La société française se droitise t elle ? (débat lors de l’Université socialiste de La Rochelle)

jeudi 6 septembre 2007.
 

Isabelle THOMAS donne d’emblée la parole à Eric DUPIN, grand témoin de cette table ronde et auteur d’un livre de référence sur ce sujet.

Eric DUPIN constate qu’aujourd’hui le thème de la droitisation de la société représente une forme de « tarte à la crème ». Il rappelle que le Parti communiste, confronté au cours des années 80 à son déclin, avait été le premier à invoquer la droitisation de la société française pour expliquer ses difficultés.

Pour Eric DUPIN, il existe des facteurs lourds de droitisation. En premier lieu, l’hyper individualisme apparaît comme la source majeure de cette évolution. Le citoyen a tendance à croire qu’il est une sorte d’atome libre dans une société émiettée. Cette référence au choix individuel s’accompagne d’une crise d’un certain nombre d’identités collectives.

Par ailleurs, l’extension du domaine marchand joue également son rôle, à travers une montée du consumérisme. L’orateur évoque également le phénomène de vieillissement de notre société qui se traduit par la montée des peurs, des précarités, elles-mêmes exploitées par certains responsables politiques de droite. Derniers facteurs de droitisation de la société : la mise en concurrence généralisée des hommes et des territoires et ce qu’il faut bien considérer comme une forme de dégénérescence du débat politique ; Eric DUPIN considère que la dépolitisation qui en résulte, favorise largement et objectivement la droite.

Face à cette tendance lourde, il convient d’éviter deux pièges : nier la droitisation à l’œuvre, se plier à celle-ci. Il serait inutile d’estimer que la France est globalement à gauche. Il y a un vrai divorce entre la réalité de l’angoisse sociale et la nature du vote d’une part importante des couches populaires. Mais, par ailleurs, on risque de se plier trop systématiquement à la logique de droitisation en cours en acceptant des thématiques de l’ordre, du discours moralisateur, en intériorisant le cadre mental de l’adversaire.

Au-delà des deux pièges à éviter, il s’agit surtout de se poser la question de la meilleure méthode pour combattre cette droitisation. Ce défi paraît d’autant plus délicat à surmonter que toutes les sociales démocraties européennes connaissent une crise et que les couches populaires et ouvrières subissent également cette droitisation. En fait, la France se situe plutôt à droite comme en atteste le résultat de l’élection présidentielle, mais cette tendance n’est pas univoque. Des résistances existent : elles sont apparues à l’occasion des victoires électorales de 2004, aux régionales, aux cantonales et aux Européennes, à l’occasion du mouvement anti CPE, lors du débat sur le Traité institutionnel européen.

En fait, pour Eric DUPIN, il faut que la politique se détermine en fonction du débat d’idées et non exclusivement à la faveur de combats électoraux, locaux et immédiats. La gauche doit reprendre la bataille des idées et même la bataille philosophique, privilégier une approche collective, rénover son discours sur le marché, cesser de céder aux facilités de la communication. La bataille sur la représentation d’idées est fondamentale. L’idée, que l’égalité et la justice sociale sont des valeurs clefs, doit être reprise et réhabilitée.

Adeline HAZAN estime à son tour que le thème de la droitisation de la société ne doit pas servir d’alibi à nos échecs électoraux successifs. Nous devons croire à nos valeurs et cesser d’intérioriser nos doutes, quand ce ne sont pas les positions de l’adversaire. La meilleure manière d’y parvenir consiste non seulement à affirmer de manière convaincante nos positions mais surtout à trancher des questions que nous laissons en jachère depuis une demi-douzaine d’années. La clef de notre réussite passe par la structuration d’un discours de gauche face à l’hyper individualisme.

Gérard FILOCHE énonce un certain nombre de constats pour nuancer la notion de droitisation de la société. Il rappelle tout d’abord que le salariat aujourd’hui représente 92 % de la population active. En 1968, le salariat dépassait à peine les 2/3 de la population active. En 1981, lors de la victoire de François Mitterrand, ce même salariat se situait sous la barre des 80 %. Dans le même temps, les jeunes en formation sont, pour l’immense majorité d’entre eux, de futurs salariés. Quant aux retraités, ils perçoivent une pension qui est le produit des cotisations versées par les salariés actifs. Au final, le salarié domine la société, mais ne le sait pas. Dans le même temps, l’éventail des salaires s’est profondément resserré depuis 40 ans. Le salaire moyen d’un cadre en 1968 était six fois supérieur au salaire moyen d’un ouvrier. Aujourd’hui, le salaire moyen d’un cadre n’est que 2,3 fois supérieur à celui de la moyenne des ouvriers. En outre, le mélange cols blancs/cols bleus s’est réalisé et le CDI représente une large majorité du salarié. Bref, toutes les conditions sont réunies pour contrebalancer une droitisation de la société. D’ailleurs, la mobilisation sociale victorieuse, intervenue au printemps 2006 contre le CPE, les résultats des élections aux régionales et aux cantonales, en réaction au passage en force du gouvernement Raffarin concernant les retraites, ont montré que des résistances et des refus étaient possibles. Il nous incombe donc, en tant que Parti Socialiste, d’affirmer un mouvement et une unité politique au service du salariat qui représente 92 % des forces vives de ce pays.

Isabelle THOMAS estime tout d’abord, à l’instar de Gramsci, que la bataille idéologique précède plus que jamais la bataille politique. Cette bataille idéologique nécessite de notre part un effort de déconstruction de l’idéologie dominante et un effort d’explication en direction du pays. Il faut être capable de dire que les « charges » payées par les entreprises sont en fait des cotisations permettant de financer et d’irriguer la protection sociale, que l’autonomie pour les universités se traduira par une aggravation des inégalités, que la réforme fiscale de cet été se traduira par moins de politiques publiques et davantage de privilèges pour une poignée de possédants.

Au-delà de la bataille idéologique, il faut également recourir à la mobilisation sociale, à la mise en place d’une organisation politique capable de structurer une expression publique, des idées, une volonté.

Isabelle THOMAS estime que le peuple français a conservé une appétence idéologique parce qu’il souhaite que la politique pèse sur son destin collectif. Les élections cantonales, régionales et européennes de 2004, ainsi que la résistance victorieuse au CPE de 2006 l’ont confirmé. À charge pour la gauche de sortir des ambiguïtés et des faux-semblants sur la valeur travail, le discours sur l’assistanat ou l’ordre juste. La gauche se doit de rester elle-même et de ne pas céder aux tentations et aux facilités de la triangulation.

Plusieurs intervenants estiment que la dépolitisation à l’oeuvre est un facteur, notamment au niveau national et européen, de droitisation. Ils estiment également que cette droitisation touche non seulement le domaine politique, mais aussi intellectuel, culturel, philosophique.

D’autres participants, au contraire, pensent qu’il n’y a ni droitisation, ni gauchisation de la société mais une certaine incapacité des forces de gauche et notamment du Parti socialiste a parler aux Français et à répliquer aux discours et aux provocations de Nicolas Sarkozy.

Certains vont même jusqu’à parler de droitisation du Parti Socialiste.

Adeline HAZAN tient à exprimer sa fierté vis-à-vis du bilan de l’action de la gauche de 1997 à 2002. Elle redoute que collectivement nous n’ayons pas suffisamment défendu les mesures et les acquis de cette période. Elle cite, à l’appui de son raisonnement, notre incapacité à défendre sérieusement les 35 heures hebdomadaires de travail. Elle regrette également notre frilosité sur certains sujets de société, comme la sécurité, l’immigration ou l’évolution de la Justice.

Eric DUPIN considère que la droitisation en cours résulte d’une évolution en profondeur du rapport de force idéologique. Il remarque par exemple que Nicolas Sarkozy est aujourd’hui capable en tant que Président de la République d’assumer son amitié et même sa complicité à l’égard de milliardaires. En fait, le Chef de l’Etat affiche une cohérence néo-libérale en harmonie avec l’évolution dominante de la société, fondée sur l’individualisation, le consumérisme, le repli sur soi. Les références aux grands penseurs ou aux grands leaders de gauche ne constituent qu’un habillage et un hommage artificiel à la culture historique française. Il appartient donc à la gauche de dépasser au plus vite un rapport de forces difficile en engageant un travail idéologique de fond dès maintenant.

Isabelle THOMAS revient sur les formidables éléments de résistance que nous avons constaté ces cinq dernières années, en particulier sur le terrain social. Elle pense que ce sont là de vrais points d’appui pour l’avenir.

Gérard FILOCHE estime à son tour que nous devons travailler la société idéologiquement. Ainsi, il ne faut pas accepter de parler de coût de travail mais de la richesse que constitue le travail. C’est le taux de profit qui constitue un coût pour l’entreprise et l’économie et non le salarié, qui crée des richesses, innove, pense.

Dans le même ordre d’idées, il faut casser le slogan « travailler plus pour gagner plus » en rappelant ce qu’un étudiant en 1ère année de capacité en droit sait parfaitement : c’est l’employeur et non le salarié qui détermine la durée du travail dans le cadre d’un lien de subordination.

Certains participants déplorent la droitisation de la société française dans le domaine de la Justice. Ils regrettent parallèlement la faiblesse, voire l’absence de réaction de notre parti sur ces questions.

Ovation, « ban » rappel

D’autres intervenants stigmatisent la relative impuissance du Parti Socialiste à se démarquer politiquement de Nicolas Sarkozy et de ses démarches provocatrices. Ils s’interrogent sur la réalité de la différence pratique entre la gauche et la droite, dans ces conditions.

Gérard FILOCHE rappelle que la contradiction droite/gauche est co-substantielle au débat et à la démocratie politique. Aujourd’hui, l’intérêt des actionnaires est plus que jamais contraire à celui des salariés qui représentent plus de 90 % de la population active. Aujourd’hui, 5 % de privilégiés concentrent plus de 50 % du patrimoine. Aujourd’hui, la patronne du MEDEF entend banaliser la précarité du travail, du contrat de travail, des conditions de travail. C’est pour combattre toutes ces évolutions, toutes ces situations, toutes ces injustices que le clivage droite/gauche doit être affirmé, assumé et revendiqué par les femmes et les hommes de progrès.

Applaudissements massifs


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