La résistible ascension de Marine Le Pen

jeudi 25 mars 2021.
 

Marine Le Pen aurait le vent en poupe et rien ne saurait stopper son accession au pouvoir en 2022. Une petite musique qu’on ne cesse de nous rabattre depuis sa défaite face à Emmanuel Macron en 2017.

Pendant ce temps-là, Bernard Marx est allé jeter un œil sur ses propositions en matière d’économie et d’écologie.

Pour la cheffe du Rassemblement national, les vents sont porteurs, comme en attestent les sondages qui font état d’un deuxième tour Macron-Le Pen à 52/48 ou 53/47 c’est-à,-dire dans la marge d’erreur. Ou comme en atteste le sondage BFM-Elabe paru le 11 mars, selon lequel 48% des Français estiment « probable » une victoire de Marine Le Pen. On peut légitimement craindre une nouvelle résistible ascension. La candidate à l’élection présidentielle de 2022 peut s’appuyer sur l’échec du projet macronien, tout comme ses prédécesseurs s’étaient appuyés sur les échecs successifs de ceux qui les avaient précédés. Emmanuel Macron prétendait réunir autour d’un programme de réformes modernisatrices du capitalisme français non seulement les classes privilégiées, mais de larges fractions des classes moyennes séduites par les promesses de promotion sociale censées résulter de cette politique [1]. L’échec est patent. Une partie importante des classes moyennes s’inquiète, à juste titre, non seulement pour leur situation, mais aussi pour le risque de déclassement de leurs enfants.

Marine Le Pen peut également surfer sur l’enterrement par Emmanuel Macron du volet qui se voulait progressiste de sa politique. Il l’a été sous les violences policières systématiquement couvertes, sous les lois liberticides qu’il a fait adopter. Et, comme l’analyse François Bonnet, dans le contexte de la crise sanitaire, « alors que la société tentait d’abord de faire front à l’urgence quotidienne, le régime a muté. Il a muté en une variante autoritaire, avec la suppression de la quasi-totalité des lieux de contre-pouvoirs et de délibération démocratique, déjà bien peu nombreux dans les institutions de la Ve République ». C’est, de plus, en s’alignant sur la ligne politique de Marine Le Pen que le gouvernement prétend affronter les actes terroristes et les dégâts explosifs multilatéraux de la politique de ségrégations sociales dans les territoires.

Quand Gérard Darmanin, le ministre de l’Intérieur nommé là pour faire cela, accuse Marine Le Pen, avec qui il débat sur France 2, de mollesse sur les questions de laïcité et d’islamisme, la satisfaction se lit sur le visage de celle-ci. L’effet d’aubaine, comme disent les économistes, est maximum. Comment dans ces conditions utiliser encore l’effet repoussoir de l’extrême droite pour obtenir « un vote contre » de deuxième tour ?

La candidate peut aussi s’appuyer sur la faiblesse et les divisions des forces politiques se revendiquant de la gauche, de l’émancipation sociale et de l’écologie politique. Elle peut s’appuyer également sur la très grande difficulté où ces forces politiques se trouvent d’organiser une alliance des classes populaires et des classes moyennes autour d’un programme politique de transformation sociale et écologique en France et en Europe.

« Dans la recomposition en cours, souligne le sociologue Stéphano Palombarini, les différences entre les programmes politiques de RN, LR et LREM sont en train de se réduire à grande vitesse ».

Comme on l’a vu à la télévision le 11 mars « face à BFMTV », Marine Le Pen peut donc assez tranquillement essayer de refaire le coup d’Emmanuel Macron en 2017. Mais cette fois ci à son avantage. D’autant plus tranquillement que les journalistes mainstream qui l’interrogeaient se sont surtout attachés à mettre en valeur « un recentrage que tout le monde ressent » (dixit l’animateur de l’émission Maxime Switek ). Sans vraiment lui chercher noise, sauf sur sa compétence, ou alors en utilisant les termes de langage inadaptés et contradictoires de l’idéologie marcronienne.

Emmanuel Macron s’est fait élire en se voulant ni de gauche ni de droite. Marine Le Pen le revendique aussi sans vergogne. Mais juste pas comme lui. Il a, dit-elle, pris le pire de l’un et de l’autre. Elle prétend garder le meilleur de l’une et de l’autre.

Emmanuel Macron ayant largement travaillé à sa dédiabolisation, Marine Le Pen s’est naturellement attachée à pousser cet avantage. Maxime Switek montre une vidéo de son père qui dit craindre la sirène d’une attraction centriste avant l’heure du deuxième tour. Marine Le Pen affiche alors avec satisfaction son désaccord. Cela fait partie de la dédiabolisation. Pour gagner l’élection, il lui faut encore travailler à rassurer les Français qui pourraient être encore inquiets. Elle sait qu’elle pourra s’appuyer sur ses idées qui sont devenues majoritaires. Elle cite quelques marqueurs de droite et de gauche identifiant ce qu’elle pense être un rassemblement social et politique possible fondé bien entendu avant tout sur la désignation de boucs émissaires : « le fait d’effectuer un moratoire sur l’immigration » ; « l’expulsion des fichiers S islamistes ». À quoi elle ajoute l’opposition à la réforme des retraites et à celle de l’indemnisation du chômage. Comme si ces idées venaient d’elles.

Contre ces vents porteurs, il faut, me semble-t-il, redonner de la force et de la place à la critique de ce lepenisme nouvelle mouture pré-présidentiel. Et je n’ai pas la prétention de l’avoir déjà élaborée.

Simplement quelques repères à la lumière, si je puis parler ainsi, de la tribune qu’elle a signée dans l’Opinion le 21 février, de son « contre-projet de référendum sur l’écologie » présenté le 9 mars ou de son interview par Hedwige Chevrillon sur BFM le 11 mars.

Bien entendu, le programme économique de Marine Le Pen est pour une part comme le « Mon seul adversaire, c’est la finance ! » de François Hollande en 2012. Ce n’est pas pour être appliqué. C’est pour faire des voix. Cela rend la critique plus difficile mais pas impossible. L’euro et la dette : pas de quoi être rassuré

Marine Le Pen affiche volontiers ces deux symboles de recentrage et de ce qu’elle pense être la construction de la crédibilité politique qui lui a certainement fait défaut en 2017.

S’agissant de l’Euro, elle se rallie volontiers à l’opinion des Français qui ne souhaitent pas en sortir. D’autant plus que, dit-elle, ce n’est pas elle qui a changé ,mais l’Union européenne qui est sortie des règles qui en faisaient la nocivité. « Les 3% plus personne n’en parle et on fait de la création monétaire massive alors que c’était interdit ». Et donc, dit-elle, « nous ferons avec l’euro puisque les Français nous l’ont demandé ».

Mais le problème c’est que la règle des 3% n’est pas supprimée mais suspendue. Et on ne peut se contenter de la politique de bas taux d’intérêt de la BCE. Certes, elle permet de financer les déficits publics mais elle soutient surtout les cours boursiers. Elle ne génère pas une bifurcation sociale et écologique des financements. C’est cette bataille-là, et non celui de l’acceptation de l’euro, qu’il faut imposer.

S’agissant de la dette, Marine Le Pen s’est placée ostensiblement dans le camp de ceux qui prônent son remboursement intégral y compris la partie détenue par la Banque centrale. Elle pense sans doute que cela contribue à lui donner une stature de femme d’État. « La parole de la France doit être crédible, dit-elle. La signature de la France doit être honorée ».

Signe supplémentaire de recentrage, elle ne critique ni les déficits, ni l’augmentation de la dette pour faire face à la crise Covid.

Et donc Marine Le Pen préconise que la dette soit remboursée grâce à la croissance et à l’emploi. Que la croissance et l’emploi soit obtenus grâce à l’investissement sur les infrastructures, les technologies d’avenir et la réindustrialisation. Que l’investissement soit obtenu grâce à la politique monétaire de bas taux d’intérêts et par un grand emprunt national. Qu’il n’y ait pas d’austérité budgétaire. Que, pour les entreprises viables, les prêts garantis par l’État soient transformés en fonds propres (cadeaux ou nationalisations ? On se perd en conjecture). Et que pour les autres entreprises en difficulté, on transforme les aides actuelles en programme de reconversion des salariés. « Je ne me bats pas pour privatiser les biens publics, casser les services publics, réduire à néant la fonction publique », assure aussi Marine Le Pen.

Tout cela ressemble à s’y méprendre à un programme attrape-tout. Comme des répliques du en même temps macronien – le remboursement de la dette et en même temps pas d’austérité budgétaire – et du Plan de relance du gouvernement, mais en plus grand. Avec malgré tout des marqueurs bien identifiés et bien identitaires : les services publics ne seront pas pour la Seine-Saint-Denis, explique-t-elle. Ils sont déjà pourvus. « Ils ont le métro et des bureaux de Poste ». Là-bas ce qui fait problème ce sont les hordes de casseurs qui les détruisent. Là où les services publics font défaut, ce sont dans les zones rurales. Ce qui est souvent exact. Mais opposer l’un à l’autre, c’est toute une politique ségrégationniste.

Marine Le Pen prétend qu’elle ne souhaite pas l’austérité, mais elle veut, dit-elle, faire la chasse aux dépenses publiques inutiles et coûteuses. Et elle pointe alors les dépenses liées à l’immigration et celles liées à la fraude sociale, mais pas touche à la fiscalité sur les riches. Et pas un mot sur l’évasion, la fraude fiscale et les paradis fiscaux. Voilà encore des champs de batailles. Un vert qui tire sur le brun

Le 9 mars, Marine Le Pen a présenté un contre-projet de référendum sur l’environnement en proposant 15 questions qu’elle souhaite soumettre à la votation des Français. Elle veut ainsi, dit-elle, ouvrir un débat et présenter une autre vision de l’écologie. L’heure n’est plus au climato-scepticisme. Et Marine Le Pen se garde bien de dire qu’elle, Présidente, la France se retirerait de l’accord de Paris sur le climat. Mais il ne suffira pas pour la combattre de taper sur le manque de sérieux et de travail de Marine Le Pen et du Rassemblement national qui n’ont déposé aucun amendement dans la discussion parlementaire sur la loi Climat. Car c’est d’une autre politique « écologique » que Marine Le Pen prétend se prévaloir, celle de la « douce France que nous avons », celle de la terre qui ne ment pas. Contre l’écologisme des Verts et son influence croissante qu’elle présente comme un « fondamentalisme », « un des pires ennemis de notre économie ».

Les questions ont été formulées pour que le oui soit à chaque fois majoritaire. Du type « Souhaitez-vous développer les espaces verts dans les villes ? » ; « Souhaitez-vous interdire les importations de produits agricoles dont la fabrication serait interdite en France ? » ; « Souhaitez-vous que l’entretien de "zone de stockage naturel du carbone" (haies, zone humide, etc.) fasse l’objet d’une rémunération pour les agriculteurs ? » ; « Souhaitez-vous la généralisation d’un étiquetage détaillé pour les produits alimentaires ? » ; « Souhaitez-vous que les sociétés mères soient responsables des dommages environnementaux causés par leurs filiales ? ».

D’autres questions pointent un peu plus le bout de leur nez pro-nucléaire (« Souhaitez-vous que la France continue d’investir dans le nucléaire, énergie décarbonée ? ») et anti-éolien (« Souhaitez-vous suspendre tout projet de construction d’éoliennes ? »).

Toutes aussi significatives sont les questions que le Rassemblement national et Marine Le Pen ne veulent pas poser. Comme par exemple, les limitations de vitesse, les pesticides, le transport aérien, le numérique, la taxe carbone à la frontière de l’Union européenne, ou la rénovation énergétique.

La politique écologique de Marine Le Pen prétend privilégier « le localisme », les productions locales, les circuits courts et le protectionnisme contre le globalisme et le libre-échange.

Ainsi espère-telle certainement rassurer et attirer le vote des agriculteurs, des commerçants et des artisans qui font face aux grandes surfaces et aux géants de la distribution numérique, et aussi les habitants des zones rurales, des petites villes et les patrons et salariés des petites entreprises.

Mais il faut gratter le vernis pour connaître le contenu réel de la politique écologique de Marine Le Pen. L’écologie et le « localisme » façon Marine Le Pen sont un paravent pour sa politique identitaire et anti-immigration. Le Pen tire cette vision de son conseiller Hervé Juvin, qui a rejoint le RN un peu avant les européennes de 2019. Lors de la campagne des élections européennes, il a ainsi déclaré face à Yannick Jadot [2] : « Tout écologue sait bien qu’un système vivant complexe ne survit pas à des espèces invasives. Les espèces invasives, c’est aujourd’hui la finance mondialisée, l’action d’un certain nombre d’ONG et de fondations qui déversent des milliards pour changer les coutumes, changer les traditions […] et puis ce sont aussi les migrations de masse. Aucun système vivant complexe ne résiste à des migrations de masse ». Le ventre est encore fécond…

Bernard Marx

Notes

[1] Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois, Raison d’agir, 2018.

[2] Cité par Lucie Delaporte : « Le "localisme" signe la victoire des identitaires au RN », Médiapart, le 16 avril 2019.


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