Appel aux candidats à l’élection présidentielle à s’emparer de la crise mondiale des droits de l’Homme

mercredi 13 octobre 2021.
Source : Tribune
 

Les attentats et la menace terroriste, la crise sanitaire et les mesures prises pour tenter de les endiguer ont incontestablement eu un effet planétaire et accélérateur sur le mouvement de régression mondial des droits fondamentaux.

La liste des pays dans lesquels ils se trouvent gravement menacés s’accroit, au moment même où des pays, comme la France, peinent à se distinguer, en cédant, pour reprendre l’expression de Madame Mireille Delmas-Marty, à une forme de despotisme doux. Pire, le rôle de contre-pouvoir de la presse s’effrite face à un contrôle de plus en plus massif par des actionnaires peu enclins à l’humanisme, une presse qui contribue à crédibiliser des discours populistes grossiers et réactionnaires.

Le panorama de la régression est édifiant. Concernant par exemple le Burundi, une Commission d’enquête de l’ONU a récemment demandé d‘accroître la pression diplomatique face à la persistance des abus et de la violence ; l’Union africaine a suspendu la Guinée après le coup d’état militaire ; la Tunisie, du fait des mesures prises par le Président Kaïs Saïed, dérive de plus en plus vers une logique autoritaire ; au Soudan du Sud, également en proie à une crise économique, les élites pillent les ressources en méprisant les droits de l’Homme ; en février 2021, Amnesty International révélait que l’armée érythréenne avait tué des centaines de civils au Tigré ; le régime de Vladimir Poutine chasse, persécute et empoisonne ses opposants dont Alexeï Navalny ; plus récemment, le président Joe Biden s’est lui-même offusqué en visionnant une vidéo particulièrement violente montrant des gardes-frontières américains en train de brutaliser des migrants aux abords du Rio Grande.

La lutte contre la corruption n’a jamais été autant instrumentalisée de la Tunisie à la Chine en passant par le Cameroun pour persécuter les opposants.

Qui ne voit que l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme et de la pandémie, dans bien des pays, en Afrique et ailleurs, ont été le nouvel alibi cynique pour bâillonner et persécuter.

En juin 2021, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet appelait à un sursaut :« Nous avons besoin [...] de sociétés qui, bien que diverses, partagent des engagements fondamentaux pour réduire les inégalités et faire progresser tous les droits humains ». Cet appel au sursaut est loin d’avoir été saisi.

Le grand débat démocratique sur les menaces plurielles qui pèsent sur nous s’estompe au profit d’une banalisation des expressions de haine qui auraient été considérées comme indécentes il y a quelques années. Ce décalage qui révèle un nivellement par le bas des libertés publiques et des droits de l’Homme, s’il peut contribuer à satisfaire ceux qui sont obsédés de survivre politiquement ou médiatiquement, peut s’avérer désastreux pour le bien public de notre collectivité et au-delà à l’échelon international.

Ces violations des droits humains conduisent également à une criminalisation croissante des mouvements citoyens, tels que ceux qui veulent protéger les migrants. Ce sont les mêmes qui pouvaient être loués pour le courage et leur dévouement citoyen il y a peu qui sont aujourd’hui désignés comme des complices des ennemis de l’intérieur.

Ainsi, ces violations des droits humains semblent être devenues les laissées pour compte ou le prix à payer des différentes crises sanitaires et sécuritaires qui frappent la communauté internationale. Elles dédramatisent le recours à des législations d’exception devenues si familières que l’exception dans bien des pays semble devenir la norme. La France et l’Europe contribuent, ainsi, par leur propre dérive à décomplexer des pays autoritaires telle que la Turquie qui n’en demandait pas tant.

L’hégémonie de la pensée libérale dans les pays les plus riches, en accentuant la poursuite d’objectifs purement essentiellement matérialistes, meurtrit gravement la mission des responsables publics de lutter contre les inégalités et de prendre en charge, avec le volontarisme qu’ils exigent, les défis environnementaux.

Paradoxalement, au moment où l’arsenal juridique mondial contre la corruption n’a jamais été aussi dissuasif sur le papier, les logiques d’entre-soi, de corruption, de pillage des ressources, continuent à se déployer en toute tranquillité.

Au moment où les engagements se sont multipliés de contrôler l’activité des paradis fiscaux, celle-ci continue de plus belle dès lors que l’Union européenne et la communauté internationale ont été d’une faiblesse coupable à l’égard de l’ensemble des intermédiaires financiers, c’est-à-dire les ingénieurs du chiffre et du droit.

Qui ne peut douter que plus les dirigeants seront sincères et efficaces pour répondre à ces exigences citoyennes et juridiques, moins ils feront le lit au populisme et moins ils le feront, plus se dévalueront des discours qui font des droits humains une vieille lune ou une variable d’ajustement.

Certes chaque jour nous tendons l’oreille pour décrypter toutes les éclaircies qui émergent accompagnées des archipels de résistance, des incubateurs d’un mode citoyen de consommation alternatif. Ils sont essentiels pour rompre la malédiction de la résignation et ne suffiront pas pour enrayer la déshumanisation du monde qui aujourd’hui galope.

Tous les candidats à l’élection présidentielle doivent s’emparer de ce défi.

Plus, comme quand on s’enfonce dans le mensonge, la crise des droits humains continuera de s’aggraver, plus il sera difficile d’en revenir.

L’urgence est immense pour notre pays et au-delà pour le monde que les responsables publics rompent avec toutes mesures démagogiques et sécuritaires et se saisissent du défi que représente l’impératif de répondre à cette crise par un sursaut démocratique que malheureusement le caractère pour le moins médiocre du débat politique en France n’annonce guère.

William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats


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