Marina Petrella : une réfugiée italienne des années post 68 arrêtée en France

samedi 25 août 2007.
 

Une banale convocation au commissariat d’Argenteuil qui tourne au cauchemar. Ce mardi à 17 heures, Marina Petrella, accompagnée de son mari, Ahmed, et de leur petite fille de neuf ans, se rend chez les policiers pour une vague histoire d’altercation entre automobilistes qui ne la concerne même pas, puisqu’elle a cédé le véhicule incriminé à une jeune femme il y a plus d’un an. Papiers de cession en main et arguments imparables n’y font rien. L’entretien se prolonge. Son compagnon amène la petite dans un parc voisin. Au bout d’une heure et demie, il s’inquiète, retourne au commissariat. Là, les policiers empêchent l’enfant de se jeter dans les bras de sa mère qui vient d’être placée en garde à vue. Ahmed veut récupérer la carte grise de leur voiture dans le sac de sa compagne afin de rentrer à leur domicile. C’est non ! Le répertoire contenant les coordonnées des avocats que la police lui conseille d’appeler ? Pas question !

Hier, Marina Petrella a été placée « sous écrou extraditionnel » par le parquet de Pontoise pour « actes terroristes ». Son passé vient de rattraper l’ancienne militante d’extrême gauche, membre des Brigades rouges qui, dans les années soixante-dix, avait pris les armes pour lutter contre la « violence d’État » en Italie. En 1982, elle a été condamnée à Rome à la perpétuité pour crime de sang. L’année suivante, elle fait le choix de l’exil, portée par la promesse faite au nom de l’État français par François Mitterrand qui, en 1985, a offert aux réfugiés italiens des années de plomb une terre d’accueil contre leur renoncement à la « machine infernale » de la lutte armée. Marina s’y est tenue et a construit depuis une vie rangée. Assistante sociale à Saint-Prix (Val-d’Oise), cette femme de cinquante-trois ans vit avec Ahmed, un paysagiste, union dont est née, en décembre 1997, une petite fille. Une existence au vu et au su de tous. En 1998, elle a été d’ailleurs régularisée. Son permis de séjour court jusqu’en 2009.

De leur côté, les autorités italiennes ont multiplié les demandes d’extradition la concernant. La dernière date d’octobre 2006. C’est sur cette demande que les policiers qui ont arrêté Marina sont tombés en examinant leurs fichiers. Jusqu’à très récemment, les gouvernements français successifs, de gauche comme de droite, avaient toujours opposé une fin de non-recevoir aux autorités transalpines. Jusqu’à l’extradition de Paolo Persichetti, en août 2002, vécue « comme un premier coup de massue » par les réfugiés, et surtout l’avis favorable donné en juin 2004 à l’extradition de l’écrivain Cesare Battisti, qui avait pris la fuite avant d’être arrêté au Brésil, le 18 mars 2007.

Le 16 septembre 2004, l’Humanité avait rencontré Marina et ses proches, alors que l’affaire Battisti battait son plein après le revirement politique du gouvernement Raffarin. « J’ai le sentiment que tout va se terminer d’un jour à l’autre », confiait-elle alors, après avoir vu son nom et son image jetés en pâture dans les médias sous l’intitulé « Condamnée à perpétuité ». « Nous avons des responsabilités à assumer en tant que citoyens par rapport à nos enfants, nos conjoints, nos emplois, nos amis, expliquait-elle. Tous sont là grâce à l’ouverture que la France nous a donnée. Si, à l’époque, j’avais pu penser qu’un gouvernement pourrait revenir sur ce parti pris, celui par exemple de permettre à nos enfants de naître pour devenir plus tard des dégâts collatéraux, je n’aurais pas eu ma deuxième fille ici. »

Aujourd’hui incarcérée, Marina attend que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, chargée d’examiner la demande d’extradition italienne, décide de son sort. Hier, dans un communiqué, la chancellerie indiquait que ce dossier était « traité par la France sur le plan judiciaire comme toute autre demande d’extradition classique ». Ce qui irrite son avocate, Me Irène Terrel : « Cela n’a rien de classique ! Nous parlons d’une asilée depuis quinze ans dont la France connaissait exactement la situation judiciaire et qui avait, en tout état de cause, obtenu de fait un droit d’asile. On assiste à une trahison majeure, car si ma cliente est venue dans l’Hexagone, c’est à cause de la politique française à son égard. »

Un constat que partage Élisa, la fille aînée de Marina. « Je suis surprise et inquiète de cette situation, souligne l’étudiante en lettres de vingt-trois ans. Toutefois, l’heure n’est pas à l’abattement mais au combat pour la sortir de là. Nous avons monté un comité de soutien qui réclamera au gouvernement de respecter la parole de la République. Il y a en jeu la vie de ma petite soeur née en France et qui n’a pas à vivre tout ça ! » Une gamine qui, depuis deux jours, « cherche à éviter la réalité », raconte, en pleurs, son père. « Ce qui arrive est terrible, j’ai l’impression que tout s’écroule, poursuit Ahmed. Je me bats contre moi-même pour ne pas craquer, il faut que j’assume pour la petite. Mais je n’ai jamais autant haï mon pays qu’aujourd’hui. »


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