Pesticide & virus : découverte d’une alliance tragique pour le développement cérébral

samedi 18 septembre 2021.
 

Nous sommes remontés six ans en arrière au Brésil, en 2015, lorsque le nombre de bébés nés avec une petite tête et un petit cerveau a brutalement explosé. Ces graves déformations les ont laissés handicapés à vie, et ont suscité une inquiétude mondiale. Ces cas de « microcéphalie » ont rapidement été associés au fait que les mères enceintes avaient été infectées par le virus Zika. Ce virus pénètre et tue les cellules qui forment le cerveau, ce qui entrave son bon développement.

Étonnamment, certaines régions du nord-est du Brésil ont connu bien plus de cas de microcéphalies que les autres. De quoi se demander si d’autres facteurs n’étaient pas à l’œuvre pour intensifier localement l’épidémie. Peu de temps après, l’attention s’est portée sur le pyriproxyfène, un insecticide approuvé dans le monde entier pour lutter contre les insectes en agriculture et dans les habitations - il est notamment utilisé dans les colliers pour animaux. Il se trouvait que le pyriproxyfène était utilisé intensivement dans les régions où ont été enregistrés le plus grand nombre de cas.

Fin 2014, le pyriproxyfène a été introduit dans l’eau potable pour tenter de contrôler la population du moustique Aedes aegypti responsable de la propagation des virus de la Dengue et de la Zika. Malheureusement, l’insecticide s’est accumulé dans l’environnement pendant des années, jusqu’à se retrouver dans le corps humain.

Contre les effets secondaires potentiels, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé de limiter l’absorption quotidienne de pyriproxyfène à 0,3 mg/l pour un adulte, et que les concentrations dans l’eau potable soient inférieures à 0,01 mg/l. Comme les bébés et les enfants à naître absorbent ou accumulent généralement davantage que les adultes, ils peuvent se trouver plus exposés.

Du fait du fort chevauchement géographique entre l’utilisation de l’insecticide et les cas de microcéphalie, même ces petites doses ont soulevé des questions sur son innocuité. Cependant, les résultats des études épidémiologiques et expérimentales destinées à déterminer l’implication du pyriproxyfène dans les cas de microcéphalie observés ont donné des résultats contradictoires : il n’est toujours pas clairement établi si, et comment, ce pesticide pourrait être impliqué…

Notre groupe de recherche de l’UMR PhyMA à Paris (département Adaptations du Vivant – Muséum national d’histoire naturelle/CNRS) a tenté de faire la lumière sur cette question. Nos travaux, dont les résultats ont été récemment publiés, révèlent que le pyriproxyfène perturbe la signalisation des hormones thyroïdiennes, modifiant au passage des processus cruciaux pour le bon développement cérébral. Identification comme perturbateur endocrinien

L’hormone thyroïdienne est une molécule essentielle à la croissance et au développement du corps en général, et du cerveau chez les fœtus en particulier. Sans elle, le cerveau ne se développe pas normalement, laissant les enfants touchés avec un faible quotient intellectuel et d’importants handicaps mentaux. Ce terrible ensemble de troubles (identifié sous le terme de crétinisme) est presque éradiqué dans les pays occidentaux, mais reste courant dans les pays en développement. Comment savoir s’il existe un lien entre ces atteintes et le pyriproxyfène ?

Nous élevons, dans notre laboratoire, des têtards de xénope (Xenopus laevis) génétiquement modifiés qui émettent une fluorescence verte lorsqu’ils sont exposés à l’hormone thyroïdienne. Plus la couleur verte est intense, plus l’hormone est présente et active… Or, lorsque nous avons exposé nos têtards au pyriproxyfène, le signal vert a chuté de façon spectaculaire. Ce résultat prouve que le pesticide bloque l’action de l’hormone thyroïdienne. Avec pour conséquence, chez ces animaux, de mener à un développement cérébral et des comportements anormaux. Ces changements semblent dus au fait qu’un certain nombre de gènes ne s’expriment pas comme à l’accoutumée chez les tétards exposés au pesticide.

Restait à élucider les raisons de son effet néfaste lors du développement embryonnaire. Pour rappel, l’un des rôles les plus importants de l’hormone thyroïdienne est d’assurer, durant cette étape, un équilibre entre nombre de neurones et nombre de cellules gliales (leurs cellules de soutien). Comme le pesticide bloque l’action normale de l’hormone, nous avons pensé qu’il pourrait également affecter la production de ces cellules constitutives essentielles du cerveau.

Pour étayer notre hypothèse, nous avons cultivé des cellules souches (issues de cerveaux de souris) et les avons exposées à des doses croissantes de pyriproxyfène. Les résultats ont été clairs : plus la dose était élevée, moins étaient générées de cellules gliales et plus ces dernières mouraient. Le ratio entre cellules nerveuses et cellules gliales s’en trouvait donc déséquilibré. Comment le pyriproxyfène pourrait exacerber le Zika

Pour aller plus loin dans l’explication, nous avons vérifié le niveau d’expression des gènes dans les cellules souches exposées à l’insecticide. Nous avons observé qu’un certain nombre n’étaient pas exprimés normalement. Parmi les gènes affectés figure le gène Msi1, à l’origine de la protéine Musaschi-1 utilisée par le virus Zika pour se répliquer et infecter d’autres cellules.

Nous savions, grâce à des études antérieures, qu’une augmentation de l’hormone thyroïdienne entraînait une diminution de Musaschi-1. Étant donné que le pyriproxyfène bloque l’action de l’hormone, la protéine Musaschi-1 est présente en plus grande quantité au sein des cellules qui sont exposées à ce pesticide. C’est pourquoi nous avons envisagé qu’en augmentant la concentration de Musaschi-1, le pyriproxyfène pourrait permettre au virus de se répliquer plus rapidement. Pour le vérifier, nous avons infecté nos cultures de cellules souches (exposées à l’insecticide et non exposées) avec le virus Zika.

Si nous n’avons pas observé d’augmentation du taux d’infection par le virus, dans les cellules exposées au pyriproxyfène, le fonctionnement de gènes clés a bien été altéré, ce qui n’a pas été observé dans les cellules non exposées. L’exposition aux pesticides pourrait donc altérer le développement cérébral, ajoutant à l’impact du virus Zika sur les capacités intellectuelles de l’enfant à naître. Étant donné l’importance des enjeux, il sera nécessaire d’approfondir les recherches sur cette question. Il faut mener plus de recherches sur les interactions pesticide-virus

Ce n’est pas la première fois qu’il est soupçonné qu’un pesticide peut avoir une influence sur l’évolution d’une maladie. Des travaux ont notamment révélé l’existence d’une association entre des taux sanguins élevés d’acide perfluorobutanoïque (un perturbateur endocrinien très répandu) et un risque accru de développer une forme plus grave de la Covid-19. Or, nous n’avons aucune idée de la manière dont de nombreux pesticides omniprésents dans notre quotidien nous affectent, ou interagissent avec les maladies virales.

Pour cette raison, les pesticides doivent faire l’objet de protocoles de tests améliorés, qui permettront d’obtenir des données plus solides, utilisables par les décideurs pour étayer leurs politiques de santé. Soulignons que l’Europe a récemment réautorisé le pyriproxyfène, bien qu’à des concentrations différentes de celles de l’OMS.

Notre étude souligne, une fois de plus, combien nous en savons peu sur les effets néfastes des pesticides sur notre santé – sur notre développement cérébral, sur notre environnement, etc. Dans le contexte de risque d’épidémies émergentes en lien avec le changement climatique, ce type de données doit nous alerter quant à l’importance de cet enjeu pour la protection des générations futures.

Pieter Vancamp, Post-doctorant, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Barbara Demeneix, Professor Physiology, Endocrinology, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)


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