Anne Hidalgo : de la nuance à la vacuité

mercredi 20 octobre 2021.
 

Candidate à la présidentielle sous les couleurs du Parti socialiste, la maire de Paris compte incarner un pôle modéré face à une gauche qu’elle juge radicale ou inconséquente. Mais faute de clarté dans ses propositions, sa propre identité politique demeure incertaine.

Depuis qu’elle a déclaré sa candidature le 12 septembre, la maire de Paris cultive l’art du contrepied. Ceux qui s’attendaient, au lendemain de sa déclaration, à un grand rassemblement, une émission politique d’envergure ou un déplacement médiatique illustrant sa volonté de « changer la vie », en ont été pour leurs frais.

Dans la continuité de son tour de France, elle préfère mettre en scène sa « proximité » avec les territoires par le biais des nouveaux maires quadragénaires du PS : Nicolas Mayer-Rossignol à Rouen (Seine-Maritime), Michaël Delafosse à Montpellier (Hérault), Mathieu Klein à Nancy (Meurthe-et-Moselle), Johanna Rolland à Nantes (Loire-Atlantique).…

L’idée que sa dynamique de campagne bat de l’aile s’est dès lors installée dans les médias et chez ses adversaires politiques. Même ses sympathisants commencent à douter de ses capacités à dominer l’espace morcelé à gauche, comme en témoignait déjà l’humeur générale aux universités d’été du PS à Blois. Profitant d’un léger « effet primaire », le candidat d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot et ses soutiens espèrent éclipser cette rivale qui se positionne sur le créneau de la « social-écologie » – le nouveau label du PS.

« C’est catastrophique. Ses communicants ont dû lui conseiller d’être prudente et responsable, mais du coup elle ne dit rien », s’exaspère une figure socialiste. C’est là que réside le dilemme de la pré-campagne d’Anne Hidalgo : à trop vouloir incarner une gauche réaliste, au-dessus des clivages et hermétique aux batailles d’idées – l’exercice du pouvoir l’en dispenserait –, elle ne polarise pas. Du pur « Hidalgo bashing », rétorque sa garde rapprochée, qui préfère rejeter la faute sur « l’espace politique embouteillé à gauche ».

Le sénateur socialiste Rémi Féraud est ainsi persuadé qu’il faut laisser du temps au temps : « Le traitement de sa candidature est étrange. Je pense que c’est dû à l’incapacité qu’ont certains à accepter l’idée que la social-démocratie est toujours vivante. Mais je connais la capacité de résistance et de rebond d’Anne Hidalgo. L’électorat de gauche va se réveiller, même si ce n’est qu’en janvier ou février. » Un pari audacieux.

D’ici là, il faut bien donner le change aux fidèles du parti à la rose, sorti lessivé de l’ère Hollande, dont Macron est le rejeton. Pour fixer un cap et se faire plus amplement connaître du grand public, Anne Hidalgo a publié un livre, Une femme française, aux éditions de l’Observatoire. Le catalogue de cette maison d’édition brasse large politiquement, ouvrant volontiers ses portes à des personnes issues des rangs de la droite, comme Gérald Darmanin, Lydia Guirous, Luc Ferry, Nicolas Sarkozy ou le philosophe très libéral Gaspard Koenig.

Dans l’espoir de casser son image d’élite parisienne, elle raconte sa « culture ouvrière » familiale et ses « réflexes d’inspectrice du travail ».

Mais ce n’est pas un problème, car Anne Hidalgo assume de ne pas camper sur des positions politiques inamovibles : « Les choix politiques des Français s’ancrent de moins en moins dans de grandes idéologies ou dans l’adhésion à un parti, mais se forgent de plus en plus à partir de leur engagement, de leur expérience personnelle, presque émotionnelle », écrit-elle. Martine Aubry, sa marraine en politique (elle a été membre de son cabinet au ministère de l’emploi entre 1997 et 2002), qui l’accueillera à Lille (Nord) le 23 octobre pour sa convention d’investiture – et son vrai démarrage de campagne, espèrent ses soutiens –, disait pourtant que « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ».

Dans cette autobiographie politique, Anne Hidalgo passe plus de temps à arguer de son expérience, dans un storytelling compassé, qu’à exposer ses idées. Dans l’espoir de casser son image de membre de l’élite parisienne, elle raconte sa « culture ouvrière » familiale et ses « réflexes d’inspectrice du travail » – son premier métier, dans les années 1980.

Un exemple : « Lorsque je me déplace quelque part en France, j’ai toujours à cœur de visiter des entreprises et si possible des usines. Je m’y sens toujours en terrain connu. Il est vrai que l’odeur très particulière des usines métallurgiques et de l’huile de coupe m’a particulièrement marquée ; à chacun ses madeleines de Proust. »

Du quinquennat de François Hollande, marqué par la fermeture des hauts-fourneaux de Florange, de l’usine pneumatique Goodyear ou encore par la loi Travail, il n’est étonnamment pas question. Elle a pourtant fait ses classes au PS sous son patronage, bien qu’elle tente aujourd’hui de s’en démarquer au maximum. Sous son mandat présidentiel, elle avait fait profil bas, sauf concernant la proposition de réforme constitutionnelle sur la déchéance de nationalité, à laquelle elle s’était opposée, menaçant même de quitter le PS.

« C’est très compliqué de savoir exactement quelle est sa vision politique, convient le politiste Frédéric Sawicki, spécialiste de l’histoire du PS. Elle est tributaire de tout ce qui a été fait entre 2012 et 2017 [sous le quinquennat de François Hollande – ndlr], mais elle n’assume pas ce bilan, tout en refusant d’assumer une position critique à son égard. »

Elle donne l’impression d’être partie sur le mode Macron : le pragmatisme en guise d’idéologie

Frédéric Sawicki, spécialiste de l’histoire du PS

À croire que la candidate veut autant que possible s’émanciper des stigmates qui poursuivent le PS, en incarnant une social-démocratie rénovée, sans histoire. Aux dernières élections municipales de 2020, elle avait d’ailleurs gommé l’étiquette du PS, se plaçant sous la bannière « Paris en commun ». D’une certaine manière, Emmanuel Macron, sa cible privilégiée, a déjà étrenné cette recette en 2017. Anne Hidalgo reprend d’ailleurs, comme un mantra inconscient, l’une de ses expressions les plus fameuses, quand elle juge la centralisation des pouvoirs « tellement ancien monde ». Un lapsus qui n’est sans doute pas étranger au fait qu’elle tente de séduire discrètement les Marcheurs déçus.

« On ne sait pas qui elle est politiquement », observe Benjamin Lucas, porte-parole de Génération.s et soutien de Yannick Jadot. « Elle n’a pas fait le droit d’inventaire des années Hollande, comme Jospin l’avait fait pour les années Mitterrand. Or son entourage est encore très matricé par ces années », ajoute-t-il.

En 2017, plusieurs adjoints de la maire de Paris – Julien Bargeton, Mao Peninou, Aurélien Lechevallier, Anne de Bayser ou encore Jean-Louis Missika – ont soutenu Emmanuel Macron, ce qui ne l’aide pas à imprimer sa marque. D’autant qu’à l’époque, Anne Hidalgo avait soutenu la candidature légitimiste de Vincent Peillon à la primaire socialiste. Par fidélité à son parti, elle avait ensuite appelé à voter Benoît Hamon.

Aujourd’hui, la boussole de la candidate à la présidentielle s’agite dans des sens contradictoires. Pour compenser ce sentiment de flottement, l’intéressée a proposé de « multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves », sur la durée du quinquennat.

Plus récemment, dans une interview à Libération, elle s’est prononcée pour une baisse des taxes sur les carburants, en insinuant que les écologistes ne pensaient pas aux classes populaires : « C’est sans doute une différence avec les Verts : j’estime qu’on ne peut pas continuer à demander aux plus fragiles, aux plus modestes ou aux classes moyennes de payer le prix fort de la transition écologique. »

Malgré ce clin d’œil appuyé aux « gilets jaunes », mouvement né de la contestation de la taxe carbone, pas sûr que ceux-ci se retrouvent dans sa candidature. Dans son livre, son éloge de l’apaisement la conduit parfois à occulter la violence du réel, sauf quand celle-ci vient de la société. Ainsi, elle n’a pas un mot pour condamner les violences policières, mais regrette que « la grande révolte des ronds-points » se soit « abîmée dans des jacqueries répétitives et violentes au cœur des villes ».

Pour le politiste Frédéric Sawicki, la vision politique d’Anne Hidalgo souffre d’un manque de clarté. « Quand on se veut sociale-écologiste, il est étrange d’annoncer une baisse des taxes sur les carburants, et quand on veut incarner la gauche responsable, il est étrange d’annoncer le doublement du salaire des enseignants – qui ne la croient pas, dit-il. Cela donne l’impression qu’elle est partie sur le mode Macron : le pragmatisme en guise d’idéologie. Le problème, c’est qu’elle a un électorat restreint, qui aspire à des positionnements clairs et tranchés après les quinquennats Hollande et Macron. »

Sur l’écologie, par exemple, ce qu’elle écrit dans Une femme française tient du « en même temps » macroniste : « Ni la décroissance d’un côté, ni l’écologie libérale de l’autre ne sont à même de résoudre cette question [d’atténuer le réchauffement climatique tout en réduisant des inégalités – ndlr]. Je crois au contraire à une écologie sociale et populaire mais aussi industrielle et responsable. »

Je ne vois pas la société apaisée derrière son bilan

Danielle Simonnet, conseillère LFI de Paris

C’est sans doute par cette absence de tranchant politique que sa candidature se distingue dans le paysage morcelé des gauches. Alors que de multiples demandes de radicalité s’expriment dans le monde social – la percée de Sandrine Rousseau à la primaire des écologistes en était un indice –, Anne Hidalgo se pose comme la candidate de la mesure, du ralentissement, de la pondération. Se définissant comme « féministe universaliste », elle organise ainsi un clivage avec le « côté impatient et radical » du « mouvement féministe contemporain ».

Elle s’était d’ailleurs dite « écœurée » par les prises de position de la conseillère de Paris écologiste et militante féministe Alice Coffin, contre Christophe Girard – qui a dû démissionner en raison de ses liens avec l’écrivain pédocriminel Gabriel Matzneff. Cela ne l’empêche pas de mettre sa campagne sous le signe de la « considération » – un concept qu’elle emprunte à la philosophe Corine Pelluchon, comme antidote aux esprits dogmatiques.

Élue de La France insoumise (LFI) au conseil de Paris, Danielle Simonnet se gausse de cet éloge de la nuance. Le bilan d’Anne Hidalgo à la mairie est à ses yeux aux antipodes : « En matière de logement social, les premiers de corvée continuent d’être expulsés en lointaine banlieue ; en matière d’écologie, Paris a moins d’espaces verts par habitant qu’elle n’en avait il y a trois mandatures ; et alors que le personnel soignant est en sous-effectif, la ville a décidé en 2019 de privatiser la moitié de l’Hôtel-Dieu [le plus vieil hôpital parisien – ndlr] pour en faire notamment un restaurant gastronomique. C’est l’éloge de la start-up et de la capitale touristique des classes dominantes. Je ne vois pas la société apaisée derrière ça. »

Ces griefs ne sont pas l’apanage de l’opposition de gauche à Anne Hidalgo. Le climat s’est une nouvelle fois tendu entre la maire de Paris et ses propres alliés écologistes au conseil de Paris le 13 octobre. En cause : sa préemption du débat sur l’accélération de la transition écologique, au détriment des Verts. Sur le fond, des divergences les séparent aussi, sur l’accueil des Jeux olympiques – au bilan carbone positif – et le projet immobilier de la tour Triangle, notamment.

Anticipant ces attaques sur sa gauche, l’équipe de la candidate prévoit de recentrer sa campagne sur l’augmentation des salaires et la rémunération du travail lors de son déplacement lillois le 23 octobre. Un retour aux valeurs fondamentales de la gauche, dans la ville de Martine Aubry, elle-même symbole de la réforme des 35 heures. Mais le réformisme social-démocrate peut-il encore convaincre, à l’époque de l’urgence climatique, démocratique et sociale ?

Les proches de la maire de Paris espèrent surtout que les électeurs de François Hollande de 2012, qui ont voté Emmanuel Macron au premier tour en 2017, vont revenir dans le giron du PS. Anne Hidalgo tâche donc de ne pas effrayer les plus frileux d’entre eux. « Venez avec moi ! Vous devez être très malheureux d’être dans un gouvernement comme ça, qui ne fait que s’attaquer aux plus fragiles », a-t-elle lancé le 10 octobre, à l’adresse des socialistes qui ont rejoint les rangs d’Emmanuel Macron – comme le ministre de la santé Olivier Véran. « J’aime les campagnes électorales, je le reconnais ; celles où l’on se bat dos au mur », écrit-elle dans Une femme française. Comme une prémonition.

Par Mathieu Dejean


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message