Elections régionales et départementales 2021 en France : dossier

dimanche 27 juin 2021.
 

Le premier tour des élections régionales et départementales a enregistré une abstention record de 67,2 %. Elle favorise les sortants de LR et du PS, marginalise le parti présidentiel, et casse la dynamique du RN.

Deux Français sur trois ont préféré s’abstenir

C’est la grande gagnante de ce scrutin. Et elle rend caduque toute analyse conclusive sur les forces en présence. Dimanche 20 juin, l’abstention a atteint un nouveau record au premier tour des élections régionales et départementales : entre 67,2 % des inscrits (contre 49,5 % aux départementales et 50,02 % aux régionales, en 2015). En clair, moins d’un électeur sur trois s’est déplacé aux urnes. Les responsables politiques qui se sont exprimés dans la soirée se sont unanimement inquiétés de cette situation. Sans pour autant en tirer les enseignements politiques.

Car cette abstention massive vient d’abord les sanctionner, eux. Eux qui pendant des semaines ont fait campagne sur des sujets très éloignés des enjeux de ce scrutin, à commencer par la sécurité, qui n’est pas une compétence de la région, mais dont beaucoup de candidats avaient fait leur priorité. Polémiques, tractations politiciennes, omniprésence des sondages… Les débats ont été dictés par le seul agenda du Rassemblement national (RN) face auquel Emmanuel Macron se présente comme l’unique rempart, dans la perspective de 2022.

« Je ne tirerai aucune conclusion nationale de ces élections qui sont des élections locales », avait prévenu le président de la République, lors du dernier conseil des ministres, excluant par principe un éventuel remaniement. On le comprendrait presque au regard des scores enregistrés dimanche soir par La République en marche (LREM), qui ne réussit même pas à se hisser à la seconde place quelque part. Alors qu’elle s’imaginait en arbitre d’entre-deux-tours, la majorité présidentielle n’est pas en mesure d’imposer une fusion de listes. Du jamais vu pour un parti au pouvoir.

Pour retrouver un tel dédain électoral, il faut remonter au référendum sur le passage du septennat au quinquennat… en 2000, où seuls 30 % des électeurs inscrits s’étaient déplacés. Au premier tour de ces régionales et départementales, le Grand Est faisait figure de plus mauvais élève, avec 70,39 % d’abstention, talonné par les Pays de la Loire (68,98 %), le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France et la Normandie, qui oscillaient tous trois autour de 67 %. À part la Corse, où 57,08 % des électeurs se sont exprimés pour permettre à l’autonomiste Gilles Simeoni (29,19 %) de se hisser en tête, toutes les autres régions, y compris celles d’outre-mer, ont largement boudé les urnes.

Pour ne prendre que l’exemple de la Bretagne, région en général considérée comme bien identifiée par les électeurs, l’abstention a grimpé de 16 points entre 2015 et 2021. « C’est énorme », estime Patrick Lehingue, à la lumière des chiffres sur tout le territoire. Le professeur de sciences politiques à l’Université de Picardie n’est cependant guère étonné : « Si l’on regarde les onze derniers scrutins, sept avaient une participation inférieure à 50 %, donc on fait face à une tendance aggravée. »

Cette faible participation ne pourra pas non plus être analysée comme un coup des terrasses, du soleil, de la pluie ou de l’attrait de la canne à pêche. À un tel niveau, la désertion des électeurs en dit bien plus long sur la tentation de « grève civique » manifestée par de nombreux citoyens, que sur la météo. Parmi ceux qui ont snobé les bureaux de vote, beaucoup votaient autrefois avec discipline, mais sont désormais lassés du jeu politique.

Le découpage des cantons en décalage avec les bassins de vie, le manque d’identification dans des régions parfois gigantesques et la défiance vis-à-vis du personnel politique sont autant d’ingrédients qui ont macéré des années durant, conduisant à ce résultat désastreux. Le tout sur fond de crise sanitaire. « On avait la même configuration pour les municipales mais au moins dans sa commune, on connaît les candidats. Là, le paysage politique était illisible », indique Patrick Lehingue.

« À ce niveau d’abstention, on peut s’attendre à de forts effets de mobilisation différentielle », prédisait son collègue politiste Vincent Tiberj, sur Twitter, quelques minutes après l’annonce des résultats du premier tour. « Plus la participation recule, plus les urnes prennent un accent, celui des groupes les plus favorisés dans la société », complétait-il. C’est d’ailleurs une des premières confirmations de ce scrutin : l’abstention ne porte pas chance au RN, qui a multiplié les contre-performances, n’ayant pas réussi à mobiliser son électorat.

« On peut avoir deux lectures, politique ou sociologique : oui, ce sont les électeurs les plus mécontents qui se mobilisent dans les élections intermédiaires, poursuit Patrick Lehingue. Mais par ailleurs, ce sont les plus jeunes et les classes populaires qui ont le plus de chance de s’abstenir, donc cela défavorise automatiquement le Rassemblement national. » À cela s’ajoute le fait que l’électorat de droite traditionnelle, d’ordinaire plutôt âgé, s’est a contrario davantage mobilisé.

« Coup de semonce », « effondrement », « catastrophe »... À droite comme à gauche, les responsables politiques ont commenté avec force les taux d’abstention enregistrés dimanche soir. « Combien de temps la démocratie peut-elle survivre sans le peuple ? », s’est interrogé le député La France insoumise (LFI) François Ruffin, sur Twitter, reprenant en partie les mots de Jean-Luc Mélenchon. « L’abstention est forte, l’extrême droite toujours trop haute, voilà le bilan de cette soirée électorale », a aussi résumé le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Julien Bayou.

Le vice-président LREM de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, a pour sa part estimé que « quand deux électeurs sur trois ne se déplacent pas à un scrutin, ce n’est pas du désintérêt ou la peur du virus, c’est en soi un acte politique, et ce n’est certainement pas à relativiser ». « Personne ne peut sortir le champagne ce soir, le niveau abyssal de l’abstention doit tous nous interpeller », a indiqué le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. C’est « particulièrement préoccupant », a ajouté Gérald Darmanin.

Les perdants de l’opposition ont également critiqué les conditions de mise en œuvre de ce double scrutin, alors qu’à Marseille (Bouches-du-Rhône), par exemple, une trentaine de bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir, faute d’assesseurs en nombre suffisant. Les mêmes ont aussi rappelé la pagaille sur la propagande électorale observée lors des dernières semaines avant le scrutin. Dans plusieurs départements, les professions de foi n’ont pas été correctement distribuées, privant les citoyens de l’information nécessaire pour se positionner.

Partout, l’abstention a favorisé les sortants, au détriment de tous les pronostics sondagiers, qui promettaient des scores historiques au RN. En Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Thierry Mariani est arrivé en tête avec 36,38 % des suffrages exprimés, légèrement devant le président LR sortant de la région, Renaud Muselier (31,91 %). Dans les Hauts-de-France, où les enquêtes d’opinion promettaient un premier tour serré, Xavier Bertrand (41,39 %) a largement écrasé les listes du RN (24,37 %) et de l’union des gauches (18,99 %).

Le parti de la rue de Vaugirard s’est également hissé en tête du premier tour en Île-de-France (Valérie Pécresse, 35,93 %), ainsi qu’en région Auvergne-Rhône-Alpes (Laurent Wauquiez, 43,79 %), Pays de la Loire (Christelle Morançais, 34,29 %), et Grand Est (Jean Rottner, 31,15 %). Le centriste Hervé Morin, candidat à sa réélection en Normandie, a quant à lui enregistré 36,86 % des suffrages exprimés, devant le RN Nicolas Bay (19,85 %) et la socialiste Mélanie Boulanger, alliée à EELV (18,37 %).

Les socialistes ont aussi devancé leurs adversaires dans les quatre régions métropolitaines qu’ils dirigent : la Bretagne (Loïg Chesnais-Girard, 20,95 %), la Bourgogne-Franche-Comté (Marie-Guite Dufay, 26,52 %), l’Occitanie (Carole Delga, 39,57 %), et la Nouvelle-Aquitaine (Alain Rousset, 28,84 %). Le candidat PS en Centre-Val de Loire, François Bonneau (24,81 %), a creusé l’écart avec Aleksandar Nikolic du RN (22,24 %), le LR Nicolas Forissier (18,82 %) et le ministre en charge des relations avec le Parlement, Marc Fesneau (16,65 %).

Malgré une quatrième position, ce dernier enregistre le meilleur score de la majorité présidentielle qui est balayée dans la quasi-totalité des régions où elle se présentait sous ses couleurs – en Paca, elle s’était ralliée à Renaud Muselier dès le début du mois de mai. LREM, qui avait envoyé cinq ministres dans les Hauts-de-France pour contraindre Xavier Bertrand dans l’entre-deux-tours, ne parvient même pas à s’y maintenir – Laurent Pietraszewski enregistre 9,14 % des suffrages exprimés.

Mais plutôt que de remettre en question ses choix politiques, la majorité présidentielle a commencé à chercher d’autres solutions. La présidente LREM de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a ainsi détaillé sur Europe 1 quelques-unes de ses propositions pour lutter contre l’abstention. Parmi elles : tenir le même jour la présidentielle et les législatives d’une part ; et réunir les régionales, départementales et municipales d’autre part. « Simplification et clarification de la vie démocratique », a-t-elle commenté. Supprimer les élections pour éviter l’abstention, ce serait effectivement plus simple. Mais pas forcément plus démocratique.

Mathilde Goanec et Ellen Salvi, 21 juin 2021

À droite, LR sourit et évite le piège macroniste

En tête des suffrages à l’échelle nationale, la droite LR est en mesure de conserver les sept régions qu’elle dirige depuis 2015. Elle peut même éviter les alliances que LREM voulait la contraindre à sceller.

Même dans ses plus beaux rêves, la droite d’opposition n’avait pas imaginé vivre une telle soirée. Sur fond d’abstention record, Les Républicains (LR) et leurs alliés sont arrivés largement en tête du premier tour des élections régionales. Ils recueillent, selon des résultats provisoires, 28,7 % des suffrages au niveau national et d’importants succès un peu partout sur le territoire.

L’enjeu de ces élections régionales était crucial pour LR, en grande difficulté sur le plan national. Sur les sept présidents de droite sortants, six d’entre eux arrivent en tête au premier tour. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier arrive deuxième (31,2 %) mais il talonne son concurrent du Rassemblement national (RN) Thierry Mariani (36,4 %) , annoncé largement favori.

La droite est donc en ballottage favorable pour conserver une assise régionale qu’elle avait construite en 2015 face à une gauche alors hégémonique. « Ce soir, c’est la reconnaissance de notre travail, s’est félicité Christian Jacob, le président de LR. Nous sommes, de très loin, le parti qui recueille le plus de voix. »

À un an de l’élection présidentielle, les résultats du premier tour viennent aussi conforter les principaux candidats putatifs de la droite. Xavier Bertrand (41,4 %) dans les Hauts-de-France, Valérie Pécresse (35,9 %) en Île-de-France et Laurent Wauquiez (43,8 %) en Auvergne-Rhône-Alpes arrivent largement en tête, loin devant le RN et leurs opposants de gauche.

Pour Xavier Bertrand, le seul des trois à s’être ouvertement déclaré candidat à l’élection présidentielle, c’est une victoire majeure. Elle vient corroborer sa posture, rabâchée depuis des mois, de rempart idéal contre l’extrême droite. « Ici, le RN a reculé parce que nous avons montré que par le travail, l’engagement et la cohérence, la politique n’était pas morte », a-t-il lancé après l’annonce des résultats. Plus tard dans la soirée, Valérie Pécresse lui a emboîté le pas : « J’ai fait reculer l’extrême droite par ma conviction et mes valeurs », s’est-elle félicitée.

Les trois anciens ministres de Nicolas Sarkozy ne sont pas encore réélus mais ils ont remporté ce dimanche une victoire précieuse. Les rapports de force leur permettent de se présenter au second tour sans négocier avec La République en marche (LREM). Xavier Bertrand a d’ores et déjà annoncé qu’il déposerait, dès demain en préfecture, la même liste qu’au premier tour. Le secrétaire d’État aux retraites, Laurent Pietraszewski, éliminé dès le premier tour (8,5 %), a appelé à voter en sa faveur.

Pas d’alliance avec LREM… pour l’instant

C’était là un des principaux enjeux de la soirée pour la droite. À défaut de remporter des régions, le parti présidentiel espérait engranger suffisamment de suffrages pour contraindre LR à des fusions de listes entre les deux tours. Un baiser de la mort, dénonçaient plusieurs élus LR ; un pas supplémentaire, en tout état de cause, dans la stratégie d’absorption de la droite adoptée par Emmanuel Macron depuis le début du quinquennat.

Début mai, l’alliance scellée par Renaud Muselier avec la majorité avait largement ébranlé la droite. Ce soir, l’état-major de LR ne manquait pas de remarquer que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur était la seule où le président sortant de droite n’arrivait pas en tête. « Là où il y a eu fusion, il y a eu confusion », lançait Christian Jacob sur France 2.

Message visiblement reçu par les candidats. Au fil de la soirée, plusieurs présidents sortants ont annoncé qu’ils refusaient toute fusion éventuelle avec les listes macronistes. C’est le cas de Jean Rottner dans le Grand Est, d’Hervé Morin en Normandie et de Christelle Morançais en Pays de la Loire. Arrivée en tête avec 34 % des voix, celle-ci est pourtant mise en danger par l’agrégat des deux listes de gauche, qui s’élève mathématiquement à 35 %. « Ma liste du premier tour sera la même au second tour », a-t-elle assuré.

Il n’est pas toutefois écrit qu’aucun rapprochement n’ait lieu entre la majorité et son opposition de droite. En Centre-Val de Loire, la liste LR menée par Nicolas Forissier (18,8 %) pourrait fusionner avec celle de Marc Fesneau (16,7 %), le ministre délégué aux relations avec le Parlement. « Je souhaite que l’on se rassemble, a expliqué le candidat de la droite. Monsieur Fesneau devrait prendre attache avec moi et me dire qu’il va se rallier, c’est ce que j’attends. C’est ce qu’il prétendait attendre de moi lorsque les sondages le plaçaient troisième. »

En Occitanie, le secrétaire général de LR, Aurélien Pradié, se qualifie pour le second tour (12,8 %) à l’inverse de son concurrent LREM, Vincent Terrail-Novès (8,4 %). Son score est faible et ses chances de victoire infimes mais, conjugué à l’échec relatif du candidat RN Jean-Paul Garraud (22,8 %), il vient conforter la stratégie d’indépendance entreprise par le numéro 3 du parti. Ce dernier s’était engagé, dès le mois de mai, à présenter la même liste lors des deux tours et à refuser tout compromis avec LREM ou avec le RN.

Rare déception de la soirée pour la droite : en Nouvelle-Aquitaine, le candidat juppéiste Nicolas Florian franchit de justesse la barre du second tour (11,4 %) et devrait se ranger derrière la candidate LREM et ministre déléguée à la mémoire et aux anciens combattants, qui le devance de quatre points. Il avait déjà fait front commun avec le parti présidentiel, l’année dernière aux élections municipales de Bordeaux. Avec une défaite à la clé.

Lundi matin, c’est l’esprit léger que Christian Jacob devrait se rendre rue de Vaugirard pour présider le conseil stratégique du parti. Tant pis si Xavier Bertrand et Valérie Pécresse ont quitté le parti, si la majorité des candidats ont fait campagne sur leur bilan et en se gardant bien de mettre son logo en avant et si les succès du soir n’éclaircissent pas l’horizon national peu glorieux de LR.

Après plusieurs réunions houleuses passées à suer pour conserver l’unité de ses rangs, le président de LR peut souffler. La droite d’opposition « n’est pas morte », comme il l’a martelé dimanche sur les plateaux de télévision. Elle est en mesure de conserver ses six régions, au prix de duels serrés en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Pays de la Loire. Si l’audace la prend, elle peut même rêver d’une ou deux conquêtes.

Ilyes Ramdani, 20 juin 2021

Le RN prend une claque

Au centre du jeu médiatico-politique de la campagne, le parti de Marine Le Pen n’arrive en tête qu’en Paca, où il n’a que peu de chances de remporter la région. Le parti s’estime la principale victime de l’abstention.

Le revers est brutal. Au terme d’une campagne pourtant dominée par des questions sécuritaires avec un débat public qui a tourné autour de tous les thèmes favoris de l’extrême droite depuis des mois, le RN encaisse, pour ce premier tour des élections régionales, un surprenant revers.

Il n’arrive en tête, ce dimanche 20 juin, que dans une seule région, en Provence-Alpes Côte d’Azur (Paca) alors qu’au soir du premier tour des élections régionales de 2015, le FN était en première position dans six régions : Paca, les Hauts-de-France, le Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val de Loire et l’Occitanie.

En Paca, Thierry Mariani arrive, certes, devant Renaud Muselier mais d’une très courte avance(36,3% contre 31,9%), ce qui compromet désormais largement ses chances de remporter la région. Surtout, le score de ce transfuge de LR et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, est une véritable contre-performance par rapport au score de Marion Maréchal qui avait obtenu, elle, 40,5 % en 2015 des voix, loin devant Christian Estrosi, LR, à 26 % des voix.

Dans les Hauts-de-France, le score obtenu par Sébastien Chenu est une quasi-humiliation pour le député du Nord et porte-parole du parti d’extrême droite. Avec 24 %, il est devancé de près de 20 points par le président LR sortant Xavier Bertrand. Il fait surtout près de quinze points de moins que Marine Le Pen en 2015 qui avait obtenu 40,6 % des voix. Sur le terrain, qu’il a sillonné à bord de son Chenu-bus depuis des mois, beaucoup d’électeurs affirmaient ne pas le connaître (lire notre reportage).

Le magistrat Jean-Paul Garraud, lui aussi transfuge de LR, arrive au coude à coude avec la présidente PS sortante Carole Delga en obtenant 34 % des voix mais ne dispose d’aucun réservoir alors que le candidat LR, Aurélien Pradié (10 % des voix) a basé l’essentiel de sa campagne sur la lutte contre le parti d’extrême droite.

En Bourgogne-Franche-Comté, après une campagne bousculée par différents scandales, notamment après ses propos sur le suicide des agriculteurs, Julien Odoul n’obtient que 23,7 % des voix, derrière la présidente PS sortante Marie-Guite Dufay. Là aussi, c’est près de dix points de moins que ce qu’avait obtenu Sophie Montel en 2015 qui était arrivée en tête du premier tour avec 31,48 % des voix.

En Centre-Val de Loire, le jeune candidat du RN Aleksandar Nikolic autour des 21,7 % est près de quatre points derrière François Bonneau (25 % des voix). Une fois de plus c’est dix points de moins que son prédécesseur qui avait recueilli 30 % des suffrages.

Dans le Grand Est, une région où le RN est très implanté, l’ancien journaliste de TV5 Monde et ex-cadre de Debout la France Laurent Jacobelli obtient 20 % des voix soit dix points derrière le président LR sortant Jean Rottner à 30,5 % des voix. Il dévisse de près de 15 points par rapport au score de Florian Philippot, qui était largement devant ses concurrents en 2015 avec 36,5 % des voix.

Andréa Kotarac, candidat en Auvergne-Rhône-Alpes, ne recueille que 12 % des voix face à un Laurent Wauquiez, 42,7 % des voix, qui a siphonné son électorat par une campagne ultra-droitière.

« Nos électeurs ne se sont pas déplacés. » Lors d’une très courte allocution, Marine Le Pen, avec la mine des mauvais jours a appelé ses électeurs « au sursaut ». « L’abstention donne une vision trompeuse des forces politiques en présence », a expliqué la présidente du RN. « Après avoir subi des mois de restriction de vos libertés, je vous appelle à déconfiner vos idées et à redresser le résultat de ce premier tour », a-t-elle exhorté ses troupes.

« Un jeune sur deux n’était pas au courant qu’il y avait une élection », a pour sa part souligné Jordan Bardella, qui fait aussi un peu moins bien en Île-de-France que le candidat du FN en 2015 – Wallerand de Saint Just avait alors obtenu 18 % des voix. « Le parti au pouvoir enregistre un des pires résultats d’un parti au pouvoir », s’est aussi consolé sur France 2 le vice-président du RN.

Ces dernières semaines, inquiets par la démobilisation de leur électorat, Marine Le Pen et son entourage n’avait cessé de marteler que l’exécutif avait « fait le choix de l’abstention dans cette élection » et n’avait que très peu communiqué, à dessein selon eux, sur la tenue du scrutin.

Pour l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite, ces résultats s’expliquent en partie par le très faible ancrage local du parti. « Le RN n’a des élus que dans 0,8 % des communes. Et depuis 2015, il a perdu 28 % de ses conseillers régionaux, partis en cours de mandat. Or dans une élection locale, ce qui compte ce sont les relais locaux », souligne-t-il.

« Lorsqu’il y a une forte abstention on sait que ceux qui continuent à se déplacer sont les plus de 65 ans et les catégories les plus aisées, c’est-à-dire pas ceux qui votent traditionnellement pour le RN. C’est pourtant vers eux que Marine Le Pen a tourné toute sa campagne ces derniers mois. Et c’est manifestement un échec », précise-t-il encore.

Marine Le Pen, en réorientant en partie son programme économique, avait, en effet, lancé des perches à l’électorat de François Fillon qu’elle estimait en déshérence.

Elle avait aussi fait le choix de placer dans les régions clés des candidats issus de la droite, sans grand succès apparemment.

Difficile pour Nicolas Lebourg, cependant, de tirer trop d’enseignements, pour l’an prochain et l’élection présidentielle, d’un tel scrutin compte tenu du très faible nombre de votants.

« Le RN reste un bon parti pour les élections présidentielles ou les élections européennes à un tour, rappelle-t-il. Pour autant, le décalage entre les scores annoncés par les instituts de sondage ces derniers jours et les résultats obtenus ce dimanche soir pose la question d’une éventuelle bulle spéculative autour du RN. On sait que pendant très longtemps le FN a été sous-estimé, aujourd’hui il est peut-être surestimé. »

Lucie Delaporte, 21 juin 2021

Affaiblie, la gauche ne désespère pas tout à fait

Pas de « vague verte », mais quelques percées pour les écolos. Un PS qui se maintient à la baisse. Des Insoumis effacés par le scrutin, mais qui font un score honorable avec les communistes en Île-de-France.

Quelle interprétation donner à une élection où deux tiers des inscrits ont boudé les urnes ? Quoique difficilement lisibles du fait d’une abstention jamais vue, le premier tour du scrutin régional donne lieu à des enseignements paradoxaux à gauche. Témoignant de sa faiblesse structurelle face à une droite forte et bien implantée, il a aussi montré que, dans certaines régions, un chemin vers la victoire n’est pas impossible, si les différentes formations s’allient dans la cohérence au second tour.

Dimanche soir, les différentes formations tendaient néanmoins à s’autoproclamer plus victorieuses que leur voisine. Le PS se maintient dans les cinq régions qui lui restent et devrait conserver ses bastions dimanche prochain. Il est ainsi loin devant en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine (où Alain Rousset brigue un cinquième mandat), et dans une moindre mesure en Bretagne, en Centre-Val de Loire ou en Bourgogne-Franche-Comté (même si la présidente sortante y est talonnée par le Rassemblement national).

« Les gens se sont raccrochés à ce qu’ils connaissaient, la gauche résiste », s’est félicité Stéphane Le Foll, maire PS du Mans. Si à un an de la présidentielle, et alors que la gauche reste en mal de leadership, cette élection régionale revêtait une dimension nationale, certains, comme le maire d’Alfortville (Val-de-Marne) Luc Carvounas, ont eu tôt fait de déduire qu’en tant que « première force politique à gauche », le PS aura « une responsabilité pour rassembler le bloc social écologiste pour 2022 ».

Voilà pour le verre à moitié plein. Pour le reste, sur la totalité du pays, le PS voit son score national régresser d’au moins 7 points par rapport à 2015 (passant de 23,5 % au premier tour il y a six ans à 15,8 % aujourd’hui) , et n’arrive en tête à gauche que dans les régions où le parti est sortant.

Autre déconvenue : dans la très symbolique région Île-de-France, la liste d’Audrey Pulvar, soutenue par Anne Hidalgo, putative candidate socialiste à la présidentielle, rassemble autour de 11 % de suffrages. Elle arrive de peu devant sa concurrente de La France insoumise (LFI), Clémentine Autain, mais derrière Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), premier du trio à près de 14 %.

La région sera observée à la loupe la semaine prochaine : « En Île-de-France, le rassemblement de la gauche [PS, LFI et le PCF– ndlr] se fera sans difficulté autour de Julien Bayou au second tour, indiquait, dimanche soir, à Mediapart, Alain Coulombel, porte-parole des Verts. Valérie Pécresse est à 34 % et nous aussi : avec une belle liste d’union, c’est jouable, s’il y a une triangulaire », ajoutait-il, sans toutefois rappeler qu’en 2015, le « total gauche » était de près de 6 points supérieur à celui de 2021. « Maintenant, il nous revient de créer la surprise d’ici dimanche », a déclaré, Julien Bayou, qui, contrairement à la campagne du premier tour, peut espérer lancer une dynamique sur cette hypothèse de victoire.

Mais là encore, le détail des résultats doit inviter à une interprétation nuancée. Si le scrutin francilien peut procurer quelques satisfactions aux écologistes, il ne doit pas pour autant masquer un score globalement décevant. Loin de la « vague verte » des municipales – qu’il fallait déjà relativiser –, les Verts, qui avaient fait des régionales une étape décisive dans leur opération de conquête du pouvoir et de l’hégémonie à gauche, ne font que renouer avec leur score de 2010, totalisant autour de 13 % des voix au niveau national.

Il y a quelques mois encore, Yannick Jadot ou Éric Piolle, deux des « présidentiables » du parti, affirmaient pouvoir emporter trois, voire quatre régions. Désormais, seul Matthieu Orphelin, ex-député LREM, passé auparavant par EELV, et parti aujourd’hui à la tête d’une alliance insolite avec LFI, semble en position de force les Pays de la Loire où il devance le candidat socialiste.

Un processus de « remplacement » de la social-démocratie par l’écologie là où le PS n’est pas sortant, observé aux municipales l’an dernier, qui se confirme dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes où Fabienne Grebert devance la socialiste Najat Vallaud-Belkacem. « Vu l’abstention, on peut difficilement tirer un enseignement national de ce scrutin. La seule chose qu’on peut dire, c’est que si on part séparés, on sera trop faibles pour atteindre le second tour de la présidentielle », avance Alain Coulombel.

L’union, martingale de la victoire ? Peut-être, mais pas dans toutes les situations, comme en témoigne le résultat dans les Hauts-de-France. La seule liste unitaire de gauche de l’Hexagone au premier tour, qui rassemble, derrière l’écologiste Karima Delli, huit formations (de LFI au PS, en passant par le PCF et Génération·s), faisait figure d’exemple à suivre. Elle n’a totalisé que 18 % des voix. Soit dix points de moins que le total gauche en 2015, et le même score du seul candidat du PS de l’époque, Pierre de Saintignon.

Parasitée par les élections départementales, qui ont eu lieu le même jour, où les gauches s’affrontent sur des dizaines de cantons, la campagne dans le Nord n’est pas à la hauteur des espérances, même si la gauche retrouvera des sièges dans l’hémicycle régional qu’elle avait quitté, six ans durant, après s’être retirée en 2015 pour faire barrage au Front national. « Mais il n’y a plus de risque RN, donc on entre dans une autre campagne », souligne-t-on dans l’entourage de la candidate.

En revanche, en Paca, le risque RN est toujours là, ce qui n’a pas manqué de susciter des tensions. Comme un autre signal que l’union n’est pas une mince affaire, les bisbilles sont apparues publiquement entre Verts et socialistes dès dimanche soir - quand on aurait pu espérer des médiations privées préalables. En cause, le maintien ou non de la liste de Jean-Laurent Félizia, le candidat EELV d’union de la gauche (hors LFI), crédité de 15 % des voix face à la droite et à l’extrême droite en Paca. Dans la nuit de dimanche à lundi, la direction des Verts a annoncé qu’elle retirerait le logo au tournesol à Jean-Laurent Félizia s’il maintenait sa candidature au second tour.

Enfin, alors que La France insoumise ambitionnait, elle aussi, « remplacer » la « vieille gauche » lors de sa campagne présidentielle de 2017, elle ne tire aucun profit de l’affaiblissement général de la gauche. Au contraire. En Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, où le mouvement de Jean-Luc Mélenchon présentait des candidats « autonomes » (souvent en alliance avec le NPA), aucune des têtes de liste ne se qualifie au second tour, toutes réalisant des scores aux alentours de 5 %. Seule Clémentine Autain sort honorablement de sa campagne en région parisienne, l’une des places fortes du mouvement – près de la moitié des députés du groupe parlementaire sont issus de Seine-Saint-Denis (93). Alliée aux communistes, elle recueille un peu plus de 10 % des suffrages, soit presque 4 points de plus que le Front de gauche en 2015.

Dimanche, à 20 h 05, Jean-Luc Mélenchon est apparu en direct de son QG de campagne dans le Xe arrondissement parisien, pour un discours sombre et bref. Insistant sur cette nouvelle « grève des urnes » et le « désastre démocratique » révélé par l’abstention, il a regretté, en filigrane, les divisions de la gauche – et parfois le refus des autres partis de faire coalition avec LFI, comme en Paca –, et l’absence d’accord national entre les partis. Il a aussi appelé à ne « pas donner de région » au Rassemblement national.

Pauline Graulle, 21 juin 2021

• Mediapart, 21 juin 2021 :


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