Communs, Commune, se fédérer, autogestion, révolution

samedi 7 août 2021.
 

Auteur : Ludivine Bantigny, Maryse Dumas, Pierre Zarka et Christian Mahieux |

D’hier à demain, quel fil rouge autour de la Commune ? C’est ce à quoi répondent, partiellement sans doute, deux femmes et deux hommes investi·es dans le mouvement ouvrier d’aujourd’hui (et de la fin du siècle passé pour trois d’entre eux et elles). Quatre camarades qui ont déjà contribué aux Cahiers Les utopiques.

On célèbre les 150 ans de la Commune. La transmission de notre histoire collective est essentielle. Mais, en l’occurrence, qu’est-ce qui vous parait le plus important à retenir de ce moment ?

Ludivine Bantigny : D’abord cette transmission est essentielle pour que ces femmes et ces hommes ne soient pas morts en vain. La Commune savait que l’adversité serait maximale, sans pourtant imaginer que Thiers et la bourgeoisie lui mèneraient une guerre sans merci, dès le début d’avril, puis oseraient l’exterminer. Mais ce qu’elle savait aussi car les protagonistes avaient une très grande conscience historique, c’est qu’elle travaillait pour l’avenir. Transmettre non seulement les idéaux et les espoirs mais encore les projets et les pratiques concrètes de la Commune, c’est tout simplement rendre vivantes des alternatives possibles et tangibles : la démocratie vraie, la justice et la dignité, l’aspiration à l’égalité, des conditions de travail émancipées qui brisent avec la dictature du capital, la solidarité et la fraternité – nous ajouterions d’un mot qui n’existait pas alors mais qui aurait pu tant les femmes ont été présentes et agissantes : la sororité.

Pierre Zarka : A mes yeux, deux dimensions sont essentielles. Incontestablement oser la Révolution c’est-à-dire passer de rêves et d’aspirations individuelles à leur réalisation collective par la politique. Cette question taraude aujourd’hui des millions de personnes. Si la Commune n’a pas inauguré la Révolution, elle fait écho à notre contexte : ce n’est plus la Révolution contre la monarchie et l’aristocratie, c’est déjà le peuple qui veut s’affronte au capitalisme et veut inventer autre chose. Oser la quête d’une autre organisation de la société me paraît fondamental. Et cela me conduit à la seconde dimension : le peuple. Le peuple qui se définit par lui-même ; qui se compose comme force de pouvoir. La manière dont le peuple a osé bousculer les Républicains qui voulaient se contenter d’en finir avec Napoléon III et même bousculer une partie des organes de la Commune qui pensaient pouvoir parler au nom du prolétariat. Cet « oser bousculer » me paraît être une question d’actualité, pour ne pas dire LA question-clé de notre actualité.

Maryse Dumas : Le plus important ? Se rappeler que « chaque nuit recèle un matin », selon la belle formule de Louise Michel. La Commune c’est un message d’espoir pour tout mouvement populaire, de n’importe quelle époque, de n’importe quel pays. Les conditions dans lesquelles elle s’est soulevée et déployée sont uniques, mais sa portée elle, est universelle. Les révolutionnaires de tous les pays s’en sont inspirés tandis que les pouvoirs successifs après l’avoir réprimée dans le sang ont tout fait pour la faire oublier ou la dénaturer. La Commune démontre que rien n’est fatal, un peuple qui se soulève peut balayer le pire des pouvoirs dès lors qu’il parvient à s’unir et à faire de ses différences une force. Elle démontre aussi l’importance décisive, une fois aux commandes, de mettre en œuvre ce pourquoi le peuple s’est soulevé. Définitivement, la Commune démontre qu’il ne suffit pas d’avoir gagné la République, il faut encore que celle-ci soit démocratique et sociale. C’est un message de grande actualité !

Ludivine : La Commune va bien au-delà des quelques mesures que l’on cite en général et qui sont déjà énormes pour l’époque (sur le travail de nuit, la réquisition des ateliers abandonnés, la séparation de l’Église et de l’État, l’école laïque et gratuite, la reconnaissance des femmes non mariées et de leurs enfants…) Elle soulève des enjeux essentiels sur ce que pourrait être une « République sociale universelle ».

Christian Mahieux : Que retenir de ce moment ? La réponse n’est pas simple, parce que le moment n’est pas unique, il est multiple. A Paris, mais pas seulement ; durant les 72 jours du printemps 1871, mais aussi l’année précédente ; au comité central de la Garde nationale et dans les écoles ; au travail et sur les barricades ; internationaliste, tout en reposant initialement sur la défense nationale contre les Prussiens, etc. Mais s’il faut citer une chose : avec la Commune, le prolétariat fait la révolution, par lui-même, pour lui-même. C’est la grande différence avec 1789 qui porta (durablement !) la bourgeoisie au pouvoir. J’utilise volontairement le mot prolétariat : artisan·es et ouvrier´es qualifié·es du 19ème ne sont pas les ouvriers spécialisés et employés du 20ème, ni les télétravailleurs, télétravailleuses ou faux auto-entrepreneur·es du 21ème. Mais tous et toutes ne vivent, ou survivent, que par leur travail, pas par l’exploitation d’autrui (encore que l’exploitation domestique…). En 1871, la bourgeoisie est à Versailles, c’est de là qu’elle reconstituera « la République », après avoir massacré les communeuses et communeux. Leur république n’est pas la nôtre ! Sociale, égalitaire, internationaliste, féministe, laïque et antiraciste : c’est tout cela qu’ils massacrent en 1871 et qu’ils rejettent encore aujourd’hui. Mais l’histoire n’est pas finie.

En quoi la Commune de 1871 interpelle encore aujourd’hui « notre camp » ?

Maryse : Il y a quelques années, le musée d’Orsay a organisé une exposition des photos de la Commune. Les réactions entendues, dans le public, au cours de ma visite, me permettent de confirmer qu’aujourd’hui encore, il y a bien le camp de celles et ceux qui s’affirment solidaires des communard·es et les autres. Cette distinction en rejoint une autre : celle de la perception ou non de la division en classes de la société et de la nécessité de mettre un terme à l’exploitation capitaliste. En 1871, la classe ouvrière est montante, elle commence à s’organiser. Un peu partout des chambres syndicales sont en cours de constitution. Des Internationaux, ainsi appelés du fait de leur participation à l’AIT créée sous l’impulsion de Marx, sont très présents et actifs dans la Commune, ils portent des objectifs d’émancipation, d’égalité sociale, d’égalité entre femmes et hommes, et d’attention aux conditions de vie quotidienne de la population. Ils définissent un rapport essentiel entre luttes sociales et luttes politiques qui a longtemps imprégné le mouvement ouvrier et la gauche notamment en France mais qui s’est délité sous le feu notamment d’alternances sans alternatives, dans différents gouvernements.

Christian : Du côté de Marx et Engels, la Commune sera l’occasion de donner une « rédaction différente » à certains passages du Manifeste communiste de 1846. Ainsi, « la constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu’alors absorbées par l’Etat parasite » [Réédition du Manifeste en juin 1872]. Voilà qui rapproche considérablement des écrits, antérieurs à la Commune, de Bakounine. Pour autant, c’est cette même année qu’exclusions et scission de l’Internationale auront lieu !

Pierre : « Oser bousculer » est déjà une sacrée interpellation. Surtout dans un moment où ce qui caractérise tant de politiques, de syndicats, de mouvements, est qu’au nom du réalisme, on n’ose pas franchir -même mentalement- la frontière qui nous bouche toute vision du post-capitalisme. On ne retient de la Commune que le fait qu’elle a été écrasée dans le sang et peu ce qu’elle a produit. Marx disait d’elle que son grand acquis est « d’avoir démontré qu’il ne servait à rien au prolétariat de vouloir conquérir le pouvoir d’Etat pour le mettre à son service mais qu’il fallait inventer autre chose ». Voilà qui interpelle sacrément « notre camp ». Cherchons-nous les solutions dans le cadre établi par les pouvoirs institutionnels fondés sur la délégation de confiance et de pouvoirs ou commençons-nous à penser et agir en dehors de ce cadre ? Et cette mise en cause de la délégation de pouvoirs ne concerne-t-elle que l’Etat ou touche-telle à la conception de toute organisation aujourd’hui ? Je crois qu’ouvrir un tel chantier est à la fois urgent et une très grande remise en cause de notre culture.

Ludivine : La Commune soulève un grand nombre de questions stratégiques majeures. Et tout d’abord rien de moins que la prise de pouvoir. On connaît la position de Marx selon laquelle c’était sans doute trop tôt. Mais il faut aussi se rappeler celle d’Eugène Varlin qui, un an exactement avant la prise de l’Hôtel de Ville le 18 mars 1871, établissait le même diagnostic : il fallait encore accumuler des forces. Et finalement, après plusieurs tentatives manquées et réprimées (le 31 octobre 1870, le 22 janvier 1871), les femmes et les hommes de Paris, le peuple parisien, montent « à l’assaut du ciel » et montrent, non seulement avec leur assemblée communale mais encore avec les clubs populaires où l’on discute société, travail, quartiers, politique, que la chose politique justement appartient à tout un chacun et constitue un bien commun.

Pierre : Le mouvement ouvrier, tant la branche social-démocrate que léniniste ou syndicale (à quelque exception près) a confondu le fait que la Commune a été écrasée avec la notion d’échec. Dès lors, il ne fallait pas refaire comme elle. Terrible erreur : la Commune -on ne sait pas ce que l’Histoire aurait pu être- n’a pas échoué, elle a été écrasée. L’URSS n’a pas été écrasée elle a échoué. Ce n’est pas la même chose et je crains que nous payions encore aujourd’hui cette formidable confusion.

Christian : Les décisions et réalisations de la Commune nous interpellent : en 72 jours, dans un contexte de guerre, de siège de Paris, de faim et de misère, contre les tenants de la monarchie ou de l’Empire mais aussi contre la bourgeoisie « républicaine », l’œuvre est considérable ! Surtout, elle illustre la capacité de la classe ouvrière, de notre classe sociale, à prendre les choses en mains. Les barricades, le drapeau rouge, le drapeau noir, Louise Michel, … Bien sûr ; mais l’ouvrière Nathalie Lemel et l’ouvrier Eugène Varlin : quelles leçons ! présent·es dans les débats et sur le terrain, mais sur la base de leurs activités émancipatrices concrètes : les coopératives La ménagère ou La marmite, la chambre syndicale, l’Internationale, … Les débats internes aussi nous interpellent : la réaction de « la minorité » après la mise en place d’un Comité de salut public pointe bien des éléments qui seront ô combien d’actualité dans des révolutions ultérieures.

Ludivine : La Commune interpelle aussi sur l’idée même de se fédérer, donc de dépasser les clivages pour tendre vers l’unité : le foisonnement des courants politiques était réel, entre les blanquistes, les proudhoniens, le courant proche de Marx, les jacobins… Mais comme l’a fait la Garde nationale, avant même la Commune – ce qui a été décisif dans le mouvement révolutionnaire –, ils se sont fédérés.

Cette Garde nationale, composé d’hommes en armes contre l’armée de métier, pose aussi l’enjeu, justement, des armes mais aussi celui de la fraternisation avec les soldats : on le sait, si la Commune a pu s’imposer, si le renversement de pouvoir a eu lieu, c’est qu’au matin du 18 mars, la troupe de ligne a mis crosse en l’air et fraternisé. Et aujourd’hui ? Quelles en seraient les conditions ? Que faire face aux forces de l’ordre ? Y a-t-il encore une mince brèche pour d’éventuelles fraternisations possibles, en misant sur la division au sein des corps de police ? La question n’a rien de naïf et la Commune montre bien quoi qu’il en soit la nécessité impérieuse de la poser.

Pierre : Et qui est le peuple ? On pense encore trop qu’être « près des gens », être « concrets » suppose de rester catégoriel. Et on ne produit pas de « commun » alors que la force du peuple se mesure à ce qu’il est dans sa totalité. De ce point de vue je note un début d’affirmation nouvelle de la notion de peuple dans la composition sociale des Gilets jaunes, comme dans la participation de l’Opéra de Paris à des concerts publics ou dans les gares pendant le mouvement pour les retraites.


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