Superyachts et ultrariches, à cause d’eux le déluge !

dimanche 7 novembre 2021.
 

Quand le commun des mortels est enjoint à réduire ses émissions de CO2, une minorité a d’autres préoccupations, comme se pavaner au large dans un yacht. Aberration sociale et écologique, ces monstres des mers constituent un monde en soi, à la fois tape à l’œil et discret. Tour d’horizon avec le sociologue Grégory Salle. (Par Renaud Duterme)

En 1988 on enregistrait 966 superyachts ; en 2018 on en dénombre 4950 : le nombre de superyachts n’a jamais cessé d’augmenter depuis les années 80•

On les croise sur la côte d’Azur, en Floride ou dans le Golfe Persique. Les superyachts constituent LE marqueur social vous incluant ou non dans la catégorie des ultrariches. Manifestation de l’envolée des (très) hauts revenus (plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros à l’achat), la plaisance de luxe condense les paradoxes de notre époque. Sécession des élites dans un monde en déliquescence, consommation astronomique de carburant (« l’équivalent moyen de 200 voitures américaines ») dans un contexte de réchauffement climatique, privatisation de facto de l’espace maritime du fait de leur gigantisme, tolérance des municipalités quant à leurs nuisances (rejets dans la mer et destruction des fonds marins) pour attirer cette clientèle fortunée, extraterritorialité du droit du travail pour le personnel de bord (avec de nombreux accidents non répertoriés), et surtout très peu de condamnation morale de cette pratique dans un contexte de soi-disant efforts collectifs pour faire face à l’urgence climatique.

Loin d’être anecdotique, ce loisir dont rend compte Grégory Salle dans Superyachts. Luxe, calme et écocide reflète l’arrogance de cette classe sociale et surtout sa déconnexion d’avec les réalités vécues par la majorité. Déconnexion qui constitue une des principales raisons d’être des superyachts. À l’instar des gated communities, prendre le large permet non seulement de rester dans un entre soi bien sélectionné, mais également de se tenir à distance des maux terrestres. Quoi de mieux pour sécuriser son petit patrimoine que de le mettre au large. En cas d’épidémie, quitte à être confiné, autant l’être sur un yacht de 80 mètres de long. Et, symboliquement, ces arches de Noé hyperluxueuses seront parées face à la montée des eaux qui se prépare. Et tant pis si cette mise à distance est avant tout fantasmée puisque ces aberrations maritimes ne pourraient exister sans une armée d’ouvriers et de domestiques bien réels.

En outre, dans un monde où l’hypermobilité est vue comme un signe de richesse et de réussite sociale, posséder un superyacht vous propulse au summum du classement des enviés. En atteste le succès de ces monstres des mers auprès de nombreux touristes, journalistes people et, plus inquiétant, de politiciens désireux de se montrer bras dessus bras dessous avec des milliardaires en short au milieu de nulle part.

Mobilité qui permet par ailleurs d’éviter différentes taxes touchant les fortunes, notamment en voguant sous des cieux fiscaux plus favorables en faveur des biens mobiliers. Certains superyachts regorgent de biens de luxes (tableaux, bijoux, etc.), se transformant en véritables paradis fiscaux flottants.

En définitive et à la lecture du livre de Grégory Salle, les superyachts ne se résument pas à une excroissance, un excès du système. Ils en constituent un symptôme majeur. Ils sont révélateurs de nos sociétés polarisées où quelques-uns réalisent leurs rêves les plus fous (et les plus destructeurs) tandis que le reste du monde subit de plus en plus les conséquences de ruptures environnementales, sociales et économiques précisément provoquées par ce qui fait leur raison d’être : envolée des inégalités, accélération du désastre écologique et persistance de l’iniquité juridique. À l’instar du tourisme spatial ou des modèles d’urbanisation à la Dubaï, on regrette qu’ils soient rarement considérés pour ce qu’ils devraient être : les reliquats du monde d’avant.

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Grégory Salle, Superyachts. Luxe, calme et écocide, Amsterdam, 2021.


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