Entre Israël et Palestiniens, un cessez-le feu qui ne fera pas la paix

mercredi 26 mai 2021.
 

Si la trêve entrée en vigueur vendredi met fin au conflit entre Israël et le Hamas démarré le 10 mai, elle ne permettra pas de venir à bout des cycles réguliers de violences. Cette nouvelle escalade a remis la question israélo-palestinienne au premier plan.

C’est un air de déjà vu qui est ressenti à l’annonce du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, à l’issue d’une dizaine de jours d’un conflit qui a fait au moins 243 morts côté palestinien et 12 côté israélien. L’accord a été obtenu grâce à la médiation de l’Égypte et, dans son intervention depuis la Maison Blanche jeudi après l’annonce, le président américain Joe Biden a exprimé sa « reconnaissance au président Al-Sissi et aux hauts responsables égyptiens qui ont joué un rôle absolument crucial ».

Déjà vu, puisque, comme lors des précédents épisodes de violences – le dernier remontant à 2014 –, chacun des deux camps a crié victoire, malgré les nouvelles destructions, les pertes civiles et l’aggravation d’une situation humanitaire déjà catastrophique.

Soulignant que tous les détails de l’accord n’étaient pas encore connus, le premier ministre Benjamin Netanyahou a affirmé que les centaines de frappes israéliennes avaient porté un coup sévère au mouvement islamiste Hamas, qui gère la bande de Gaza et ses deux millions d’habitants depuis 2007. Selon Haaretz, M. Netanyahou a estimé, lors d’une conférence de presse quelques heures après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu vendredi à 2 heures, qu’« Israël avait modifié l’équation avec le Hamas » et répondrait fermement à tout tir de roquette.

À Gaza, des manifestants en liesse ont célébré « l’euphorie de la victoire », selon les mots de Khalil al-Hayya, numéro deux du bureau politique du Hamas dans la bande de Gaza. Il a promis de « reconstruire » les maisons détruites par les frappes israéliennes.

Pourtant, en dépit de l’impression d’avoir assisté à un cycle connu d’escalade-désescalade, un certain nombre d’éléments nouveaux méritent d’être relevés.

Les tensions à l’intérieur d’Israël

Tout d’abord, comme l’écrivait René Backmann le 17 mai (lire ici), « c’est peut-être, paradoxalement, la confrontation armée autour de la bande de Gaza entre le mouvement islamiste Hamas et l’armée israélienne qui posera le moins de problèmes ». Israël, en pleine incertitude politique après des élections parlementaires qui n’ont rien réglé, va devoir en effet apporter des réponses aux affrontements dans les villes « mixtes » du pays, en général pauvres et sous-équipées, où coexistent habitants juifs et « arabes israéliens », c’est-à-dire citoyens palestiniens d’Israël.

Le plus souvent, ces confrontations mettent aux prises les jeunes résidents arabes et des groupes de colons d’extrême droite armés venus de leurs collines de Cisjordanie pour « défendre les Juifs » (lire le reportage à Los d’Emmanuelle Elbaz-Phelps ici). Et cela ne se règlera pas à coups de frappes de F-16 ou de pilonnages d’artillerie.

L’absence de l’Autorité palestinienne

L’Autorité palestinienne (AP) est la grande perdante de ce conflit. Elle a été absente et le Hamas est apparu comme le défenseur de ces jeunes de Jérusalem-Est et de Cisjordanie qui se battent contre l’apartheid. Inès Abdel Razek, directrice du plaidoyer pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, une organisation non gouvernementale palestinienne de plaidoyer et diplomatie citoyenne, le soulignait dans nos colonnes (lire ici) : l’AP est vue comme « un sous-traitant des Israéliens plutôt qu’une force de résistance à l’occupation ».

La décision de Mahmoud Abbas de reporter les élections prévues en mai, au motif qu’elles ne pourraient pas se dérouler à Jérusalem-Est, n’a fait qu’aggraver le discrédit dont il est l’objet. Dans ce contexte, le Hamas sort renforcé de ce conflit en apparaissant comme celui qui a tenu tête aux Israéliens et porté les revendications des manifestants de Jérusalem-Est et de Cisjordanie, relève Hugh Lovatt, spécialiste du conflit israélo-palestinien et analyste au Conseil européen des relations extérieures (ECFR) (lire ici).

L’éléphant dans la pièce des négociations

Dans ces conditions, le mouvement islamiste, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, apparaît comme un interlocuteur incontournable pour toute discussion ultérieure afin d’éviter de retomber dans l’engrenage du cycle escalade-désescalade. Dans l’émission « Cultures Monde » sur France Culture vendredi, Agnès Levallois, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, chargée de cours à Sciences-Po et codirectrice de l’Iremmo (Institut de recherche et d’études Méditerranée-Moyen-Orient), a jugé que cela apparaissait indispensable. « L’Autorité palestinienne est aujourd’hui complètement démonétisée. Le Hamas est un acteur qui a des cartes entre les mains. Nous devons franchir une étape et c’est la seule façon aussi de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons », souligne Agnès Levallois.

Le flottement américain

Pris par les enjeux intérieurs liés au Covid et désireux dans la région de relancer le dossier iranien, Joe Biden n’avait pas fait du conflit israélo-palestinien une de ses priorités. L’actualité l’a pris de court et le président américain s’est vu contraint de s’en emparer. S’il a fait pression sur Netanyahou, il s’est néanmoins inscrit dans la continuité de la politique américaine traditionnelle en bloquant des résolutions au Conseil de sécurité et en refusant d’appeler rapidement à un cessez-le-feu.

Cependant, il doit tenir compte d’une nouvelle génération d’élus du parti démocrate beaucoup plus critique de la politique du gouvernement israélien, comme Alexandria Ocasio-Cortez (New York), Ro Khanna, représentant de la Californie, ou Cori Bush, ancienne activiste du mouvement de Ferguson contre les violences policières, élue au Congrès en novembre dernier. « En tant que personne qui a été brutalisée par la police, je continue à être fortement solidaire des Palestiniens qui se soulèvent contre la violence militaire, policière et étatique », a tweeté cette dernière.

Dans un article publié le 14 mai dans le New York Times, Bernie Sanders, sénateur indépendant du Vermont, figure du camp progressiste, lançait le slogan : « Palestinian Lives Matter », reliant aussi le mouvement Black Lives Matter à la cause palestinienne.

« Au Moyen-Orient, où nous fournissons près de 4 milliards de dollars par an d’aide à Israël, nous ne pouvons plus faire l’apologie du gouvernement de droite de Netanyahou et de son comportement antidémocratique et raciste. Nous devons changer de cap et adopter une approche impartiale, qui respecte et renforce le droit international en matière de protection des civils, ainsi que la loi américaine existante qui stipule que l’aide militaire américaine ne doit pas permettre les violations des droits de l’homme », a-t-il écrit.

Pour lui, « si les États-Unis veulent être une voix crédible en matière de droits de l’homme sur la scène mondiale, [ils doivent] faire respecter les normes internationales en matière de droits de l’homme de manière cohérente, même lorsque c’est politiquement difficile » : « Nous devons reconnaître que les droits des Palestiniens sont importants. Les vies palestiniennes comptent. »

La marginalisation des Européens

Encore une fois, et là ce n’est pas un fait nouveau, au-delà de déclarations rituelles sans guère de portée politique, les Européens sont apparus hors du jeu, bridés par les États-Unis et tétanisés par des considérations de politique intérieure. La France est muette sur la politique de colonisation et d’apartheid promue par le gouvernement israélien, et sa voix ne se fait plus entendre depuis longtemps (lire l’analyse de René Backmann et Ellen Salvi ici).

« Si la France a semblé un peu à la manœuvre sur la résolution des Nations unies qui a été menacée par trois fois de veto, finalement son rôle a été de déléguer le pouvoir de sa diplomatie en partie, comme les États-Unis, aux services de renseignement égyptiens, et ce dossier est surtout vu au prisme des enjeux internes », souligne Xavier Guignard, chercheur au sein du centre de recherche indépendant Noria. En témoignent les interdictions de manifester (lire le reportage de Justine Brabant et Lucie Delaporte ici), l’interpellation à la sortie du Quai d’Orsay du président de l’association France Palestine solidarité Bertrand Heilbronn (lire ici), sans parler des interventions de personnalités de droite et d’extrême droite – et de l’ancien ministre socialiste Manuel Valls –, comme cette tribune publiée par Le Figaro et relayant les thèses de la droite israélienne la plus dure (« Ceux qui menacent Israël nous menacent aussi »).

Une solution à deux États de moins en moins crédible

Joe Biden a estimé jeudi que le cessez-le-feu représentait « une vraie opportunité » d’avancer vers la paix entre Israéliens et Palestiniens. « Je suis convaincu que les Palestiniens et les Israéliens méritent, les uns comme les autres, de vivre en sécurité et de jouir d’un même niveau de liberté, de prospérité et de démocratie », a-t-il déclaré depuis la Maison Blanche. Cependant, il ne suffira pas de proclamer de grands principes pour trouver une solution. La diplomatie devra innover et reconnaître que la solution à deux États n’est plus viable, en raison de la colonisation et de l’emprise israélienne.

Dans un rapport récent, le centre de recherches Carnegie Endowment estimait qu’il fallait reconnaître « que l’échafaudage actuel du processus de paix soutient l’occupation et est structurellement incapable d’apporter la paix et la sécurité humaine », et que les États-Unis devraient soutenir une « une solution alternative qui garantisse la pleine égalité et l’émancipation de tous ceux qui résident dans le territoire sous contrôle israélien ».

Pour Xavier Guignard, « ce qui semble évident au regard des dernières semaines, c’est à quel point les problématiques israéliennes et palestiniennes sont entremêlées, et à quel point la séparation est impossible. Au-delà de la colonisation, c’est ce qui rend impossible la solution à deux États ».

21 mai 2021 Par François Bougon


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