L’union populaire : une stratégie globale

dimanche 13 juin 2021.
 

La brillante campagne de Danielle Simonnet dans la 15ème circonscription de Paris est à mes yeux un évènement d’une ample portée. La rescapée du PS ne peut pavoiser. Simonnet et ses formidables équipes peuvent le faire. Ils ont fait une démonstration politique dont les leçons sont nationales. Au second tour, elle double le nombre de ses électeurs. Elle a su remettre en mouvement dans les bureaux de vote populaires. Dommage que la gauche traditionnelle ait choisi de laisser la droite et les macronistes faire la décision dans le « barrage aux insoumis ». Il faut la encore en tirer la leçon : on ne peut pas compter sur eux.

La macronie qui parlait de cette élection comme d’une formalité administrative a reçu une leçon. Car la présence de Simonnet et son score à ce deuxième tour signifie d’abord la puissance du « non » populaire clair et net au régime. L’absence du candidat macroniste a permis au PS de s’en sortir au premier et au second tour. Évidemment, l’abstention massive dans cette élection reste le paramètre central. N’empêche. Mais qui a mobilisé les siens mieux que l’autre est une grande question de l’action politique en général et cela porte toujours une signification qu’on ne peut balayer d’un revers de main. Le succès de Simonnet est celui d’une campagne acharnée et méthodique. Mais d’autres en partielle l’avait été autant dans un passé récent.

L’évènement est que Danielle Simonnet a su correspondre au moment dans lequel elle s’est inscrite par une opposition frontale à tout le système politique parisien. C’est la leçon que je tire à chaud. L’élection d’une PS dans l’unique reste des citadelles PS de la capitale est celle d’une rescapée et non d’une conquérante.

Elle me permet de formuler haut et clair la ligne sur laquelle nous sommes organisés depuis ce début de campagne présidentielle commencée en novembre 2020. Car c’est un tout que notre action au moment même où elle se déploie sur autant de terrains : régionales, cantonales, commission d’enquête sur l’eau, soutien aux luttes salariales, action parlementaire, préparation des marches des libertés du 12 juin qui viennent à l’appel de 90 organisations.

Une stratégie globale est à l’œuvre. Partons de questions simples pour en comprendre le développement.

Quel est notre but ? Nous voulons rassembler une majorité du peuple dans l’élection présidentielle. Comment y parvenir ? En convainquant une majorité d’électeurs… Par l’action commune et par l’argumentation « projet contre projet » avec l’extrême droite et la macronie. Comment les convaincre de voter avec nous ? En leur proposant un programme qui le permette. Un tel programme doit répondre au moins à deux critères de base. D’abord tourner la page des politiques dont ils ont souffert, ensuite ouvrir la porte à l’existence d’une nouvelle société.

Pour nous ce programme c’est « L’Avenir en Commun ». Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Parce qu’il a été assemblé à partir des revendications de la société telles que portées par les syndicats, associations et intellectuels que nous avons successivement auditionnés. Il a déjà rassemblé 7 millions de voix en 2017.

Mais peut-il être majoritaire ? Oui ! Ses propositions, traduites en propositions de lois par les députés insoumis à l’Assemblée nationale, sont devenues largement majoritaires si l’on en croit les enquêtes d’opinion. Notre stratégie est celle de l’union populaire rendue possible par ce programme.

La stratégie de l’union populaire consiste à convaincre du programme capable de rassembler le plus grand nombre dès le premier tour. Il s’agit alors de montrer qu’il est possible (crédibilité), qu’il sera réellement appliqué (sincérité) et que le candidat est capable de mener à bien cette tâche (capacité).

On connaît l’antienne : « Sans union de la gauche vous ne pouvez pas gagner ». Ce n’est pas une vérité mais une double erreur. D’abord parce que c’est une affirmation non démontrée. L’histoire et les sondages actuels disent le contraire. Car il ne faut pas confondre l’union des partis au premier tour et celle qui se réalise au second. Ensuite parce qu’admettre cette thèse revient à souligner sans cesse la division du camp que l’on prétend faire gagner. Et, faute d’union, à reconnaitre d’avance une défaite programmée.

Récusons d’abord un refrain sans objet. « Pourtant, dans l’histoire, la victoire est venue de l’union au premier tour ». C’est faux. Le candidat François Mitterrand perd en 1965 et en 1974 les seules fois où il a été le candidat de l’union de la gauche (PS+PCF+Radicaux de Gauche). À l’inverse, lui comme François Hollande gagnent alors que chaque tendance de gauche a un candidat. Et Lionel Jospin lui-même rate le second tour de très peu alors qu’il y a 16 candidats au total dont huit de gauche et le plus fort taux d’abstention constaté depuis bien longtemps.

On me dira : « encore faut-il pouvoir accéder au second tour. Dans les sondages la gauche en s’unissant aurait une plus grande chance d’être au second tour ». Mais c’est une affirmation erronée une fois de plus. Car :

Faux. Dans les sondages actuels l’addition ne se fait pas. Depuis janvier, ils montrent que les candidatures Jadot et Hidalgo restent stables, respectivement entre 6 et 8% et la mienne entre 10 et 13%. En cas de candidature commune, jamais les scores ne s’additionnent. Ni entre Jadot et Hidalgo, ni entre eux deux et moi. Et de loin. En avril dernier, l’IFOP mesurait ainsi entre 9 et 10% une candidature « unique » soutenue par le PS, EELV et le PCF rassemblés. C’est loin des 14 à 16,5% que représente l’addition des scores des candidatures séparées de Jadot, Hidalgo et Roussel mesurés par le même institut à la même date. Face à cette candidature « unique », j’étais par ailleurs donné en tête, avec des scores oscillant selon l’IFOP entre 12 et 13,5%. L’union ne se fera pas au premier tour ni entre les partis de la gauche traditionnelle ni avec eux. Tout le monde le sait. PCF, EELV et dorénavant le PS, chacun a déjà annoncé qu’il aura un candidat au premier tour. Pourtant tous n’ont eu que le mot d’union à la bouche. Et chacun a déjà répété sur tous les tons que l’union serait le moyen d’un bon résultat pour accéder au second tour. Pourtant la candidature de JLM recueillerait deux fois plus d’intentions de vote pour EELV et PS et dix fois plus que le PCF. Aucun de ces partis ne parle de se joindre aux Insoumis pour négocier un programme commun contre un soutien à la présidentielle. La question décisive est de savoir si l’union des partis n’est pas dans certaines circonstances un obstacle majeur à l’union populaire et à ce vote commun. Tout le monde connait le slogan « plus jamais PS » redevenu premier en tendance Twitter après la participation d’Olivier Faure à la manifestation des policiers factieux.

Donc l’union est réservée au second tour ? En tous cas, c’est le moment où elle a lieu. En effet, si l’union ne se fait pas toujours au premier tour, elle se fait par contre en général au second. Là les votes s’additionnent plus naturellement. Mais alors, c’est un tout autre phénomène politique. On passe de « l’union de la gauche » qui est une consigne de vote des partis à « l’union populaire » ou le peuple lui-même s’unit par un vote en commun.

Posons ouvertement la question : pourquoi, l’union avec la gauche traditionnelle ferait-elle obstacle à l’union populaire et au vote commun ?

À cause du trouble que crée la présence de certaines composantes qui ont gouverné ensemble dans de récents gouvernements sous la présidence de François Hollande. Le souvenir de leurs actes est celui d’une imposture avérée. D’autant que ni le PS ni le EELV n’ont fait de bilan critique de cet épisode. Dès lors, le doute disperserait les votes. La campagne se mène face à une opinion désorientée par les tromperies du passé et contre le harcèlement de la propagande sur les thèmes sécuritaires et racistes. Le vote de premier tour est pour nous un vote pour un programme précis qui constitue le contrat liant ceux qui le soutiennent. Un tel contrat est immédiatement ruiné si l’une des parties prenantes est soupçonnée de ne pas le respecter. Dès lors, l’alternative politique qu’il faut incarner doit être clairement définie, présentée et assumée. C’est la condition incontournable pour entrainer dans le vote commun les milieux populaires désabusés et abstentionnistes.

Posons une autre question : comment lever les doutes qui pèsent sur toute offre alternative ?

Le vote commun ne se fera pas si trois doutes ne sont pas levés. D’abord le doute sur la crédibilité de ce qui est proposé. Être « contre » ne suffit plus. Il faut « être pour » des projets et dire comment on les réalisera avec autant de précision que possible. Ensuite le doute sur la sincérité de ceux qui le défendent. La confiance est morte depuis François Hollande et son « mon ennemi c’est la finance », Olivier Faure demandant à la police de surveiller les décisions de justice et tant d’autres duperies. Enfin le doute sur la capacité de ceux qui portent le programme à le mettre en œuvre. Une candidature sans équipe préparée pour gouverner, un équipage sans pilote aguerri ne peux être convaincant.

Dans cette définition l’union populaire se réalise dans le vote commun. Celui-ci se réalise au deuxième tour dans des conditions différentes du premier. Selon la formule : « au premier tour on choisit, au second on élimine ». C’est réducteur, certes, mais c’est un fait. Et ce n’est pas le seul effet pervers du scrutin uninominal à deux tours dans le cadre de la Vème République. En effet beaucoup votent au premier tour en prévision de qui ils veulent ensuite éliminer au second tour. C’est le sens du fameux « vote utile ». Quand cette logique l’emporte, le débat sur le programme est particulièrement difficile à instaurer.

Quoiqu’il en soit, la question qui reste posée est de savoir si un rassemblement suffisant s’est opéré au premier tour pour entrainer une majorité de la société au second. La dynamique dont il est question n’est pas purement politique. Elle a une solide racine sociale. En face du « bloc bourgeois » décrit par les économistes contemporains Bruno Amable et Stefano Palombarini, nous voulons construire un « bloc populaire ». Pour se constituer il doit fédérer d’amples secteurs de la société actuellement fragmentée dans les archipels des mille et une situations. Cela n’est pas possible sans proposer la rupture avec les normes et les injonctions de la société néo-libérale. Au fond un tel vote doit donc se présenter comme le vote pour un projet de nouvelle société dont les normes et les valeurs ne seraient plus celles de l’ordre établi.

Mais alors, l’union populaire exclut-elle que des partis s’unissent ?

Non bien sûr. Mais à la condition qu’ils ne soient pas un repoussoir. Il faut donc qu’ils portent ensemble un programme sans ambiguïté. Et pour cela en rupture claire et assumée avec la politique néo-libérale appliquée depuis trois mandats présidentiels. Faute d’une telle rupture, l’alliance ne peut convaincre. Alors l’union populaire ne se fait pas. Le vote commun n’a pas lieu. Cette exigence de rupture est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les partis de la gauche traditionnelle, PS et EELV ont à la fois gouverné ensemble et ils ont même mené une politique d’intégration dans la globalisation libérale. Depuis, les députés PS ont eu des votes favorables au gouvernement Macron. Plusieurs membres de ces deux partis sont actuellement membres du gouvernement Macron ou l’ont rejoint depuis. De plus à nos yeux l’union populaire n’est pas réservée aux seuls partis politiques. Elle doit chaque fois que c’est possible s’ouvrir aux personnalités, aux clubs, aux associations.

Cette argumentation serait incomplète si on ne répondait pas a une question de plus. Quelle place occupe le mouvement social dans l’union populaire ?

En France, la tradition syndicale empêche les syndicats de prendre position dans les élections politiques au contraire de ce qui se passe dans les autres pays et de ce que la CGT avait décidé avant 1981 en faveur du programme commun de gouvernement du PCF et du PS. S’il devait y avoir du nouveau dans ce domaine il faudrait savoir le prendre en charge.

Mais le mouvement social ne se résume plus aux seuls syndicats. L’action associative et les sujets de vie commune occupent désormais une place centrale dans les préoccupations et l’expression populaire.

Quoiqu’il en soit, le vote commun se prépare dans les mobilisations communes. Celles ci éveillent et forment les consciences. Elles posent la question de leur débouché politique dans l’élection majeure du pays.


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