Pour son second mandat, Macron promet l’austérité

vendredi 16 avril 2021.
 

Par Romaric Godin

Le programme de stabilité envoyé à Bruxelles cette semaine prévoit une compression de la dépense publique et l’inscription de cette compression dans la Constitution. Le signe d’une radicalisation du macronisme.

Mine de rien, et dans une indifférence assez marquée, Emmanuel Macron vient d’annoncer un des éléments les plus importants de son programme pour 2022. Certes, cela n’a pas pris la forme d’un meeting ou d’un document de campagne, mais le programme de stabilité que le gouvernement a envoyé à Bruxelles donne clairement le ton. Et ce ton est clair : c’est celui de l’austérité.

Dans ce document, révélé par Les Échos du 9 avril 2021, le gouvernement envisage ainsi de faire revenir le déficit public sous les 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2027, soit à la fin du prochain quinquennat. Ce sera donc l’objectif d’un éventuel second mandat de l’actuel président.

Rappelons que, en raison de la pandémie, ce déficit s’est établi à 9,2 % du PIB en 2020 et devrait se situer à un niveau proche en 2021, compte tenu des dépenses encore engagées pour la deuxième et la troisième vague. L’effort sera donc considérable, même si les mesures de soutien devraient disparaître dans l’hypothèse (encore incertaine) d’un apaisement de la pandémie.

Reste à savoir comment se répartirait cet effort. Jusqu’ici, le discours du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, était que « la dette serait remboursée par la croissance ». En théorie, ce discours pouvait justifier des réformes structurelles désastreuses pour les inégalités et le monde du travail pour doper la croissance dans une perspective néo-schumpétérienne visant à favoriser la mobilité et l’innovation. Mais ce discours devait aussi écarter l’option d’un ajustement par les dépenses publiques. Or, le programme de stabilité français écarte clairement cette option.

Vu dans le détail, le gouvernement ne prévoit pas vraiment d’accélération de la croissance. Selon ses attentes, le PIB sera à fin 2023 à 2,55 % au-dessus de son niveau de 2019. Or, si le PIB de la France avait continué, entre 2019 et 2023, à croître au niveau (faible) de 2019 (1,5 % par an), il serait en 2023 à 4,6 % au-dessus du niveau de 2019.

Autrement dit : la perte de PIB va rester importante et la croissance ne permettra pas de « payer la dette », pour reprendre les mots dénués de sens de Bruno Le Maire (l’État fait rouler en permanence sa dette).

À partir de 2024, la croissance prévue par le gouvernement est très faible : 1,5 % pour 2024 et 1,4 % entre 2025 et 2027. Ce qui signifie que la perte de PIB décrite plus haut sera définitive et que le gouvernement y a renoncé. Cela signifie aussi que les politiques économiques promues depuis 2017, et qui devaient permettre une augmentation de la croissance potentielle française, ont échoué, et que Bercy ne peut que le reconnaître. Rappelons que, lors de la présentation du premier budget, fin 2017, l’exécutif espérait, avec toutes ses « réformes structurelles », maintenir un niveau de croissance de 1,8 % par an. L’échec de sa politique est donc cuisant et l’aveu de cet échec est total.

Alors, comment réduire le déficit sans vraie dynamique de croissance ? La sagesse keynésienne voudrait que, précisément, on oublie le déficit pour pouvoir le réduire. Si la croissance est faible, il faudrait donc que l’État intervienne pour renforcer la demande, accélérer la croissance et, ainsi, augmenter les recettes fiscales. C’est ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire. Un euro dépensé par l’État doit lui rapporter davantage et, in fine, son déficit ainsi se réduit.

C’est la position que défendent même les néokeynésiens, les plus modérés, pour l’époque actuelle. Certains d’entre eux, comme Olivier Blanchard, avaient en 2017 soutenu Emmanuel Macron. Mais ce n’est pas le choix de l’exécutif pour le prochain quinquennat.

Une autre option pourrait être d’augmenter la progressivité de l’impôt. Ceci permettrait de réduire le poids de la fiscalité sur les plus pauvres et à l’augmenter sur les plus riches. Comme les moins fortunés ont une tendance à utiliser davantage l’argent qu’on met à leur disposition pour consommer, cette politique permet de doper la croissance en ayant des revenus plus importants. Clairement, ce choix n’est pas non plus celui du gouvernement.

Le taux de prélèvement obligatoire sera stable entre 2019 et 2027, et Bruno Le Maire a toujours martelé qu’il n’était pas question d’augmenter les impôts. Mieux même, le gouvernement a augmenté la non-progressivité de l’impôt en supprimant la majeure partie de l’impôt sur la fortune, en réduisant l’impôt sur les revenus du capital, en supprimant la taxe d’habitation, en baissant l’impôt sur le revenu et en augmentant la contribution sociale généralisée, impôt proportionnel.

Outre que les effets économiques de ces baisses sont inexistants, comme le prouve l’affaiblissement structurel de la croissance, elles augmentent les inégalités et pèsent sur le déficit. La politique fondamentalement de classe de l’exécutif l’empêche d’utiliser le levier fiscal.

Reste donc, et c’est le cœur de ce programme de stabilité, l’ajustement par les dépenses publiques. Et c’est la voie clairement choisie. Sur l’ensemble de la période, la croissance en volume, autrement dit corrigée de l’inflation, des dépenses publiques, devra être de 0,7 %. Mais cette croissance sera fortement comprimée sur la période 2023-2026 où elle sera de 0,4 % et 0,5 %, et même nulle en 2023. En 2022, la baisse de 3,3 % est lourde, même si elle est censée prendre en compte l’arrêt des aides exceptionnelles liées à la pandémie.

La compression des dépenses n’est donc pas anodine. Depuis trente ans, la croissance en volume n’a été ramenée sous les 0,7 % annuel que deux fois, en 2011 – la dernière du mandat Sarkozy –, et en 2018, celle qui a donné naissance au mouvement des « gilets jaunes ». C’est dire si l’exercice est complexe. Sur la période 2011-2019, la croissance en volume a été ramenée à 0,9 % par an et, déjà, on peut mesurer les effets sur l’investissement public, le traitement des fonctionnaires, la qualité du service public et, plus précisément, sur le système de santé.

Cette compression a en effet d’abord été portée par le secteur de la santé. C’est en respectant des objectifs nationaux de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) très bas par rapport aux besoins que la dépense publique a réduit sa croissance. Or, précisément, ces croissances « autorisées » étaient inférieures à la croissance des besoins. Il a donc fallu faire des économies dont on constate aujourd’hui les conséquences néfastes.

Et c’est ici un fait central qu’il faut avoir en tête : l’austérité ne commence pas avec la baisse des dépenses publiques, mais avec leur déconnexion de la réalité des besoins. C’est la gestion purement comptable de ces dépenses qui forge l’austérité, autrement dit le renoncement à certains services pour des raisons financières.

Les défenseurs de l’austérité ne cessent de s’étonner que la France ne puisse parvenir à réduire ses dépenses publiques, mais si tel est le cas, c’est peut-être parce que la croissance des besoins est précisément beaucoup plus élevée. Dans ce cas, cela signifie que la gestion comptable de ces besoins conduit à une alternative : la privatisation de leur satisfaction, ou leur abandon. Vue ainsi, la question de la dépense publique prend un sens plus social.

Un pari politique osé

Mais le gouvernement ne veut pas entendre parler de cela. Pour réaliser son objectif, il veut au contraire élargir à l’ensemble de la sphère publique le système de l’ONDAM en fixant une norme de la dépense publique, autrement dit un rythme fixe de croissance des dépenses. Bercy prétend même vouloir « constitutionnaliser » cette norme, c’est-à-dire la sortir du champ de la discussion démocratique, comme l’avait proposé la commission Arthuis sur la dette publique.

Il faut donc être clair : le programme du gouvernement vise à institutionnaliser l’austérité et à prendre comme exemple de l’ensemble du budget de l’État, la gestion de l’assurance-maladie. Il est piquant de constater que la seule leçon que les locataires de Bercy ont retenue de la crise sanitaire a été qu’il fallait appliquer à l’État dans son ensemble le régime qu’on a appliqué depuis dix ans à la santé…

Dans ce contexte, une réforme des retraites visant à réduire rapidement les dépenses semble inévitable, ainsi que la poursuite de l’austérité salariale pour les fonctionnaires, la réduction du nombre des agents et les économies dans le système de santé. Il n’est donc pas surprenant avec une telle politique que la croissance ne reparte pas. On pourrait même s’étonner qu’elle ne fût pas plus basse encore. Car avec une norme de dépense fixée sur le PIB, il y a bien le risque d’un cercle désastreux où la norme affaiblit la croissance et où l’on baisse encore la norme en conséquence pour respecter ses « objectifs ».

En réalité, ce plan ne fait sens que dans une logique déconnectée des réalités et des défis du moment. Il n’existe, en effet, aucune raison de réduire aussi rapidement le déficit alors que les taux sont bas et que, précisément, le problème des banques centrales est celui d’un affaiblissement structurel et durable de la croissance. Si les taux sont bas, c’est pour que les emprunts de l’État croissent afin de relancer la machine sans avoir de risques liés à cette dette.

Mieux même, si l’utilisation de l’épargne accumulée pendant la crise est le déterminant de la reprise, comme le prétend Bruno Le Maire, envoyer alors un message d’austérité est contre-productif et incite plutôt à accumuler une épargne de précaution qu’à la dépenser.

Mais l’exécutif refuse d’entendre ces arguments, tout comme Bruxelles, au reste, puisque ce programme de stabilité lui est destiné. Pour eux, la baisse du déficit crée la confiance par la magie de la fameuse « neutralité ricardienne », une thèse néoclassique dont la réalité n’a jamais été démontrée et qui veut que toute dépense publique provoque une réduction des dépenses privées.

La position du gouvernement est donc celle dominante d’il y a dix ans, la fameuse « austérité expansive » qui a conduit Grèce, Espagne et Portugal dans le mur. Elle est idéologique et repose surtout sur la préservation des intérêts de classe : les plus riches et les détenteurs de capitaux sont protégés.

Cette position était centrale en 2010, mais, dans le débat économique actuel, elle est clairement très à droite. C’est une position ultraconservatrice défendue par les économistes néoclassiques ou « autrichiens ». Elle est entièrement tournée vers une crainte factice de la dette et fait entièrement abstraction du risque social post-pandémie qu’avait identifié le FMI, malgré un quinquennat marqué par la tension sociale. Le tournant pris par l’administration étasunienne cette semaine rend cette radicalité encore plus visible.

Très clairement donc, en matière budgétaire et économique, le gouvernement ne peut plus guère se prétendre « centriste ». Son centre de gravité est désormais clairement à droite et tend à s’enfermer dans une bulle idéologique. Depuis des mois, à coups de « rapports » et de commission, un récit conservateur se met en place pour parvenir à imposer la politique décrite par ce programme de stabilité. Il est d’ailleurs parfaitement aligné avec Les Républicains. Les deux partis préparent même une proposition de loi commune soutenue par Bercy qui va dans le sens de la norme de dépense.

Il n’en reste pas moins que, politiquement, le pari est osé. Alors même que la France est encore dans la crise du Covid et qu’il existe un risque évident de faillites et de hausse du chômage. Il ne peut s’expliquer que par deux hypothèses.

La première serait que l’austérité fait désormais consensus dans l’opinion française, que ce récit s’est imposé à la majorité comme une évidence. La seconde serait que l’enjeu de cette présidentielle est de convaincre les électeurs de la droite classique, partisans de cette austérité, de se rallier à Emmanuel Macron. Rien ne dit que l’une de ces deux hypothèses soit vraie.


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