L’Afrique, entre néocolonialisme et extractivisme

dimanche 29 août 2021.
 

Le discours récurrent des gouvernements français, voulant instaurer une coopération et encourageant la démocratie, est régulièrement démenti par leurs actes. Après la mort d’Idriss Déby, au lieu de condamner le coup d’État au Tchad, la France le valide.

Le sommet Afrique-France, prévu à Montpellier en octobre, dont l’objet est la « refondation des relations entre la France et l’Afrique », ne doit pas tromper. L’esprit néocolonial est toujours là ; à preuve, le projet de loi « développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales », au-delà de la rhétorique utilisée, ne fait qu’accroître la dépendance des pays concernés, à travers notamment les mécanismes de « coopération » préconisés et une aide publique au développement (APD), qui fait le lit des grandes entreprises étrangères.

Pillage au sud, gaspillage au nord

Et si le frein au dérèglement climatique et à la destruction de la biodiversité venait des pays exploités ?

Les politiques des banques et des gouvernements du Nord sont destinées à favoriser la mainmise sur les ressources naturelles nécessaires à sa « crois- sance » (verte ou pas) et à l’enrichissement de ses multi nationales et de leurs actionnaires. Ce « tapis rouge » déroulé aux multinationales d’extraction et à celles rachetant les services publics est un pillage, pérennisé par le maintien au pouvoir de dirigeants complices et par la dette, qui favorise le gaspillage des ressources et donc le ravage de la planète. L’Afrique est victime de ce pillage qui détruit ses sols et spolie ses populations.

FMI et Banque mondiale, bras financiers du gaspillage et de la dette

Les pays d’Afrique offrent l’accès à leurs matières pre- mières quasiment sans taxes ni cotisations sociales grâce aux accords de libre-échange (ou plutôt « accords de pauvreté économique », selon les militants locaux !), aux zones franches qu’on les oblige à installer au pro- fit des multinationales délocalisées mais aussi aux « plans d’ajustement structurel » et autres « programmes d’assi stance » du Fonds monétaire international (FMI) qui adaptent les législations aux besoins des pilleurs. Ainsi, en Guinée1, l’exploitation des terres riches en bau- xite a pu être démultipliée, sans « ruissellement » pour le pays, à part celui des poussières dans les rivières et les sols, rendant l’eau impropre et les terres agricoles impro ductives. Bauxite transformée – ailleurs bien sûr – en aluminium, dont à Gardanne, près de Marseille, où le scandale des boues rouges n’est pas encore résolu.

Ces pays, manoeuvrés par la Banque mondiale, consa-crent ensuite les maigres revenus de leurs ressources à des barrages ou des routes utiles aux entreprises étrangères selon un processus bien rôdé. L’État afri- cain contracte le prêt nécessaire au projet auprès d’une banque privée via les banques « de développe- ment » puis Eiffage ou Bouygues fait le chantier, sou- vent aujourd’hui en sous-traitant à des entreprises chinoises la gestion de la main d’œuvre locale pour éviter d’assumer les conditions de travail, les acci- dents ou les rémunérations. Ensuite, Bolloré vient tirer profit du terminal de porte-conteneurs ou de la voie ferrée transportant minerais ou produits agricoles, comme l’huile de palme au Cameroun. Selon une pro- cédure similaire, Total parvient à se faire garantir par l’État français, via une filiale de l’Agence française de développement (AFD), un prêt pour exploiter le gaz du Mozambique.

« Nous avons refusé les prêts de la Banque mondiale pour alimenter des projets que nous n’avons pas choisis. (...) Nous avons réduit les salaires, “assaini” l’économie. Or, [avec le] FMI, il faut fournir toujours de nouveaux gages. Ce qu’il cherche va bien au-delà d’un contrôle de gestion, ce dont il s’agit n’est autre chose qu’un contrôle politique. » – Thomas Sankara2

Ces pays offrent enfin leur main d’œuvre sans contrôle des conditions de travail puisque l’État, sur injonction du FMI, a réduit le nombre de ses fonctionnaires et a confié ses ser- vices publics à des partenariats public-privé. Partenariats contre le public et pour le privé, qui, selon la Cour des comptes européenne, ne sont pas « une option écono miquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques » ; mais pour l’Afrique, pas de problème ! Une fois les services publics vendus, finis les contrôles, les visites sur sites... les multi- nationales sont libres de polluer et d’exploiter les popula- tions. La corruption assure le reste des passe-droits. « Nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général la politique d’aide n’aboutit qu’à nous désorganiser, à nous asservir et à nous dérespon sabiliser. La dette est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, Si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas, soyons-en sûrs ; mais, si nous payons, c’est nous qui allons mourir, soyons-en sûrs aussi. » – Thomas Sankara

Les banques publiques sèment, les profiteurs privés récoltent, les jeunes fuient...

Aucune économie locale ne peut survivre à l’importation massive de produits à bas prix, fruit de la délocalisation sau- vage, en Afrique comme ailleurs. Les gouvernants africains, obéissant aux financiers, n’optent pas pour la transforma- ion sur place de la production donc dégâts environnemen- taux et misère s’accentuent et le va-et-vient infernal des porte-conteneurs, provoqué par l’éparpillement des lieux de production, ravage les océans, et les droits humains régressent partout. Pourtant, comme le prouve le chocolat Keka Wongan, fabriqué et vendu au Cameroun, projet entre un lycée de Nantes et la coopérative d’Ebolowa, l’esclavage des ouvrier·es et le travail des enfants peuvent cesser si la transformation locale remplace l’exportation brute. Ce mode économique n’a rien d’un rêve et crée immédiatement des emplois stables, nombreux et correctement payés, pour tou·tes celles et ceux qui n’ont aucune envie de quitter leur terre natale mais plutôt de la protéger. Sinon, quel autre choix pour la jeunesse africaine que l’émi gration ? Et l’émigration clandestine puisque l’émigra- tion légale a été quasiment stoppée. Exceptés les enfants des ministres complices et quelques miraculés, quel jeune Africain·e obtient aujourd’hui le droit d’aller visiter l’Europe ou y étudier pendant que les étudiant·es européens par- courent le monde ? Tout comme en France, certains Africain·es rêvent de voyages, d’autres, non. Mais contrairement à la France, en Afrique, l’exil est souvent l’unique source d’espoir. « Notre développement passe d’abord par la création d’une industrie agro-alimentaire capable d’absorber et de conser- ver les produits agricoles. A quelle vitesse ? A la nôtre. Nous préférons de petites unités à mi-chemin entre l’industrie et l’artisanat. Nous préférons les “teufs-teufs” aux machines électroniques. » – Thomas Sankara

Démocratie et indépendance, dernière chance

Si les pays africains sortaient de la domination – comme l’avaient fait, après les « indépendances », la R.D. Congo, le

Congo Brazzaville ou le Burkina Faso avec P. Lumumba, M. Ngouabi ou T. Sankara, tous assassinés après des réformes populaires – et fixaient le prix de leurs matières premières, ils feraient un cadeau à toute la planète. Si les matières premières rares (pour certains minerais, une tonne de terre pour un gramme de minerai) valaient leur prix environnemental et humain, un prix d’or, les équipements numériques seraient-ils produits dans les mêmes quantités et non recyclés avec la même légèreté ? Il faut avoir vu les creuseurs plonger pen- dant douze heures pour trois euros par jour à trente mètres sous terre, dans des galeries de souris sans oxy- gène qui s’effondrent et tuent, et remonter avec le col- tan de nos portables3... Les minerais peuvent être réu- tilisés ou recyclés ; mais, avec la domination, l’extraction coûte moins cher ! Alors, on gaspille, on extrait à nouveau, en déforestant, en polluant les rivières, en produisant du C02 et en contraignant à l’esclavage des ouvriers aux abois... pour la croissance des multinationales !

« Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles qu’[on a] essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de (...) développement en dehors de cette rupture. » – Thomas Sankara Des pistes pour agir Mobilisons-nous contre les accords de libre-échange imposés à ces pays, contre le soutien aux dirigeants illégitimes et corrompus qui maintiennent le continent dans ces politiques, pour l’abolition de cette éternelle dette illégitime, déjà remboursée, et bien inférieure à celle, écologique et humaine, que les pays riches doivent à ceux du Sud. Soutenons ces militant·es qui combattent à mains nues les parodies d’élections, les passe-droits, le commerce inéquitable. Aidons à la transformation locale, à la consommation équitable. Aidons à fermer le robinet africain de matières pre- mières pour qu’une révolution écologique et sociale des économies africaines et européennes s’impose enfin. Au Sud comme au Nord, nous avons la même chose à y gagner : une vie meilleure sur une planète préservée.

Isabelle Marcos Likouka

1 Voir la série « Sur les routes, avec Sally en Guinée » sur la chaîne Youtube Les Haut-Parleurs. 2 Voir la page « Thomas Sankara, 20 ans après » sur le site du CADTM : cadtm.org/Thomas-Sankara-20-ans-apres 3 Voir l’émission « Cash investigation – Les secrets inavouables de nos téléphones portables » (2015), disponible sur Youtube.


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