Pandémies : « Les vaccins contre le Covid-19 sont un bien commun, ils ne peuvent appartenir à personne »

vendredi 12 février 2021.
 

Le psychiatre franco-brésilien Carlos Parada appelle, dans une tribune au « Monde », à ne pas respecter les délais des brevets pour endiguer le plus vite possible l’épidémie, rappelant l’exemple du Brésil et de l’Inde, qui avaient distribué gratuitement le générique de l’AZT pour enrayer l’épidémie de sida.

A situation exceptionnelle, remède exceptionnel, dit-on. Normalement, il faut dix ans avant qu’un médicament soit autorisé à la vente, puis encore dix ans de commercialisation par un seul exploitant avant que le brevet ne tombe dans le domaine public sous l’appellation de « générique » [1]. Ce terme désigne un produit libre de droits et accessible à tous.

Voilà qu’avec le Covid-19 l’humanité traverse une crise sans précédent dans son histoire. Des remèdes il y en a, mais pas assez et pas pour tous, puisque seuls quelques industriels possèdent les brevets avec le droit de les produire. Un droit acheté pour jouir de vingt ans de monopole. Un droit dépassé par le moment historique et qui ne tient pas compte de la catastrophe actuelle. Le délai de vingt ans de monopole privé appliqué aux vaccins anti-Covid-19 serait si absurde, si peu adapté à la situation planétaire, que seules nos ornières idéologiques nous empêchent de le remettre en cause. Nous ne pouvons pas attendre vingt ans.

Le monopole industriel des vaccins est dangereux et il est injuste. Il est dangereux parce que nous perdons un temps précieux. Outre le prix financier, le système de production et de vente de quelques industries privées n’arrivera jamais à suivre la cadence. A ce rythme, pendant trop longtemps un nombre insuffisant de personnes sera vacciné et le virus du Covid-19 continuera à circuler, à tuer et à muter partout sur la planète. Avec ces mutations, d’autres vaccins pourraient être nécessaires, d’autres traitements seraient à inventer, à produire et à acheter au prix fort.

Hiérarchies entre les êtres humains

Mais surtout, des formes bien plus agressives du virus pourraient apparaître. Il est vrai que nous nous sommes déjà habitués à bien des choses depuis le début de cette épidémie. Comment réagirons-nous le jour où, par une mutation, le Covid-19 se mettra à tuer des jeunes et des enfants ? Plus le temps passe, moins nous vaccinons sur les cinq continents, et plus nous risquons des mutations aléatoires que nous n’avons pas prévues.

Le monopole et la pénurie des vaccins qu’il engendre sont injustes parce qu’ils créent de fait des hiérarchies entre les êtres humains. Ils séparent et distinguent les riches des pauvres, les jeunes des vieux, les soignants des éducateurs, les travailleurs des sans-droits, les nations puissantes des autres, etc. En ce début 2021, les pays les plus riches possèdent et distribuent, parfois au prix fort, l’immense majorité des vaccins existants. Au nom de qui ? Au nom de quoi ?

Aujourd’hui, les vaccins et tout traitement à venir doivent être considérés comme des outils ou des biens universels, comme le feu, l’eau ou la roue dont nul ne songerait à s’octroyer le brevet. Ces vaccins sont un bien commun, ils ne peuvent appartenir à personne. Aucun droit, aucune crainte idéologique ne peut justifier cette exclusivité monnayée par quelques fabricants. Qu’on finance davantage la recherche plutôt que l’exploitation commerciale des brevets. Qu’on considère ces substances comme génériques sans délai, qu’on les préempte, qu’on dédommage les industries pour les fonds investis s’il le faut, mais courage, ne persistons pas dans cette voie.

Erreur incompréhensible et dramatique

Avec l’épidémie mondiale de Covid, aujourd’hui plus que jamais soigner et sauver des vies est plus qu’un droit, c’est un devoir. Tous les Etats du monde, tous les gouvernements, tous les laboratoires, privés comme publics, doivent être en mesure de produire et de distribuer les vaccins et traitements nécessaires pour arrêter ce désastre qui nous accable. Il n’y a rien de révolutionnaire dans cette idée.

Il y a déjà eu au moins un précédent, avec le traitement du sida dans les années 1990. Face à la pénurie et devant les prix exorbitants des industriels, les gouvernements de plusieurs pays (dont le Brésil [2] et l’Inde) avaient alors décidé de produire et de distribuer gratuitement le générique de l’AZT pour pouvoir soigner leurs populations. Ni l’industrie pharmaceutique ni la recherche ne se sont écroulées, et des millions de vies furent sauvées. Que des gouvernants plus volontaires ouvrent la voie et d’autres suivront.

Qu’on se le dise donc : le monopole thérapeutique octroyé par l’achat d’un brevet est une appropriation indue et anachronique des besoins de l’humanité tout entière face au Covid-19. Le droit à la santé est universel, le devoir des gouvernants de soigner est une urgence non négociable. Laisser faire cette loi du commerce [3] et attendre vingt ans à chaque découverte serait une erreur incompréhensible et dramatique dont les gouvernants de chaque pays seraient les premiers responsables, et nous, leurs victimes consentantes.

La question est simple : faut-il encore laisser à quelque trois ou quatre industries l’exclusivité du commerce, de la fabrication et de la distribution des vaccins et des traitements anti-Covid-19 partout sur la planète ? La réponse paraît évidente, seulement une fois la question posée.

Carlos Parada, médecin psychiatre et historien, auteur de Toucher le cerveau, changer l’esprit (PUF, 2016)


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