Même en Vendée, « la droite bascule tranquillement vers le macronisme »

mardi 8 juin 2021.
 

La Roche-sur-Yon (Vendée).– Quelques retraités qui rompent le calme ambiant, une boulangerie, un bistrot, la mairie et une majestueuse église qui fait office de point de repère. Nieul-le-Dolent raconte, en quelques rues pavillonnaires désertes, la ruralité vendéenne. À ce panorama, il faut ajouter l’école Saint-Pierre, un établissement catholique d’enseignement primaire comme en fréquente un écolier vendéen sur deux.

La religion, avec ses églises, ses écoles et ses associations, modèle ici le territoire comme elle a façonné son histoire. Au point de lui faire incarner, plus de deux siècles après la guerre civile entre républicains révolutionnaires et royalistes vendéens, un fief des catholiques traditionalistes. Traduit en langage politique, cela en fait un bastion de la droite conservatrice.

Le parvis de l’église de Nieul-le-Dolent et son monument aux morts. © IR Le parvis de l’église de Nieul-le-Dolent et son monument aux morts. © IR

Les Vendéens ont par exemple voté très largement pour François Fillon à la primaire de droite en 2016 (56 % dès le premier tour, 12 points au-dessus de son score national). Ils ont massivement élu et réélu Philippe de Villiers, fondateur du souverainiste Mouvement pour la France, à la tête du département (1988-2010), avant de faire confiance à son dauphin devenu rival, Bruno Retailleau (2010-2015), aujourd’hui président du groupe LR au Sénat.

Voilà pour le décor, qui colle comme un chewing-gum récalcitrant à la réputation du territoire. Mais les clichés sont réducteurs, a fortiori en politique. « L’image de la droite catho tradi, ça ne repose sur rien, assène Yannick Moreau, maire bien à droite des Sables-d’Olonne. La réalité de la Vendée est loin de tout ça. Ici, l’héritage est celui de la démocratie chrétienne, de l’enseignement libre vendéen et du patronage… C’est une filiation plutôt centriste, pas du tout réactionnaire. »

Ancienne professeure de lettres et militante au Mouvement conservateur (le nouveau nom de Sens commun), Nolwenn Porcheret fait le même constat. « On garde cette image des Vendéens révolutionnaires, à l’ancienne, sourit-elle. Mais le réel est assez éloigné de cette image. Le territoire a beaucoup changé. »

Une petite balade sur la côte aide à s’en convaincre. Aux Sables-d’Olonne, la deuxième ville de Vendée, 40 % des logements sont des résidences secondaires et, tous les ans, certaines d’entre elles deviennent les résidences principales de retraités – souvent parisiens – venus y jouir de l’air marin. Dans un mouvement parallèle et inverse, l’augmentation du prix de l’immobilier et la raréfaction de l’emploi ont fait fuir les jeunes et certaines familles.

Le temps passant, la sociologie vendéenne évolue et les équilibres électoraux aussi. Dans la cité balnéaire, c’est François Fillon qui est arrivé en tête en 2017 (35,6 %), mais il était talonné de près par Emmanuel Macron, qui y a recueilli 27 % des suffrages. Un mois plus tard, la circonscription a élu député un inconnu de La République en marche (LREM), Stéphane Buchou, face à l’élue locale Les Républicains (LR) Florence Pineau. Les Sables-d’Olonne. © IR Les Sables-d’Olonne. © IR

À l’époque, la percée macroniste avait surpris les observateurs de la vie politique locale. « J’avais quelques points de repère avant 2017, j’en ai beaucoup moins depuis, reconnaît Yannick Moreau, pourtant confortablement réélu maire l’été dernier. Je pensais que les Sables-d’Olonne étaient un socle solide pour la droite. J’ai vu une partie de l’électorat traditionnel de la droite voter pour Emmanuel Macron. Je confesse ne pas avoir compris le basculement. »

La vingtaine bien entamée et une expérience déjà longue de militant LR et collaborateur d’élu, Antoine Vermeulen tente une explication. « Les Vendéens sont des personnes très droites qui détestent qu’on leur mente, assure celui qui fut aussi responsable départemental de l’UNI, un syndicat étudiant de droite. Notre électorat a été très, très déçu par Fillon en 2017. Les gens se sont reportés naturellement sur Macron en se disant : “C’est un homme jeune, de centre-droit, il fera l’affaire.” »

Sauf que la tendance s’est confirmée depuis. En 2019, les élections européennes ont scellé l’effondrement de la droite locale, arrivée quatrième avec 10 % des voix, loin derrière la liste LREM (27 %). Le candidat LR, François-Xavier Bellamy, était pourtant l’incarnation d’une droite très vendéenne : philosophe, catholique revendiqué, tenant d’une ligne libérale-conservatrice très proche de celle de Bruno Retailleau…

Au grand dam de la droite locale, les mutations de l’électorat vendéen ne semblent pas se résumer à une infidélité printanière en 2017, à une escapade furtive pour punir l’immoralité d’un François Fillon empêtré dans les affaires. Mais les tendances politiques sont toujours difficiles à analyser et les résultats à prévoir. Les élections municipales dans les grandes villes du département en attestent : Yannick Moreau, ancien bras droit de Philippe de Villiers puis de Bruno Retailleau, a été largement réélu aux Sables-d’Olonne et les listes d’Antoine Chéreau, cadre historique du MPF, ont été plébiscitées à Montaigu.

Derrière le paradoxe apparent, les acteurs ou observateurs de la vie publique locale font peu ou prou la même analyse. « Philippe de Villiers et Bruno Retailleau ne sont pas franchement en adéquation avec la ligne politique du territoire », affirme Yannick Moreau, qui se reconnaît lui-même « sûrement plus à droite » que ses électeurs. « C’est plutôt un miracle qu’ils aient tenu si longtemps le département, ajoute-t-il. Ils le doivent à leur action d’élus locaux, franchement appréciée. »

En Vendée, l’ancrage droitier incontestable ne rime pas avec une quelconque mainmise partisane. Un peu partout sur le territoire, les sections LR peinent à survivre. L’élan de la Manif pour tous, au début du quinquennat Hollande, n’a pas débouché sur un élan collectif majeur et la jeunesse milite peu, en dehors des murs du puissant Institut catholique de Vendée (Ices).

« Ici, on n’est pas encartés, résume Nolwenn Porcheret. On regarde beaucoup si nos élus font du bon boulot. Bruno Retailleau n’est pas élu sur sa ligne nationale mais parce qu’il est perçu comme un bon gars qui a bien travaillé. Ce serait une erreur de calquer les enjeux nationaux sur la carte politique locale. » Et les élections régionales prévues les 20 et 27 juin devraient confirmer le constat : dans les rues, le sujet est absent et les affiches se font rares mais la présidente (LR) de la région, Christelle Morançais, paraît favorite à sa réélection. En face, les gauches partent divisées et LREM se présente derrière l’ancien ministre François de Rugy.

Au gré des rencontres, c’est le même refrain qui se fait entendre : le rapport aux élus locaux est ici personnel plus que politique. Aux Sables-d’Olonne, c’est Jeanine, militante macroniste, qui trouve que « Yannick Moreau fait plutôt du bon boulot ». À La-Roche-sur-Yon, c’est Véronique, une commerçante, qui se souvient du jour où Bruno Retailleau « a reçu sa fille et l’a aidée à scolariser sa fille handicapée » mais qui assure : « Au niveau national, je n’ai pas le même jugement sur lui… »


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