La Chine, un pays communiste ?

samedi 17 juillet 2021.
 

Un capitalisme contrôle d’État – nation.

Il n’y a guère que Le Monde diplomatique capable de donner un regard relativement objectif sur la politique chinoise qui ne sombre pas dans la doxa anti chinoise atlantiste donneuse de leçons de « Droits de l’Homme ».

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Que reste-t-il du communisme en Chine ?

Source : Le Monde diplomatique. Juillet 2021

https://www.monde-diplomatique.fr/2...

Hier honnis, les capitalistes sont accueillis à bras ouverts au sein du Parti communiste chinois. À condition qu’ils respectent certaines conditions, et qu’ils fassent allégeance à une organisation qui, désormais, compte plus de cadres que d’ouvriers.

par Jérôme Doyon

Alors qu’il fête ses 100 ans, le Parti communiste chinois (PCC) est-il devenu capitaliste ? Quarante ans après les réformes de libéralisation économique lancées par Deng Xiaoping, plus de 800 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, et l’État-parti est désormais à la tête de la deuxième économie mondiale — ou même la première si l’on calcule en parité de pouvoir d’achat —, avec 18 % du produit intérieur brut (PIB) global. L’introduction de l’économie de marché et l’accélération de la croissance sont allées de pair avec une augmentation exponentielle des inégalités : le coefficient de Gini, qui en mesure l’ampleur, a grimpé de quinze points entre 1990 et 2015 (dernier chiffre connu) (1).

Ces transformations ont favorisé l’essor du secteur privé, mais l’État maintient un contrôle direct sur une grande partie de l’économie — le secteur public en représente autour de 30 % —, faisant de la Chine un cas d’école du capitalisme d’État. Par ailleurs, le PCC a réussi à coopter largement les élites issues de cette économie libéralisée. Bien que l’idéologie communiste ne structure plus son recrutement, sa forme organisationnelle léniniste reste au centre de la relation entre l’État et le capital.

Le Parti, dont les rangs ne cessent de s’étoffer, au point d’atteindre quelque 92 millions de membres (soit 6,6 % de la population) (2), s’est progressivement transformé en une formation de « cols blancs ». Au début des années 2000, le président d’alors, M. Jiang Zemin, avait levé l’interdiction de recruter des entrepreneurs du secteur privé, vus jusque-là comme des ennemis de classe, afin que le PCC ne représente plus uniquement les classes « révolutionnaires » — ouvriers, paysans et militaires —, mais aussi les « forces productrices avancées » du pays.

Les hommes et les femmes d’affaires ainsi sélectionnés deviennent membres de l’élite politique, ce qui leur garantit que leurs entreprises soient, au moins partiellement, protégées de cadres aux tendances prédatrices. Leur enrôlement s’accélère sous la présidence de M. Xi Jinping (à partir de 2013), avec pour objectif de former « un groupe d’individus appartenant au monde des affaires et déterminés à marcher avec le parti (3) ».

Résultat : le PCC est rapidement devenu de plus en plus élitiste. En 2010, déjà, les « professionnels et manageurs diplômés du supérieur » y égalaient en nombre les paysans et les ouvriers. Dix ans plus tard, ils les dépassent, formant 50 % des adhérents, pour moins de 35 % d’ouvriers et de paysans (4).

Alors qu’« œuvrer pour le communisme » figurait parmi les principales raisons de rejoindre le parti durant l’ère maoïste (1949-1976), les motivations actuelles sont plus pragmatiques : il s’agit en premier lieu de faciliter son avancement professionnel (5). On voit, à travers les formations internes proposées, que le Parti lui-même se présente comme une structure managériale inspirée du néolibéralisme, visant une gestion efficace de la population et de l’économie (6).

Toutefois, l’importance minimale donnée à l’idéologie communiste ne remet pas en question le niveau d’allégeance demandé aux membres, qui doivent faire preuve d’« esprit de parti (7) ». Proche de l’esprit d’entreprise, tourné vers la réussite de l’organisation elle-même par la création d’un sentiment d’appartenance, ce dernier est aussi teinté de nationalisme (lire l’article ci-dessus). La centralité du parti dans la transformation contemporaine de la Chine est ainsi régulièrement rappelée aux adhérents, que ce soit lors de formations ou à travers l’essor du « tourisme rouge », sur les traces de son histoire révolutionnaire.

Sous l’actuel président, la discipline interne a également été renforcée. Il s’agit de garantir, à travers une campagne anticorruption massive, la moralité et la loyauté des dirigeants comme des membres. Non seulement les potentiels opposants au pouvoir personnel de M. Xi ont été écartés, mais le contrôle sur les cadres s’est accru, ainsi que la lutte contre les « quatre (mauvais) styles professionnels » : le formalisme, le bureaucratisme, l’hédonisme et l’extravagance (8).

Allégeance au chef

Cette injonction à la loyauté et à une éthique professionnelle en phase avec l’image que le PCC souhaite renvoyer au grand public vaut pour tous ses membres, y compris ceux issus du secteur privé. Selon les directives, ceux-ci se doivent de rester fidèles à la ligne politique, mais aussi de « réguler leurs paroles et leurs actes », de « cultiver un mode de vie sain » et de rester « modestes et discrets » (9). Ceux qui ne jouent pas le jeu peuvent en subir les conséquences. Le charismatique Jack Ma, fondateur du groupe Alibaba, en est un parfait exemple. Après avoir ouvertement critiqué la mainmise de l’État sur le secteur bancaire, il est devenu la cible d’une attaque orchestrée par les instances de l’État-parti. L’introduction en Bourse de sa filiale financière, Ant Group, a été stoppée à la fin 2020, et le groupe a été sommé de limiter ses opérations (10).

Cette affaire reflète la volonté du PCC de maintenir les entrepreneurs sous pression pour s’assurer de leur fidélité, mais aussi pour garder un certain degré de contrôle sur les ressources financières et technologies de leurs sociétés. Ant Group détient de précieuses données personnelles et financières sur les centaines de millions de personnes qui ont recours à ses outils de paiement et à ses emprunts en ligne ; l’équivalent de milliards de dollars circulent quotidiennement sur ses plates-formes.

Le contrôle accru sur le secteur privé est en phase avec les tendances hégémoniques du PCC, caractéristiques de l’ère Xi. La charte du parti a d’ailleurs été modifiée en 2017 pour souligner que « dans le gouvernement, l’armée, la société ou à l’école — à l’est, à l’ouest, au sud et au nord —, le parti dirige sur tous les fronts (11) ». Dans les entreprises, cela se traduit par une augmentation du nombre des organisations de base, les cellules. Si, dès mars 2012, le département de l’organisation, qui a pour mission de gérer ses ressources humaines, avait publié une directive appelant à « couvrir de manière exhaustive » le privé, depuis 2018 les sociétés cotées sur le marché chinois ont pour obligation d’ouvrir une cellule du parti. Désormais, 92 % des cinq cents plus grandes entreprises chinoises en hébergent une (12). Bien qu’aucun chiffre précis n’ait été rendu public, des fuites régulières ont révélé la présence très importante d’adhérents et de cellules au sein des entreprises étrangères implantées en Chine (13).

Cette présence fournit à l’État-parti un levier d’influence au-delà des larges pans de l’économie qu’il possède. L’appareil disciplinaire du PCC, incarné par la Commission de discipline et d’inspection, permet de punir les adhérents qui auraient manqué à son règlement, en marge du système judiciaire. Il a vu ses pouvoirs s’accroître avec la campagne anticorruption. Les sessions de critique et d’autocritique, appelées « réunions de vie démocratique », ont été remises au goût du jour, permettant de débusquer les cadres « corrompus » ou « déloyaux ». Des pratiques maoïstes traditionnelles sont ainsi recyclées, pour s’assurer non plus de la pureté idéologique des cadres et des adhérents, mais de leur allégeance à l’organisation et à son chef.

Des structures de surveillance

Jusqu’à maintenant, ces cellules ne jouaient qu’un rôle très secondaire au sein des entreprises : elles recrutaient des membres et organisaient pour eux des formations ou des activités sociales et culturelles. Désormais, dans le but de développer un « système d’entreprises modernes aux caractéristiques chinoises », des directives demandent aux sociétés privées d’« adhérer au principe selon lequel le parti possède un pouvoir de décision en matière de ressources humaines ». Il est trop tôt pour savoir quelle forme cela prendra, mais, pour M. Ye Qing, vice-président de la Fédération chinoise de l’industrie et du commerce, dirigée par le PCC, il est clair que cela implique de soumettre la gestion du personnel à l’autorité du parti (14).

Il faudrait l’accord préalable des cellules pour recruter ou pour licencier, afin d’éviter « que les manageurs promeuvent qui ils veulent », précise M. Ye. Il recommande également de mettre en place au sein des sociétés une structure de surveillance et d’audit, sous l’autorité du Parti, afin de garantir le respect de la loi par l’entreprise, mais aussi de gérer les manquements à la discipline et les « comportements anormaux » des employés. L’appareil disciplinaire s’étendrait alors à tous, même aux non-communistes.

Selon ces nouvelles directives, le rôle de pilotage des cellules doit être officiellement intégré aux statuts des entreprises, et un budget spécifique réservé à leurs activités. Cela revient à codifier juridiquement les exigences du PCC pour qu’elles deviennent contraignantes, et ce même pour les sociétés qui ne sont pas sous son contrôle direct. Le fonctionnement du secteur privé ressemblerait alors de plus en plus à celui des entreprises d’État.

Concentré sur sa propre survie, et caractérisé par un grand pragmatisme, voire par un vide idéologique, le PCC intègre donc dans ses rangs un nombre croissant de capitalistes, tout en devenant de plus en plus présent dans les entreprises. Cette alliance asymétrique se retrouve en dehors des frontières nationales : le projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) accélère l’internationalisation des sociétés chinoises, privées comme publiques, qui créent des cellules du parti à l’étranger pour encadrer leurs employés. S’il a renoncé à l’internationalisme maoïste, le PCC exporte désormais son mode d’organisation et ses outils disciplinaires. * Jérôme Doyon

Maître de conférences (lecturer) à l’Oxford School of Global and Area Studies, auteur de Négocier la place de l’islam chinois. Les associations islamiques à Nankin à l’ère des réformes, L’Harmattan, Paris, 2014.

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Notes

(1) Sonali Jain-Chandra, Niny Khor, Rui Mano, Johanna Schauer, Philippe Wingender et Juzhong Zhuang, « Inequality in China — Trends, drivers and policy remedies », Fonds monétaire international, Washington, DC, 5 juin 2018.

(2) Nis Grünberg, « Who is the CCP ? China’s Communist Party in infographics », Mercator Institute for China Studies (Merics), Berlin, 16 mars 2021.

(3) « Opinion sur le renforcement du travail du Front uni au sein de l’économie privée de la nouvelle ère », Bureau du PCC, Pékin, 15 septembre 2020 (en mandarin).

(4) Nis Grünberg, « Who is the CCP ? », op. cit.

(5) Bruce Dickson, « Who wants to be a communist ? Career incentives and mobilized loyalty in China », The China Quarterly, vol. 217, Cambridge, mars 2014.

(6) Lire Alessia Lo Porto-Lefébure, « Formation à l’américaine pour dirigeants chinois », Le Monde diplomatique, janvier 2021.

(7) Frank N. Pieke, « Party spirit : Producing a communist civil religion in contemporary China party spirit », Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 24, n° 4, Londres, décembre 2018.

(8) Cf. « The end of the road for Xi’s mass line campaign : an assessment », China Brief, vol. 14, n° 20, Washington, DC, octobre 2014.

(9) « Opinion sur le renforcement du travail du Front uni… », op.cit.

(10) Lire Jordan Pouille, « Alibaba, épopée chinoise », Le Monde diplomatique, mars 2021.

(11) Jude Blanchette, « Against atrophy : Party organisations in private firms », Made in China Journal, vol. 4, n° 1, Acton (Australie), janvier-mars 2019.

(12) Neil Thomas, « Party committees in the private sector : Rising presence, moderate prevalence », MacroPolo, 16 décembre 2020, https://macropolo.org

(13) « Party insiders in the ranks : Communists infiltrate Western consulates », The Australian, Sydney, 15 décembre 2020.

(14) Ye Qing, « Promouvoir la fusion du système de direction du parti et du système de gestion des entreprises privées », China Business Times, Pékin, 17 septembre 2020 (en mandarin).

** Nos précédents articles • « Xi Jinping, le président chinois le plus puissant depuis Mao Zedong », par Émilie Frenkiel (octobre 2015).

• « Fils de princes, affaires et corruption », par Patrick Boehler (septembre 2012).

• « Le monde secret du Parti communiste », par Martine Bulard (septembre 2012).

• « La longue marche de Mao Zedong vers le pouvoir », par Alain Roux (L’Atlas histoire, 2010).

• « En Chine, un État autoritaire mais faible », par Roland Lew (octobre 1999).

voir aussi De Mao Zedong à Xi Jinping, un parti pour le renouveau national Jean-Louis Rocca **

Annexe

Le parti communiste chinois. Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti...

Presse francophone chinoise : Xinhuan http://french.xinhuanet.com/

médias chinois en France http://www.amb-chine.fr/fra/zgzfg/zfmt/

** HD


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