la justice italienne a choisi de ressusciter « une dispositions du code “Rocco” de 1930, donc de l’époque fasciste, qui n’était plus appliquée depuis longtemps » et qui crée un délit de « dévastation et pillage », a rappelé l’avocat de Vincenzo Vecchi devant la Cour de cassation, Paul Mathonnet.

C’est avec cet article que ceux qu’on a appelés les « Dix de Gênes », et dont fait partie Vecchi, ont été condamnés à plus de 100 ans de prison au total. Cette répression judiciaire a fait suite au déchaînement de violences policières lors des manifestations de Gênes. Amnesty International avait alors dénoncé « la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Et l’Italie fut condamnée à trois reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour « tortures » et « traitements inhumains et dégradants ».

Le délit de « dévastation et pillage » établit une responsabilité collective des manifestants et parle de « concours moral ». Nul besoin de commettre les actes incriminés. La présence sur les lieux suffit à établir la culpabilité. À ce titre, sept faits de dégradations et violences, sont attribués à Vincenzo Vecchi, qui lui ont valu une condamnation à dix ans de prison au titre de l’article « dévastation et pillage ».

Or la Cour de cassation, dans sa décision, juge qu’au moins un de ces faits ne peut être attribué à Vincenzo Vecchi, et la cour d’appel d’Angers en avait retenu deux. Le mandat d’arrêt européen exige le principe de double incrimination : pour résumer, les délits retenus par la justice italienne doivent avoir un équivalent dans le droit français.

Ce n’est pas le cas, juge la Cour de cassation. Dès lors, la peine n’est plus « proportionnée ». La peine de dix ans de prison prononcée au titre du délit de « dévastation et pillage » viole les textes européens en la matière et, en particulier, la Charte des droits fondamentaux.

Les faits peuvent-ils être dissociés, la peine réaménagée, et comment ? Ce sont ces questions que la justice française a décidé de poser à la Cour de justice de l’Union européenne. « La saisine de la CJUE en matière d’exécution de mandat d’arrêt européen est une procédure rarissime », note Maxime Tessier, avocat de Vincenzo Vecchi.

L’un des enjeux est important : ne pas légitimer et installer dans l’espace judiciaire européen une disposition héritée de l’époque mussolinienne. Au-delà, ce sont bien les fragilités, insuffisances et risques pour nos libertés de la procédure du mandat d’arrêt européen qui apparaissent. Sauf à ce que la Cour de justice de l’UE les corrige au plus vite. La Cour de cassation a renvoyé l’affaire au 22 juin, assurée d’avoir d’ici là les réponses à ses questions.


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