Napoléon Bonaparte, naissance, enfance, jeunesse corses

jeudi 25 novembre 2021.
 

1) Naissance officielle le 15 aout 1769

De 1729 à 1769, la guerre d’indépendance corse contre la colonisation gênoise et contre l’armée française, constitue une grande épopée marquée par le courage et la solidarité des habitants mais aussi par l’imbrication de cette lutte de libération nationale avec l’idéologie des Lumières. A Corte (capitale de la Corse indépendante entre 1755 et 1769), parmi les proches du Père de la nation corse, Pasquale Paoli, notons la présence :

- de son jeune aide de camp Carlo-Maria de Buonaparte né en 1746

- de Maria Letizia Ramolino séduisante jeune fille née en 1750

Paoli pousse à leur mariage en 1764 alors qu’il n’a que 18 ans (et s’est amouraché d’une autre demoiselle) et elle 13 ans. Fait rarissime pour l’époque, le marié, franc-maçon notoire, ne participe pas à la cérémonie religieuse.

Le 5 mai 1768, le rattachement de la Corse au royaume de France après son achat auprès de la république de Gênes modifie totalement la situation. En 1768 1769, une armée française de 20000 soldats puis une seconde de 24000 débarquent dans l’île, écrasent ses défenseurs.

Les derniers partisans, fuient vers Porto Vecchio par les gorges de la Restonica, puis la vallée du Liemone qui est en crue. Le lieu de naissance de Napoleone n’est pas certain. Le site Herodote, généralement bien informé, reprend la thèse d’un accouchement durant le sauve-qui-peut des Paolistes alors que Letizia est déjà enceinte de 7 mois, a dormi dans une grotte... la naissance ayant seulement été déclarée lors de l’arrivée à Ajaccio le 15 aout 1769.

Que Napoleone soit né durant le retraite ou plus tranquillement à Ajaccio, il est le deuxième enfant de Charles et Laetitia (ou Letizia) Buonaparte après Joseph (né en 1768) et avant Lucien (1775), Elisa (1777), Louis (1778), Pauline (1780), Caroline (1782) et Jérôme (1784).

Après cette conquête difficile de l’île par l’armée française, les Bonaparte n’émigrent pas (sur les conseils de Paoli d’après plusieurs biographes). Cependant, toute la famille reste nourrie par la culture corse avec des souvenirs, des débats et des évolutions politiques d’avant-garde pour l’époque, avec la première constitution du monde moderne.

Déclaration d’indépendance des Corses et Règlement institutionnel

2) De la Corse à la France, l’élève Napoléon

Comment Napoléon Bonaparte est-il devenu élève d’une des douze écoles royales militaires du royaume de France ? essentiellement grâce à l’intercession de son grand-oncle Lucien Bonaparte, archidiacre d’Ajaccio, et à l’intervention protectrice du comte de Marbeuf, gouverneur de la Corse qui entretient d’excellentes relations avec sa mère. Ayant ainsi fait valoir ses huit quartiers de noblesse, il entre à l’école royale militaire de Brienne-le-Château (1779 à 1784) puis à l’École militaire de Paris (1784- 1785).

Parmi les témoignages d’époque peu nombreux, relevons la lettre de l’abbé Chardon (collège d’Autun) à l’abbé Forien " Napoléon Bonaparte ne s’amuse avec personne. Il est d’un caractère simple et pensif. Il se promène ordinairement seul... Pendant ces trois mois, il a appris le français de manière à faire librement la conversation et même de petits thèmes et de petites versions. "

Bonaparte arrive au collège militaire de Brienne- le-Château Aube le 23 avril 1779. Il y reçoit rapidement le sobriquet de la paille au nez, moquerie basée sur sa prononciation de Napollione de Buonaparte. Liseur inlassable, il n’est pas intéressé par le latin, reste très faible en français, nul en orthographe, excellent en mathématiques, surtout passionné par l’histoire.

Le 23 septembre 1784, il est admis à l’Ecole militaire de Paris dont il sort un an plus tard, 42e sur 43 places à pourvoir avec le grade de lieutenant en second d’artillerie

Au-delà de ses résultats scolaires, je partage l’affirmation de l’universitaire Natalie Petiteau sur sa personnalité « Napoléon a grandi dans une famille qui vivait dans un légendaire de Paoli. Il est nourri de cette culture-là, de la constitution corse de 1755, constitution très démocratique. Napoléon a lu Paoli ; devenu interne d’un établissement de métropole, souvent moqué pour son accent, il se réfugie dans la légende du grand homme. Indiscutablement, le jeune Napoléon est imbu de la philosophie des Lumières à cette époque. »

Cette culture lui est également apportée par ses lectures ! des ouvrages historiques (particulièrement concernant l’Antiquité) et philosophiques (Rousseau) mais aussi des publications concernant l’épopée corse paoliste comme l’éloge panégyrique de l’Ecossais James Boswell. « On connaît l’image légendaire du chétif insulaire s’isolant au fond d’un jardin ou dans une pièce mansardée pour dévorer des livres. Ce cliché n’est pas surfait » ( Thierry LENTZ)

Les écrits juvéniles de Napoléon révèlent qu’il voit en Paoli un patriote républicain et législateur dans la lignée des Grands Anciens de Sparte, Athènes et Rome. Notons sa comparaison entre Lycurgue et Paoli « lui qui fit un moment renaître au milieu de la Méditerranée, les beaux jours de Sparte et d’Athènes ».

3) Lettre de Napoléon Bonaparte à Paoli (1789), retrouvée à Corte dans les papiers de ce dernier

Napoléon a beaucoup écrit durant sa jeunesse. Il est évidemment intéressant de se rapporter à eux.

« Général, Je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français, vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint le premier frapper mes regards. Les cris du mourant, les gémissements de l’opprimé, les larmes du désespoir environnèrent mon berceau dès ma naissance. Vous quittâtes notre île, et avec vous disparut l’espérance du bonheur ; l’esclavage fut le prix de notre soumission. Accablés sous la triple chaîne du soldat, du légiste et du percepteur d’impôts, nos compatriotes vivent méprisés…, méprisés par ceux qui ont les forces de l’administration en main.

N’est-ce pas la plus cruelle des tortures que puisse éprouver celui qui a du sentiment ? L’infortuné Péruvien périssant sous le fer de l’avide Espagnol éprouvait-il une vexation plus ulcérante ? Les traîtres à la patrie, les âmes viles que corrompit l’amour d’un gain sordide ont, pour se justifier, semé des calomnies contre le gouvernement national et contre votre personne en particulier. Les écrivains, les admettant comme des vérités, les transmettent à la postérité. En les lisant, mon ardeur s’est échauffée, et j’ai résolu de dissiper ces brouillards, enfants de l’ignorance. Une étude de la langue française commencée de bonne heure, de longues observations, et des mémoires puisés dans les portefeuilles des patriotes m’ont mis à même d’espérer quelque succès… Je veux comparer votre administration avec l’administration actuelle… Je veux noircir du pinceau de l’infamie ceux qui ont trahi la cause commune…

Je veux appeler au tribunal de l’opinion ceux qui gouvernent, détailler leurs vexations, découvrir leurs sourdes menées, et, s’il est possible, intéresser le vertueux ministre qui gouverne l’Etat (c’était alors Necker) au sort déplorable qui nous afflige si cruellement. Si ma fortune m’eût permis de vivre dans la capitale, j’aurais eu sans doute d’autres moyens pour faire entendre nos gémissements ; mais, obligé de servir, je me trouve réduit au seul moyen de la publicité ; car, pour des mémoires particuliers, ou ils ne parviendraient pas, ou, étouffés par la clameur des intéressés, ils ne feraient qu’occasionner la perte de l’auteur. Jeune encore, mon entreprise peut être téméraire ; mais l’amour de la vérité, de la patrie, de mes compatriotes, cet enthousiasme que m’inspire toujours la perspective d’une amélioration dans notre état, me soutiendront. Si vous daignez, général, approuver un travail où il sera si fort question de vous ; si vous daignez encourager les efforts d’un jeune homme que vous vîtes naître, et dont les parents furent toujours attachés au bon parti, j’oserai augurer favorablement du succès. J’espérai quelque temps pouvoir aller à Londres vous exprimer les sentiments que vous m’avez fait naître, et causer ensemble des malheurs de la patrie ; mais l’éloignement y met obstacle. Viendra peut-être un jour ou je me trouverai à même de le franchir.

Quel que soit le succès de mon ouvrage, je sens qu’il soulèvera contre moi la nombreuse cohorte d’employés français qui gouvernent notre île, et que j’attaque ; mais qu’importe, s’il y va de l’intérêt de la patrie ! j entendrai gronder le méchant, et si ce tonnerre tombe, je descendrai dans ma conscience, je nie souviendrai de la légitimité de mes motifs, et, dès ce moment, je le braverai. Permettez-moi, général, de vous offrir les hommages de ma famille. Eh ! pourquoi ne dirais-je pas de mes compatriotes ? ils soupirent au souvenir d’un temps où ils espérèrent la liberté. Ma mère, madame Laetitia, m’a chargé surtout de vous renouveler le souvenir des années écoulées à Corte. Je suis avec respect, général, votre très humble et très obéissant serviteur, Napoléon BUONAPARTE, Officier au régiment de La Fère. »

Auxonne en Bourgogne, 12 juin 1789.

Le mois suivant (juillet 1789), Napoléon écrivait d’Auxonne à sa mère, au moment peut-être où l’on prenait à Paris la Bastille, et où commençait cette Révolution qui allait, lui ouvrir une si vaste carrière et le conduire à de si hautes destinées. Voici ce que confiât le futur empereur à la sollicitude maternelle : « Je n’ai d’autre ressource ici que de travailler. Je ne m’habille que tous les huit jours, je ne dors que très peu depuis ma maladie : cela est incroyable. Je me couche à dix heures et je me lève à quatre heures du matin. Je ne fais qu’un repas par jour à trois heures : cela me fait très-bien à la santé. » Cela- lui faisait au contraire très mal à la santé, car la maladie dont il parle n’avait d’autre cause que le régime annihilant auquel il s’était soumis pendant l’hiver de 1788 à 1789. Par besoin d’économie, par vertu, et connue pour tout essayer des choses humaines, Napoléon avait persuadé son ami Alexandre des Mazis que l’homme pouvait ne vivre qu’avec du lait et du pain : principe animal et principe végétal. Les deux amis s’étaient laissé convaincre, et l’on se réunissait pour ce copieux repas dans la chambre du jeune Bonaparte. Seulement, pour que l’esprit ne fût pas complètement déshérité de ce festin du corps, il avait été convenu que chacun à son tour y apporterait un conte en prose, qu’on lirait après ce qu’ils appelaient par hyperbole le dîner. Napoléon fournissait son contingent avec une exactitude militaire ; ses récits étaient toujours bizarres et roulaient sur quelque aventure romanesque et tragique. Ce qu’il y avait de sombre et d’amer en lui y débordait, et souvent sa physionomie réfléchie prenait un air de tristesse en les lisant. Mais ces agapes fraternelles, bonnes au cœur, étaient mauvaises à l’estomac ; et c’était en ne vivant que de lait que Napoléon était tombé dans un état d’anémie dont un seul repas par jour ne pouvait guère le tirer. Il fut traité par M. Bienvelot, chirurgien-major du régiment d’artillerie de La Fère, lequel l’était encore sous le Consulat, dans le même régiment, lorsque, le 15 prairial an X (4 juin 1802), Bonaparte, premier Consul, en passa lu revue au Champ de Mars. L’ancien officier de La Fère reconnut son docteur, et lui dit : « Eh bien, mon vieux Bienvelot, êtes-vous toujours aussi original ? Pas tant que vous, citoyen premier Consul, qui ne faites rien comme les autres, et que personne jusqu’ici n’a encore pu imiter. » Les soins de M. Bienvelot donnés au jeune Napoléon à Auxonne firent beaucoup pour le rétablissement de la santé de celui-ci, qui, par ordonnance, dut manger de la viande et boire du vin ; mais il fallait encore quelques distractions et l’air natal, et, par les conseils du même docteur, le petit lieutenant d’artillerie obtint un congé de semestre, et partit d’Auxonne pour la Corse le 1er septembre 1789.

(Extrait du dictionnaire Larousse du dix-neuvième siècle)


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