Sleeping Giants France : Ils font trembler les médias d’extrême droite

mercredi 16 juin 2021.
 

Oui, ils font trembler les médias d’extrême droite simplement en interpellant les entreprises sur leurs pubs qui finissent, sans leur consentement, affichées sur ces sites. On a causé avec la cofondatrice de Sleeping Giants France.

Regards. Avant toute chose, qu’est-ce que c’est, Sleeping Giants, et que faites-vous concrètement ?

Rachel. Nous avons créé Sleeping Giants France en février 2017, au moment où le site américain Breitbart était sur le point de s’installer en France – ce qui ne s’est pas fait finalement. On a alors commencé à travailler sur des sites français, les premiers étant Boulevard Voltaire et Breizh Atao. Nous ne travaillons que sur les publicités programmatiques, gérées par des régies, et dont les placements de pubs qui ne sont pas consentis par l’annonceur – il n’en a même pas connaissance. Le but est d’alerter l’annonceur quand il est présent sur un média qui a déjà été condamné, afin qu’il se demande si ces contenus sont en lien avec les valeurs de ses annonces. L’annonceur peut alors ajouter tel ou tel site à une liste d’exclusion. Par exemple, une boucherie ne voudrait peut-être pas que ses publicités apparaissent sur un site végan. Beaucoup de placements sont générés par des algorithmes, même si la tendance est à la baisse. Je me rappellerai toujours d’une toute petite boutique pour bébé qui a eu le malheur d’être placée sur la page d’un article dont le titre disait « Heureusement, 75% des bébés avortés sont noirs »… La dame était traumatisée. On parle toujours d’intelligence artificielle, mais les algorithmes sont souvent très bêtes. Elle voit un article sur l’islam, elle place une pub du Secours islamique, etc. Qu’importe si c’est un article de Valeurs actuelles. Nous ne faisons qu’informer les annonceurs, une seule et unique fois. Après, le choix leur revient. Parfois ils ne nous répondent même pas mais on ne voit plus jamais leurs pubs sur ces sites.

Le 9 juin, l’hebdomadaire Valeurs actuelles n’était visiblement pas très content de votre action. Ils ont tweeté : « Valeurs actuelles porte plainte contre les Sleeping Giant. Le groupe d’activistes anonymes tente par tous les moyens de faire fuir les annonceurs publicitaires des médias qui ne partagent pas leur idéologie progressiste. » Vous faites même la Une de leur dernier numéro au doux titre : « Ceux qui veulent nous faire taire ». Que s’est-il passé ?

Comment voulez-vous que j’interprète des paroles qui viennent d’un média qui ne sait même pas compter des signatures, qui relaie des fake news ? Ça fait un bon moment qu’on travaille sur Valeurs actuelles, avec grand succès. Pourquoi ? À cause de leurs contenus. Dans deux semaines, ils passent pour la troisième fois en procès pour racisme. C’est un fait que des marques n’ont pas envie d’être associées à des contenus extrémistes. Et ça n’est pas seulement lié à l’extrême droite, les annonceurs n’ont pas non plus envie d’être associés à des « tribunes » appelant à un putsch contre le gouvernement, à des fake news – on le voit bien avec le covid et France Soir. Les marques veulent un retour sur investissement, or, si elles se retrouvent associées à des contenus extrémistes, stigmatisant, quel intérêt auraient-elles à rester là ? Si Valeurs actuelles réagit aussi vivement, c’est parce qu’ils vont mal. Ils ont récemment perdu le tiers de leurs recettes publicitaires après que la régie en ligne Taboola a mis fin à son contrat – des suites de la publication d’un roman fiction faisant de la députée Danièle Obono une esclave. Ils ont perdu leur procès contre Taboola. Nous savons qu’ils n’ont quasiment plus aucune publicité, mais c’est à cause de leurs publications. Vous posez des choix, vous en subissez les conséquences. Regardez Boulevard Voltaire, ils n’ont plus aucune publicité, mais de temps en temps ils ont une annonce consentie (du groupe parlementaire des eurodéputés identitaires par exemple). C’est pareil dans la version papier de Valeurs actuelles. Pour passer dans le journal, il faut le vouloir. Donc la marque fait un choix consenti. Mais ça, ça ne nous regarde pas. Notre démarche est d’informer ceux qui ne savent pas qu’ils font de la pub dans ces médias.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de censure ?

Mais nous ne censurons rien. Valeurs peut écrire ce qu’ils veulent. Le financement par le consommateur, via la publicité, n’est pas un droit. Il n’y a pas un droit absolu d’être financé par la publicité. Si les entreprises n’ont pas envie d’être associées, elles, elles ont ce droit-là. Ce n’est pas une question de censure. Le financement de Valeurs actuelles n’est pas notre problème. Tout ce qui nous importe, c’est la liberté des entreprises à s’associer ou non avec ces médias (et donc de les financer).

Qu’est-ce que ça dit de l’état de la presse et de la fragilité de son système économique ?

Il y a un problème concernant l’indépendance des médias. Puis il y a un cercle vicieux : plus les contenus sont extrémistes et racoleurs, plus ils seront vus, lus et partagés et plus vous aurez droit à des publicités et à des publicités qui valent plus. Quand on interrompt ce cercle, que l’extrémisme n’est plus rentable, soudainement, les gens changent. Nous en sommes convaincus, tout est une question d’argent. Il n’y a pas que l’idéologie. Et ça dépasse leur entendement que nous faisions tout ça bénévolement ! Ça leur pose un problème que des personnes puissent s’engager sans chercher à faire du profit. C’est leur obsession : qui les finance ? Et il en faut peu pour tomber dans les vieilles ficelles antisémites : ce sont les agents de l’ordre mondial, de Soros, etc.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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