Au cinéma ce soir. Bud, Lester, Gordon et les autres

mardi 11 septembre 2007.
 

Je ne sais plus bien qui a prononcé l’autre jour devant moi ce nom : Caveau de la Huchette. Mais d’un seul coup, ça m’a allumé comme un petit phare dans la mémoire. Quelque chose qui pourrait ressembler à un accord, à un « Soir au club » comme disait Christian Gailly, à une espèce d’atmosphère de fumée illicite. Un grand film, de ceux qui vous laissent à jamais le regret de n’avoir pas vécu ces instants-là. Ce film-là, c’est le jazz qu’il raconte. Comme dans une chanson de Jonasz.

On y va ? On est à la fin des années cinquante. Un saxophoniste de génie, Dale Turner. Il est au bout du bout de la route. Il revient à Paris, pour revoir le temps d’avant, le temps du Blue Note, quand tout était moins noir, moins dur, moins définitivement désespéré. Il va y croiser Francis, un jeune gars qui le vénère. De Paris à Lyon, cette amitié va le tenir, un peu, encore un peu, mais trop peu... Dale tombe, se relève, retombe. Alcool, drogues, rien ne manque à son portrait en artiste maudit. Mais Francis est toujours là. Jusqu’au succès retrouvé, aux concerts renouvelés, à New-York reconquis. Jusqu’au jour où, de retour à Paris, il apprend la mort de Dale... qui survivra dans sa musique, dans la mémoire de son ami, et dans les films qu’il a tournés. Il n’y a pas plus simple comme histoire, vous dîtes. Mais oui, et même que ce sont les histoires simples qui font le grand cinéma.

Et puis, vous vous dîtes aussi, encore un film musical, ça me barbe. Bien sûr, de la musique il y en a et de la meilleure, sans blague, mais ce n’est pas l’essentiel. Bertrand Tavernier, qui sait filmer les « ambiances » comme personne, et qui aime le jazz, ça on ne peut pas le lui retirer ! nous peint ici un tableau respectueux, passionné, mais d’un réalisme qui te coupe le souffle. Pas de romantisme mielleux, pas de concession aux dealers, aucune pitié pour les marchands de rêve à bon prix, les imprésarios tyranniques, les éditeurs rapaces. Dale avance vers la mort, au rythme de son saxo, et rien, même pas Francis ne pourra l’empêcher de trébucher une dernière fois. Alors, de deux choses l’une, ou bien vous êtes un vrai amateur de jazz, au sens noble du mot, et vous savez qui joue quoi, qui est qui, vous lisez dans ce cinéma comme dans un bouquin, rien ne vous échappe, même les clins d’œil de Tavernier, et donc, vous êtes baigné de cette complicité. Ou alors, comme moi, vous savez juste que c’est simplement beau d’écouter ces notes-là, que ça vous colle un bourdon de toute première catégorie, même si vous en êtes restés à Armstrong et Bechet. Dans les deux cas, c’est un film pour vous. Parce que loin d’être seulement un hommage aux musiciens de génie qui finissent dans la rue, ou pire (rappelez-vous Chet Baker... et tous les autres), c’est surtout une plongée au cœur de l’humain. Dale et Francis sont immortels. François Cluzet est d’une sobriété inattendue. Dexter Gordon ne joue pas Dale. Il est Dale, pour de bon, tout en mélancolie, en génie brisé. Les citations abondent, comme dans un vrai morceau de jazz, depuis le titre : « Autour de minuit » (Round Midnight, un morceau de Monk), jusqu’aux modèles : Lester Young, Bud Powell, Charlie Parker, Francis Paudras. Quelque chose à ajouter ? Oui, le décor, c’est Alexandre Trauner, le plus phénoménal créateur de mirages sur écran. Il a travaillé avec Carné, avec Prévert (ils sont enterrés côte à côte, à Omonville, près de Cherbourg), l’ambiance nocturne de Tchao Pantin, c’était lui aussi, c’est vous dire si c’est de la belle ouvrage... Alors, évidemment, ce joyau passe moins à la télé que la 7ème compagnie fait l’Espagne avec les Charlots. Donc, va falloir éplucher les ciné-clubs de votre patelin, ou bien vous rabattre sur la solution DVD, mais vous avez intérêt à avoir un son de cador, sinon, c’est pauvret... Vous baissez la lumière, et vous n’avez plus qu’à imaginer que vous y êtes, au Blue Note. Vous pensiez que seul Clint Eastwood avait su filmer le jazz (Bird) ? Perdu ! Nous on a Tavernier, et c’est plutôt pas mal aussi.

brigitte blang prs 57


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